Des prérequis pour entrer à l’université ?
Equipe Education du Comité Carnot
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« Un scandale absolu » : c’est par cette formule que le Premier ministre résumait le sentiment général face au tirage au sort qui est devenu, dans certains cas, le mode de sélection pour l’entrée dans les filières universitaires les plus recherchées. Il déplorait que des élèves brillants ne puissent accéder aux études de leur choix : « où est l’égalité ? où est le mérité ? où est la République ? ».
Là est la question. Mais la voie suggérée par le gouvernement n’est certainement pas la réponse.
Tirer au sort ? Pourquoi pas, après tout. la démocratie athénienne recourait à cette méthode, et il ne serait pas aberrant d’introduire une dose de sélection aléatoire pour rendre la représentation nationale… plus représentative (incidemment, rappelons que les statuts du mouvement LREM actuellement soumis au vote des militants prévoit 25 % de membres du Conseil national tirés au sort). Tirer au sort, aberrant ? Mais au fond, la naissance n’est-elle pas autre chose qu’un tirage au sort ? Car en France plus qu’ailleurs, ce que l’on entend faire passer pour du mérite n’est autre chose que du privilège, de la reproduction sociale. Mais il importe de faire croire que l’enfant de parents avocats ou médecins de Neuilly doit entièrement à son talent de n’avoir fréquenté que les meilleurs établissements scolaires de la République (ou, de plus en plus, du secteur privé), caractérisés par les environnements sociaux les plus favorables. Quand à celui dont les parents ont choisi en leur âme et conscience d’être OS à Trappes, il ne doit qu’à lui-même d’échouer dans les études que lui offre la même République, égalitaire au point d’accorder les mêmes programmes, les mêmes méthodes et … les mêmes moyens à ses deux enfants.
Ainsi donc, lorsque le gouvernement évoque l’avantage de recourir aux « prérequis » pour remplacer la méthode du tirage au sort, ou toute autre méthode – un doute s’installe. Est-ce une solution plus égalitaire ? ou un simple expédiant budgétaire ?
Envisager des prérequis pour entrer à l’université peut, à la rigueur, se justifier dans un contexte d’urgence, dû notamment au manque d’anticipation de l’arrivée dans l’enseignement supérieur des générations de l’an 2000. Passé la gestion de la crise, il est impératif de mettre en cohérence le parcours scolaire des lycéens avec des études ouvertes à tous et qui offrent des vraies chances de promotion sociale et d’insertion professionnelle.
De la mixité sociale dans l’enseignement supérieur
La sélection existe bien à l’entrée de l’enseignement supérieur, elle sert notamment à préserver les filières les plus performantes, les plus recherchées car permettant la meilleure insertion sur le marché professionnel. Il se trouve également qu’elles sont caractérisées par une forte ségrégation sociale : CPGE, IEP, Ecoles de commerce, prépas intégrées, ainsi que les IUT qui sont devenus, en dépit des objectifs qui avaient présidé à leur création en 1966, une filière de l’université qui sélectionne les bacheliers en fonction de la série de leur baccalauréat et de leurs résultats.
Les CPGE (Classes Préparatoires aux Grandes Ecoles), structure d’enseignement unique au monde, sont la poursuite d’un système scolaire secondaire fondé sur l’accumulation des connaissances et la sélection en fonction des notes obtenues. Un élève de CPGE coûte deux fois plus à la nation qu’un étudiant à l’université. Les raisons sont doubles : les petits effectifs qui entraineraient des coûts insupportables pour l’université, notamment certains enseignements spécifiques où les élèves se comptent en unités (Latin, grec, LV3...), et les rémunérations des enseignants : pondération de 1,5 et heures de colle. La remise en cause des CPGE est verrouillée à la fois par les familles des élèves y prétendant pour accéder aux grandes écoles qui font l’élite de la nation et par les enseignants, quel que soit leur appartenance syndicale, qui ont un intérêt tout personnel à ce que le système perdure : ils bénéficient d’horaires confortables (10h00 d’obligation hebdomadaire de septembre à mai) et des rémunérations bien supérieures aux enseignants chercheurs.
