De l’importance de la continuité dans le système éducatif - ouverture d'un colloque (Créteil, avril 2003)

De l’importance de la continuité dans le système éducatif - ouverture d'un colloque (Créteil, avril 2003)

La réflexion sur la continuité aux charnières du système éducatif est un thème récurrent, mais c’est plus qu’un sujet à la mode. L’objet de ce propos introductif sera d’aborder cette question sous deux angles :

  • Pourquoi la continuité est-elle nécessaire dans le système éducatif, et pourquoi est-il nécessaire de la rechercher ?
  • Comment peut-on concrètement illustrer cette recherche de continuité par l’exemple de l’enseignement des sciences, de l’école à l’université ?

La vie est affaire de continuité : la transmission de la vie au fil des générations assure la continuité des espèces. Cette continuité est permise par les mécanismes de l’hérédité qui déterminent un certain degré de ressemblance au fil des générations, ou, du moins une ressemblance minimale qui définit le groupe spécifique : les chiens ne font pas des chats, c’est déjà une forme de continuité.

Dans le cas de l’espèce humaine, la continuité n’est pas seulement génétique et basée sur les mécanismes héréditaires. Notre espèce « Homo sapiens » se définit elle-même comme savante (sapiens). Nous accordons donc dans la définition de notre propre nature une importance considérable à la connaissance au sens le plus large du terme : les savoirs, les savoir-faire, les savoir-être. Cet ensemble de connaissances constitue la culture. Les philosophes et les paléontologues s’accordent pour reconnaître qu’une des éléments fondamentaux qui caractérisent l’espèce humaine, c’est justement l’existence de cette culture, dont le philosophe étudie l’originalité, et dont le paléontologue traque les premières traces « fossiles ». La cohésion de l’espèce humaine repose notamment sur l’existence d’un patrimoine culturel commun, qui se transmet et se partage dans l’espace et dans le temps. La transmission de la culture n’est pas de l’ordre de l’hérédité, mais de l’héritage. La transmission ne se limite pas à celle de deux parents vers un enfant, mais, au fond, de l’humanité tout entière, actuelle et passée, à chaque homme ou chaque femme en devenir.

La transmission de la culture est donc l’élément essentiel de la continuité de l’espèce. Cette continuité n’est pas une simple conservation : chacun reçoit, puis assimile, transforme, produit, les éléments de la culture, qui est une œuvre collective en perpétuelle transformation. Mais on ne construit pas sur rien, on ne fait pas semblant d’être le premier homme à réfléchir.

La continuité culturelle est assurée par tous et chacun : les parents, les médias, etc. Mais il est une institution spécialisée dans cette transmission de la culture commune, c’est le système éducatif. Si assurer la continuité culturelle, au sens dynamique et évolutif du terme, est la fonction du système éducatif, il est évident que la réflexion sur la continuité ne peut qu’être au cœur des interrogations sur le système éducatif. Par ailleurs, les élèves eux-mêmes réalisent un parcours continu dans l’institution scolaire puis universitaire : il y aurait donc un certain paradoxe, pour cette institution, à ne pas se pencher sur cette continuité.[1]

On peut d’ailleurs envisager cette continuité sous plusieurs angles : continuité chronologique entre les grandes étapes (école et collège, collège et lycée, lycée et enseignement post-baccalauréat) ; mais aussi continuité entre les formes d’apprentissage, continuité entre les disciplines, continuité entre les voies (générale, technique, professionnelle).

C’est à la continuité chronologique appliquée au domaine particulier de l’enseignement des sciences que je vais maintenant m’intéresser.

La recherche de continuité dans le cadre de l’enseignement des sciences a pour objectif de rendre cet enseignement plus efficace et/ou plus facile à suivre. C’est donc par référence aux objectifs de l’enseignement des sciences que je vais tente d’examiner cette continuité.

Les objectifs de l’enseignement scientifique peuvent être schématiquement regroupés en trois catégories.

  • L’enseignement des sciences doit permettre de faire émerger les vocations scientifiques dont la société a besoin. 

On sait combien cette question est cruciale de nos jours et combien la désaffection pour les études scientifiques est à la fois grande et préoccupante. L’enseignement scientifique doit donc à la fois permettre de faire acquérir la formation initiale du futur scientifique, mais aussi de donner envie de poursuivre les études scientifiques. Il faut donc concilier deux nécessités peut-être en partie contradictoires : former et attirer. Il faut y parvenir par une pratique exigeante, mais non austère. 

Deux pistes complémentaires permettent d’aller dans cette direction. Il faut ancrer l’enseignement scientifique dans le concret, montrer que la science permet de répondre de façon rigoureuse et utile à des questions pratiques dont la résolution est nécessaire à la vie de tous les jours. Il faut aussi développer le goût des questions « inutiles » : faire naître le plaisir de rechercher la réponse à une question qui n’a pas d’autre intérêt que l’envie que l’on a d’en connaître la réponse ; développer la joie de s’interroger et le bonheur de comprendre.

  • L’enseignement des sciences doit permettre de construire la composante scientifique de la culture de l’Homme moderne

L’Homme moderne ne peut plus comprendre le monde, ni se comprendre dans le monde, sans des éléments solides de culture scientifique. 

