Dessine moi un gouvernement  !
Gouvernement vs. Comité Exécutif !

Dessine moi un gouvernement !

Et pour commencer, dessine moi un premier ministre devrais je ajouter ! A l’heure ou la France se cherche avec nombre de difficultés une majorité de gouvernement, un premier ministre (PM) et une équipe gouvernementale, on peut se poser la question des leçons transférables d’une entreprise se cherchant un DG et un comité exécutif.

Bien sûr, ce que l’on pourrait retenir de l’épisode Start-Up Nation - qui n’a pas si bien fonctionné en tant que narratif politique - c’est qu’a priori les deux démarches n’ont rien à voir. Et pourtant il y a à mon sens quelques éléments à retenir de ce que pratiquent les entreprises beaucoup plus fréquemment et avec des sanctions plus rapides – la rotation des CEOs - sur leur choix de dirigeants pour identifier/ sélectionner/ choisir un PM !

Historiquement le PM est le chef de la majorité à l’Assemblée – ou choisi par le chef de la majorité parlementaire, si celui-ci est à l’Elysée : il est donc censé avoir fait ses preuves comme leader de l’opposition ou de la campagne, ce qui n’est pas vraiment le cas aujourd’hui des impétrants, tous très éloignés de la pratique de gouvernement. Dans les pays ayant l’habitude des majorités de coalition, le choix se porte sur le leader d’un des partis la composant, sauf en cas de premier ministre technique comme ce fut le cas d’un Mario Monti par exemple en Italie. Enfin la version sans doute la plus aboutie nous vient de Grande Bretagne ou l’opposition est organisée autour d’un « cabinet fantôme » qui se positionne en contre sur tous les sujets et décisions gouvernementales majeures, esquissant de fait et de manière pragmatique à la fois un programme détaillé et une certaine intention de gouverner dans ses années d’opposition.

Aujourd’hui la compétence rare - que tout le monde semble rechercher sur tous les bords de l’échiquier politique – après avoir fait tout le contraire à l’assemblée pendant 7 ans et plus (dès les « frondeurs » de François Hollande!) – serait le sens du compromis, non pas au strict sens diplomatique du terme mais clairement en tant que leadership d’un « PPCD »[1], d’un programme minimum consensuel qui puisse franchir la barrière des motions de censure (et permette de doter la France d’un budget dans une période très difficile pour nos finances publiques)! Cela élimine de fait les chefs de partis qui ont tous fini par embrasser le bruit et la fureur inspirés par certains ! D’autant que demain, l’argument « c’est la faute à Macron » – ou l’héritage - ne va plus suffire : à noter qu’il a peu cours en entreprise, car on a tendance à y reconstruire avec le même personnel d’un cycle à l’autre.  

Si l’on se réfère à l’expérience du casting d’entreprise, on trouve quelques constantes :

-        Un historique[2] de performance (on aurait pu ainsi s’étonner plus sévèrement du choix d’un Jordan Bardella, candidat PM sans aucune expérience de politique opérationnelle en France), quasiment obligatoire en entreprise et sur plusieurs postes et plusieurs cycles économiques ; c’est aussi le parcours nécessaire pour observer de nombreux éléments de comportement afin de se prémunir d’un mode de management toxique ultérieurement – exercice manifestement très peu ou mal pratiqué par les différentes oppositions, en particulier le RN sur leurs apprentis députés …

-        Un dynamisme, une capacité de renouvellement (âge, genre, parcours…[3]) ;

-        Un potentiel de longévité : on le voit aux Etats-Unis avec le nouveau risque Joe Biden ; il n’y a pas d’âge limite en politique, mais on prend des risques à choisir des candidats septuagénaires (et favorables à la retraite à 60 ans 😉) – d’ailleurs en France la plupart des professions régaliennes ont fixé un âge limite à 75 ans (médecine, justice, enseignement supérieur), idem pour les conseils d’administration!

