Des villes forestières au secours du dérèglement climatique – essai.
« La journée du 4 juillet a été la plus chaude jamais enregistrée sur la planète » titraient la plupart des quotidiens au début de cette semaine.
Le 15 novembre 2022, la population mondiale a atteint 8 milliards de personnes.
Selon les Nations Unies, elle devrait encore augmenter au cours des trente prochaines années pour atteindre 9,7 milliards d’individus aux alentours de 2050. Le chiffre de 11 milliards pourrait être atteint vers l’an 2100 avant une probable stabilisation (www.un.org). Dans les années 1950, qui correspondent aux débuts des grands remaniements urbains de l’après-guerre en Europe, la population mondiale était d’environ 2,6 milliards de personnes. La Banque Mondiale met en garde sur les conséquences des pressions démographiques sur les villes. D’ici 2050, avec le doublement du nombre actuel de citadins, pratiquement 7 personnes sur 10 dans le monde vivront en milieu urbain. La montée actuelle des conflits, et les mouvements de populations qui en découlent, accentuent encore le phénomène (www.banquemondiale.org). La conception de notre cadre de vie actuel et de nos infrastructures, héritée du siècle dernier, n’est actuellement pas en mesure de répondre de manière adéquate à ces défis.
Aujourd’hui, l’objectif de l’accord historique de la COP21 (Paris, décembre 2015) de limiter à maximum 2°c le réchauffement planétaire en réduisant considérablement les émissions mondiales de gaz à effet de serre semble de plus en plus difficile à atteindre.
Or, le secteur du bâtiment représente presque 40% (9,95GtCO2 et équivalents en 2019) de l’ensemble des émissions de CO2 liées à l’énergie si l’on cumule construction et exploitation (www.unep.org), ce qui en fait l’un des principaux responsables du dérèglement climatique.
Les décideurs et concepteurs sont donc face à un dilemme existentiel. La sobriété heureuse, concept cher à l’essayiste français Pierre Rabhi, qui consisterait à ne plus construire de bâtiments neufs en se contentant de rénovations et de reconversions n’apportera pas de solutions à la pression démographique sur les villes. L’étalement urbain et la construction rapide au moyen des techniques traditionnelles du siècle dernier ne feront qu’aggraver la situation écologique de la planète.
En novembre 2021, la Commission Européenne a d’ailleurs communiqué sa stratégie pour la protection des sols à l’horizon 2030 avec des objectifs pour 2050 visant, entre autres : « à assurer la production d’aliments et de biomasse, y compris dans les secteurs de l’agriculture et de la foresterie ; à protéger les nappes aquifères en absorbant, en stockant et en filtrant l’eau (…) ; à fournir les éléments essentiels à la vie et à la biodiversité ; (…) ». Cette politique ralentira l’artificialisation des sols dès 2030 pour un arrêt complet en 2050.
Il parait donc inévitable d’augmenter la densité des périmètres urbains existants, de recycler au maximum le bâti tout en créant de nouvelles « strates » durables de supports aux futures activités humaines (connues actuellement ou non).
La neutralité carbone, en tant qu’objectif du secteur de la construction, ne suffira pas.
Dans cette perspective, le bois apparait comme le matériau porteur de solutions pour les inévitables nouvelles surfaces bâties. Le bois est le matériau de construction qui présente la plus faible emprunte carbone. De plus, le CO2 qui s’y trouve stocké par le processus de photosynthèse en fait un puits de carbone à long terme.
Certains chercheurs, comme Hans Joachim Schellnhuber de l’Institut de Recherches sur les effets du changement climatique de Postdam, estiment que si 90% des nouvelles constructions étaient réalisées en bois d’ici 2050, le climat pourrait être stabilisé dans environ 2 siècles.
Cette hypothèse ambitieuse, fait partie des 3 scénarios exposés dans un article du magazine Nature (www.nature.com/articles/s41467-022-32244-w) publié en août 2022. L’article expose les conséquences de l’adoption du bois pour la construction de respectivement, 10, 50 et 90% des nouveaux bâtiments à partir de maintenant.
S’il semble actuellement utopique de considérer la solution maximaliste, les résultats de ces recherches sont néanmoins éclairants.
L’usage du bois permet premièrement d’éviter les émissions liées à la non production des autres matériaux de construction, principalement le béton et l’acier.