Les IEP et les écoles de commerce, malgré des efforts louables pour diversifier leur recrutement, restent des modèles de reproduction sociale. L’intégration de quelques élèves de milieux est fondée sur le mérite scolaire « traditionnel », c’est-à-dire que les élèves de milieux populaires doivent adopter les codes et le fonctionnement des étudiants qui la composent et ne constituent en réalité qu’une mixité de façade. La vraie mixité est celle qui prendrait en compte la différence entre les jeunes, leur façon de raisonner, d’imaginer, de penser et de rêver l’avenir.
Envisager un accès égalitaire à l’université implique de réfléchir à l’ouverture de ces filières sélectives. Vaste chantier lorsque l’on connaît les réticences des intéressés et le marché lié à la préparation des concours.
Les filières non sélectives
A côté de ce système prisé et soutenu par les décideurs politiques et du monde économique (puisqu’ils y recrutent largement leurs cadres), il reste le monde des filières non sélectives, c’est-à-dire le droit commun du premier cycle de l’université. Il peut être écrit bien des choses sur les dysfonctionnements, les dérives, les perversions et l’irresponsabilité des universités et de leurs dirigeants. Il faudra réformer, c’est évident. Il n’empêche : elle reste l’Université, un monde accueillant et ouvert, libre terrain de l’innovation pédagogique et des partenariats avec le monde économique. Elle est surtout le dernier refuge de ceux dont ne veulent pas les filières sélectives. Refuser cette dernière solution aux gros bataillons de lycéens issus des milieux populaires et des quartiers prioritaires serait sans doute un injustice, elle serait par ailleurs immanquablement une erreur politique.
Ces rescapés du secondaire, qui ont suivi une scolarité dans des établissements où le climat scolaire n’est pas toujours optimal, dont l’environnement social ne prédispose pas à la réussite, sont en partie conscient du jeu de dupes qui s’est joué pendant le lycée : l’enseignement professionnel (ou, au mieux, technologique) vers lequel ils se trouvent orientés a mauvaise presse parmi les jeunes.
Il s’agit d’une voie de la facilité pour l’Education nationale : les compétences requises puis acquises, notamment celles qui sont prisées pour accéder aux études supérieures puis pour les emplois les plus recherchés, tiennent une faible place dans l’enseignement délivré, en comparaison de celles dont bénéficient les lycéens de l’enseignement général. Le ressentiment qui en découle renforce la conviction d’une exclusion chez bien des jeunes des quartiers et n’est sans doute pas étrangère à l’émergence de certains radicalismes (Religieux ou d’extrême droite.) Les réductions des inégalités, fracture sociale, accès à la culture et à la connaissance, répartition des richesses, accès aux fonctions à responsabilité ou à l’emploi tout simplement, doivent être une des ambitions premières de la nation et de son école, de la maternelle à l’université.
Des prérequis : de quoi parlons-nous ?
Le code de l’éducation, en l’état, prévoit quelques cas où les prérequis sont admis :
-l’obtention d’un baccalauréat.
-l’accomplissement du collège au lycée d’un parcours Avenir qui permette des choix éclairés.
Le parcours Avenir, du collège à l’université, doit développer l’auto-évaluation des élèves et leur permettre de construire un parcours d’orientation individuel qui s’appuie sur un tutorat effectif. Le tutorat était prévu par la réforme du lycée de 2010 mais n’a jamais été mis en œuvre (En dehors de quelques exceptions) parce que non inscrit dans les missions des enseignants et non prévu dans les emplois du temps des élèves.
Tout autre prérequis serait du domaine de la sélection et du tri à l’entrée à l’université
Le code de l’éducation évite toute ambiguïté : il faut être titulaire d’un baccalauréat pour entrer à l’université. Opposer à des bacheliers professionnels ou technologiques qu’ils n’auront pas accès à l’université, sinon sur des places laissées vacantes par les bacheliers généraux (en lettres et sciences humaines essentiellement), revient à leur dire qu’on souhaiterait les cantonner dans leurs quartiers périphériques.
On parle des prérequis des élèves mais il faut aussi évoquer les prérequis du continuum Bac-3 Bac +3. En effet, chaque échelon de formation doit prendre en compte les besoins identifiés de chaque individu et ne pas se dédouaner de sa responsabilité en décrétant qu’il doit acquérir les compétences nécessaires à sa poursuite d’études avant son entrée dans la structure qui l’accueille et le prend en charge.