-        Une bonne compréhension de l’organisation à diriger (en l’occurrence l’Etat et les fonctionnaires – peu de candidats actuels rassurent à ce sujet)

-        Une réputation en ligne avec les objectifs stratégiques choisi (couper les coûts vs. chasser la croissance en entreprise, idéologue programmatique vs. consensuel pragmatique en politique) ;

-        Une capacité à mobiliser et diriger une équipe (un coach à la Carlo Ancelotti qui tire le meilleur parti des joueurs dont il dispose ou à la José Mourinho qui impose ses méthodes et adapte son effectif en fonction – peu adapté en majorité relative) ;

-        Une capacité à attirer les talents ... car au-delà du leader/DG/PM, c’est tout un casting qu’il faut pouvoir imaginer avec des profils clés qui feront le succès de l’entreprise, soit en fonction du business modèle du côté de la direction produits, technologies, voire de la direction commerciale ou des savoir-faire transversaux Finance (redressement, entrée en bourse, marges …) et RH (Tech) …

o   A titre d’illustration, dans le casting de 1981, Mitterrand avait un Jacques Delors, voix de la raison, qui fût capable de restaurer la confiance des marchés dans un contexte, déjà, de programme économique délirant ….

o   De même pour le gouvernement de Lionel Jospin où DSK joua brillamment ce rôle, paradoxalement mieux que son prédécesseur conservateur);

o   Aujourd’hui, on peut se demander qui le NFP aurait à proposer capable de jouer ce rôle : le fait que l’individu ne soit pas identifié, ni dans l’opposition ni dans la campagne n’est pas un bon signe ! Le RN avait prétendument un chef d’entreprise ou haut fonctionnaire en réserve pour ce rôle, ce qui n’était pas rassurant non plus, en particulier compte tenu de l’aberration économique que représente certaines mesures phares de leur programme !

o   Bien sûr les leaders se révèlent dans la fonction, mais avoir autant d’incertitudes de casting ne peut générer la confiance des entrepreneurs, surtout quand on voit le manque de rigueur du financement de ces programmes, bâclés en quelques semaines sur un coin de table avec des parrainages d’économistes experts[4] qui semblent trop idéologiques (taxer le patrimoine répété à l’envie) pour être vraiment rassurants non plus.  

En conclusion, tous les indicateurs actuels sont inquiétants sur le casting, à la fois individuel et collectif. Est-ce grave docteur ? Certainement, dans le contexte d’une feuille de route aussi idéologique que le programme de la NFP – même s’il est peu probable qu’il s’exécute tel quel, la coalition des non et des abrogations ne faisant pas un budget ! L’idée d’un gouvernement d’union nationale serait certainement plus rassurante pour les forces économiques sur la capacité à aller chercher les talents ou ils sont en se focalisant sur un programme minimum mais essentiel – cela n’avait pas trop mal réussi en Belgique ou en Italie 😉 ! Mais avec quel chef d’orchestre ?  

En tous cas il ressort de tout cela que les politiques devraient investir au moins autant sur leur capacité collective à (bien) gouverner que sur celle à gagner les élections à n’importe quel prix (ou à les faire perdre), mais cela aussi c’est utopique.  


[1] Plus Petit Commun Dénominateur

[2] Le dit « track record »

[3] Le nouveau gouvernement travailliste ne comporte que 6% d’« Etoniens » – la « public school » des élites anglaises, contre pas loin de 80% dans le gouvernement Cameron

[4] D’où la nouvelle prudence d’une Ester Duflo sur l'application du « programme »

Christelle Martin

Consultante indépendante

6 mois

Merci Bruno. Sur la question des leçons transférables d’un monde à l’autre (ici celles du monde de l’entreprise au monde politique), je trouve le sociologue/philosophe Bruno Latour très éclairant. Il parle de différents “modes d’existence”. A écouter ici en 4 épisodes - passionnant. https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-chemins-de-la-philosophie/les-chemins-de-la-philosophie-du-lundi-21-mars-2022-6989359

Bruno Berthon

Administrateur, Senior Advisor, Conseil en Stratégie, Digital et ESG

6 mois

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