Pour avoir une suffisante conscience de lui-même, chacun doit pouvoir se situer par rapport à la nature, la matière, l’univers, la vie, l’espèce humaine, l’individu ; comprendre les grandes lignes du fonctionnement de la planète, de son corps. 

Pour pouvoir exercer en connaissance de cause sa responsabilité de citoyen, chacun doit comprendre les effets qu’il a ou peut avoir sur lui-même ou ses proches (dans le domaine de la santé par exemple), sur son environnement immédiat ou sur la planète (dans le domaine de l’éducation au développement durable par exemple).

Pour comprendre la place des connaissances scientifiques dans la prise de décision, il faut avoir une compréhension minimale de la nature de la science, du caractère provisoire et en devenir de son discours.

  • L’enseignement des sciences doit participer à la formation générale de l’esprit.

L’enseignement des sciences permet de valoriser et développer la curiosité (l’envie de comprendre et de connaître), le sens de l’observation (observer n’est pas regarder), l’imagination (qui permet d’inventer des réponses aux questions que l’on se pose, de concevoir des protocoles expérimentaux), la rigueur du raisonnement (par la pratique de l’argumentation scientifique), le respect des faits (qui ont toujours, dans le domaine scientifique, raison contre les idées). Il permet de valoriser le doute (la remise en cause permanente des théories, des hypothèses), et le rôle positif de l’échec (c’est quand une théorie jusque là admise est prise en défaut que la science progresse).

L’enseignement scientifique est aussi l’occasion de développer la maîtrise des langages : lecture de textes scientifiques, exposé oral ou écrit de résultats, développement du langage graphique.

Atteindre ces objectifs nécessite une certaine continuité dans la mise en œuvre des enseignements scientifiques.

La continuité concerne en premier lieu la cohérence des programmes et de leur déclinaison détaillée. La relecture en cours des programmes du collège, en regard des modifications du programme de l’école primaire, illustre ce souci de cohérence. Mais au-delà des programmes eux-mêmes, qui peuvent fort bien contenir des titres identiques pour différents niveaux d’enseignement, il faut définir une progression dans l’assimilation des concepts et des compétences méthodologiques impliquées. L’important est que chacun sache jusqu’où il doit aller, et sur quoi il peut s’appuyer pour construire. Il faut aussi inventer une façon de s’appuyer sur les acquis antérieurs, toujours plus importants que ce qu’une interrogation rapide des élèves pourrait laisser croire.

Une certaine progressivité dans le contact avec la nature de la science et la pratique du raisonnement scientifique est indispensable : on ne prétend pas, à l’école primaire, développer une approche épistémologique, qui est au programme … de philosophie en classe terminale !

La cohérence des méthodes pédagogiques est nécessaire. Il faut, à tout niveau, développer une pédagogie active, à la fois attractive, exigeante et efficace, dans laquelle l’élève est acteur de sa formation et non simplement spectateur. Cette cohérence concerne aussi bien l’enseignement traditionnel que les diverses formes de pédagogie de projet qui se développent dans l’ensemble du système éducatif : il y a ainsi une parfaite cohérence entre le PRESTE (plan de rénovation de l’enseignement des sciences et de la technologie à l’école), les IDD (itinéraires de découverte), la partie E du programme de troisième en sciences de la vie et de la Terre, les thèmes au choix du programme de seconde en sciences de la vie et de la Terre, et les TPE (travaux personnels encadrés) en première et terminale.

Enfin, il faut mettre en perspective les modalités d’évaluation dans les différents cycles, afin d’éviter que l’on passe d’une évaluation critériée fine et progressive à l’école primaire, à une évaluation globale et sommaire en fin de lycée.

Si la continuité de la mise en œuvre des enseignements scientifiques s’impose comme un objectif évident, comment alors mettre en œuvre cette continuité ?

Sans doute faut-il d’abord mieux se connaître. Des rencontres de professeurs, par exemple de professeurs d’école et de professeurs de collège, permettraient à chacun de connaître les méthodes habituelles, les objectifs et les attendus des autres. De tels échanges ne peuvent être que fructueux également entre les cadres pédagogiques des deux cycles.

Il faut ensuite réfléchir en commun sur les pratiques, les objectifs, les méthodes, les contenus. La mutualisation des compétences entre professeurs et cadres des deux cycles est indispensable. Elle pourrait prendre une part plus importante dans les actions de formation continue.

Il faut enfin davantage travailler ensemble : recevoir une classe d’école dans un collège pour un atelier scientifique, recevoir un professeur de collège dans une classe d’école, ou un professeur d’école dans une classe de collège, construire à l’occasion un monitorat des grands pour les petits, réfléchir à une continuité de thèmes d’étude, par exemple avec un ancrage local, du PRESTE aux TPE.

Les pistes sont nombreuses, beaucoup ont d’ailleurs déjà été un peu explorées. L’envie de travailler ensemble est en tout cas grande et l’enjeu essentiel. 



[1]Peut-être convient-il de remarquer que la recherche de la continuité, dont l’objectif est au fond de rendre la vie de l’élève plus aisée, ne doit pas être un objectif sacralisé sans discussion. Il est probable que l’existence, dans la vie intellectuelle de l’élève, d’un certain degré de discontinuité, présente un caractère stimulant utile.

André Canvel, Andre

Administrateur de l’Etat

6 ans

Merci Dominique pour tes analyses toujours aussi ciselées et percutantes.

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