Sans prendre en considération le stockage du CO2 dans le bois, on estime que la construction d’un logement collectif en bois représente une réduction de 60% de l’emprunte carbone du gros-œuvre par rapport à une construction traditionnelle en béton (www.carbone4.com).
Ensuite, 1m3 de bois séquestrant environ 300Kg de Co2, son usage génère une compensation exceptionnelle, non seulement du solde des émissions liées à la construction mais également de la dette historique en production de dioxyde de carbone. La durée de vie des constructions en bois permet par ailleurs d’envisager la séquestration dans du bois vivant et bien géré d’au moins 2 fois la quantité de CO2 contenue dans ces mêmes constructions.
Cette constatation permet d’intégrer la fin de vie, même lointaine, du matériau dans le cercle vertueux.
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Le secteur du bâtiment offrirait, dans cette hypothèse, une opportunité unique de décarbonisation par le stockage à long terme du carbone dans les villes.
La construction en bois n’a plus à faire ses preuves et on trouve dans le monde entier des artefacts démontrant sa durabilité, son potentiel de recyclage et de réutilisation.
Il existe par exemple en France des maisons à pans de bois datant du 14ème siècle et la Norvège conserve encore une trentaine d’églises en « bois debout » construites entre 1150 et 1350.
La technique du CLT (Cross Laminated Timber), mise au point juste après la seconde guerre mondiale, a connu un essor récent qui marque une évolution significative dans la conception des structures en bois.
Ce procédé, basé sur des panneaux massifs de bois, simplifie la conception, l’exécution et l’usage des ressources.
Des recherches récentes visent même à réaliser du CLT à base de bambous, une ressource quasi inépuisable et dont la croissance est très rapide (jusqu’à 1m par jour).
La généralisation future des structures en bois implique des changements concrets et rapides tant au niveau des politiques globales de gestion des territoires que des pratiques conceptuelles locales.
Il est bien entendu inenvisageable d’exploiter les forêts primaires, et les forêts secondaires ayant pour vocation de redevenir primaires, en vue de produire des bois de construction. La ressource doit être gérée localement et durablement. L’arbitrage stratégique entre agriculture et sylviculture dépasse les préoccupations du secteur de la construction. Il s’agit en effet de réfléchir au régime alimentaire de 11 milliards d’humains sachant, qu’en Europe, plus de 70% des terres agricoles sont utilisées pour l’élevage (www.greenpeace.org).
Car là réside sans doute le véritable défi sachant qu’un objectif de 90% des nouvelles constructions en bois implique d’augmenter de plus de 200% les zones de plantations forestières (www.nature.com/articles/s41467-022-32244-w).
Il semble donc de plus en plus probable que le bois deviendra la solution constructive de la ville inévitablement dense et durable de demain.
Cette opportunité de transformer un secteur majoritairement coresponsable du dérèglement climatique en solution de stockage du CO2 s’accompagnera d’un nouveau narratif du « vivre en ville ».
De manière complémentaire la ville régénérée devrait accueillir un maximum de végétation et d’arbres à hautes tiges. Outre le stockage du CO2 et l’amélioration de la biodiversité en milieu urbain, un cadre de vie biophilique a des effets bénéfiques sur le bien-être des personnes.
Les villes forestières de demain, ainsi repensées, seront denses et bien définies sur le territoire. Les immeubles minéraux, recyclés, seront rehaussés de volumes en bois. Les nouvelles structures accueilleront une végétation abondante.
Les synergies indispensables aux bons résultats impliquent dès aujourd’hui des approches holistiques et collaboratives.
Il y a inévitablement obligation de changer notre vision de la Ville européenne : troquer une recherche d’unité stérile contre l’acceptation de contrastes porteurs de vie. Les constructions de demain ne peuvent être dans une attitude esthétique mimétique. Les paradigmes sont trop différents. Il faut aussi d’urgence ouvrir la réflexion sur les gabarits, permettre de construire la ville sur la ville, permettre une densification qualitative des zones urbaines au profit d’une libération totale des territoires agricoles et sylvicoles, quitte à « nettoyer » les périphéries commerciales… C’est vital.
Frédéric Devos, architecte, juillet 2023.
Directeur opérationnel at UNAA
1 ansBelle analyse. Espérons que les pouvoirs publics seront capables d'appuyer cette direction.