Ainsi, il est indispensable de revoir la prise en charge des étudiants en premier cycle, afin de conjurer le taux d’échec et de décrochage étudiant. Il faut ainsi offrir des parcours diversifiés et une véritable propédeutique pour préparer les étudiants les moins armés à affronter les exigences du monde universitaire. Pour que cette inflexion soit efficace, il faut bien prendre en compte les éléments suivants :
-Un parcours d’orientation est également fait de la confrontation à des exigences qu’il convient de vérifier par sa propre expérience
-l’échec fait partie de la construction de l’individu et permet de rebondir avec un accompagnement bienveillant
-la demande d’admission à l’université d’un Bac professionnel ou d’un Bac technologique est parfois l’expression d’une volonté de « revanche » d’une scolarité mal vécue, ou de péripéties familiales ou psychologiques liées à l’adolescence qui méritent d’être prises en compte.
Nos premières propositions pour définir un accès pour tous à l’enseignement supérieur :
· Faire accéder tous les lycéens à un socle de connaissances et de compétences dans l’allongement de la scolarité obligatoire
· Développer un parcours Avenir dont chaque lycéen bénéficie avec un temps spécifique inscrit à l’emploi du temps, dans le cadre d’une AP (Accompagnement Personnalisé) décuplée
· Introduire au lycée des modules de découverte de l'enseignement supérieur au lycée dans le cadre du continuum Bac-3 Bac +3
· Donner la priorité aux bacs pros et techno en IUT et STS (Code de l'éducation à modifier)
· Instituer des parcours différenciés en L1 en fonction des bacs d’origine des étudiants (Continuum Bac -3 Bac +3 pour les enseignants également)
· Concevoir les licences comme des parcours généralistes, diversifiés et réversibles.
· Développer à l’université, parallèlement à un enseignement diversifié, des passerelles entre les filières de licences
· Développer les capacités d'admission des universités en s'appuyant sur les MOOCS en L1., notamment pour les bacs généraux.
· Appliquer la règle géographique du code de l'éducation. Admission d'abord des "in académie" avant les "hors académie".
· Donner la priorité aux montants face aux redoublants : en L1, il y a tant de redoublants qu’il est impossible dans certaines filières d’accueillir tous les « néos » bacheliers. PACES en est le meilleur exemple. Les redoublants sont presque aussi nombreux que les entrants. Il y aurait sans doute à prendre en compte cette réalité et faire en sorte que le concours qui s’appuie sur le numérus clausus se fasse après deux ans (Comme pour les CPGE).
Une nécessaire sélection dans le cadre du « mérite républicain »
Chaque échelon du parcours scolaire doit répondre de façon différenciée aux besoins des élèves avant de les aider à faire un choix qui met en adéquation leur parcours et leurs capacités.
Le choix de chaque élève, de chaque étudiant, doit être respecté de façon scrupuleuse et naturelle avant de poser les conditions d’une éventuelle sélection qui ne peut subvenir sans qu’une prise en compte des besoins diversifiés des besoins n’ait été mise en œuvre. C’est cela « l’égalitarisme républicain ».
C’est donc en fin de L1 qu’une sélection sur prérequis peut avoir lieu, à l’issue d’un parcours diversifié afin que chaque étudiant poursuive son cursus universitaire en adéquation avec ses compétences, ses connaissances et la filière envisageable.
L’insertion professionnelle et la formation : une évolution nécessaire de l’université
L’offre de formation doit-elle être en cohérence avec les capacités d’insertion professionnelles ? L’enseignement supérieur a pour objectif de former et de préparer à l’insertion professionnelle, donc à adapter le nombre de ses étudiants aux besoins économiques. Cependant, il ne serait pas admissible qu’un bachelier ne puisse pas tenter de suivre la formation qui souhaite. Il revient donc à l’université d’évoluer profondément afin qu’elle adapte au fur et à mesure ses formations aux besoins et aux talents de ses étudiants. Le cycle de licence doit être le plus généraliste possible pour permettre le plus grand nombre de passerelles avant et après l’entrée en master.