Deux tickets pour Nomadland... «Les nouveaux Nomades» vs «Votre empire dans un sac à dos»

#VIS!ONS Il y a 13 ans, Tim Ferriss s'installait en tête des ventes de livres de développement avec un concept, la semaine de 4 heures, et une promesse, faire de nous des New Rich (Nouveaux Bienheureux, dans la version française). Le livre est devenu l'une des références bibliographiques du digital nomadisme, ce courant qui consiste à travailler en voyageant, et inversement, le plus souvent dans des pays où le niveau de vie est plus bas que dans son pays d'origine. S'il n'a pas inventé le phénomène, comme l'explique le journaliste Maxime Brousse dans Les Nouveaux Nomades, il a créé un nouveau rayon dans les librairies. Un rayon où Stan Leloup entend poser son sac-à-dos.

Votre empire dans un sac-à-dos, Stan Leloup (Eyrolles, 30 janvier 2020)

A écouter Stan Leloup (comme ici avec Pauline Laigneau), ce serait Mark Manson, l'auteur de L'Art subtil de s'en foutre, qui l'aurait grandement inspiré quand il était jeune. Pourtant chaque page que le jeune auteur écrit aujourd'hui prouve qu'il n'est pas du genre à s'en foutre. Il a préparé son livre (dont vous pouvez découvrir les coulisses ici) comme d'autres lancent leur entreprise. Soigné la structure du récit comme s'il s'agissait d'un des blockbusters qu'il dissèque sur sa chaîne Youtube. Peaufiné sa méthode en s'inspirant des plus grands best-sellers de sa catégorie.

Le résultat? Votre empire dans un sac-à-dos, un guide pour atteindre l'autonomie financière en montant un business automatisable sur le web.L'expert de la vente, fondateur de Marketing Mania, a fait se sa vie perso le fil rouge de son livre. Une vie qui ne ressemble pas à un conte de fée mais à un manuel de développement personnel :

• D'abord il a la chance de rater ses études, comme d'autres avant lui. "Raté" c'est un bien grand mot... Après avoir réussi le prestigieux concours d'entrée de l'Essec, il est parti en Asie où, ayant goûté aux joies de la vie des nomades digitaux, il décide de ne pas terminer son cursus... Pas un parcours de cancre, mais assez pour donner des aspérités au récit.
• Il reste ensuite vivre à l'étranger en montant une affaire qui le rend riche en travaillant relativement peu (coucou Tim Ferriss)
• Et finit par écrire une méthode tirée de son vécu. Un vécu riche pour un homme de son âge. S'il n'est pas allé jusqu'à bosser trois ans incognito dans des entreprises de vente comme Robert Cialdini, il a, de projets en projets (Stan Leloup a commencé en apprenant la drague à de grands timides), acquis une belle notoriété dans le monde de la formation en ligne.

Au final, qu'en penser? Pour qui n'envisage pas de se transformer en e-vendeur sur une plage de Thaïlande, le livre manque peut-être d'enjeu. La méthode, qui consiste à mobiliser l'ensemble des connaissances sur la psychologie humaine pour agir sur le client plutôt que sur le produit ou les technologies de commercialisation, est synthétique, claire et agréable à lire. On aurait toutefois aimé explorer, avec ce rare témoignage de première main d'un nomade numérique, les failles de ce mode de vie. Mais ce n'était sans doute pas l'objectif recherché. Comment ne pas penser, au moment de lire Votre empire... à cette anecdote racontée par une autre star du développement perso, Robert Kiyosaki. Interpellé par une jeune écrivaine qui lui demandait comment améliorer son texte, l'auteur de Père Riche, Père Pauvre lui demanda calmement: «Qu'y a-t-il d'écrit sur ma couverture? Best-seller, pas best-writer. Je n'ai donc qu'un conseil, prenez des cours de vente!» Si elle cherche toujours une bonne formation, Stan Leloup en dispense en ligne.

Les nouveaux nomades, Maxime Brousse (Arkhê)

Puisque nous cherchions des témoignages de nomades digitaux, nous nous sommes tournés vers Maxime Brousse, qui publie Les Nouveaux nomades, une enquête sur ceux qui ont décidé d'être toujours ailleurs et partout chez eux. Le journaliste n'y parle pas que de Digital Nomads. On croise également dans son ouvrage des tinistes, qui ont quitté leur appartement pour une Tiny House posée par sur une remorque, plus souvent dans un champs, et des urbains qui ont tout plaqué pour vivre la Vanlife, un mode de vie en forme de hashtag, fait de nuits dans un combi VW et de photos Instagram de plages désertes.

S'il regroupe ces trois communautés, c'est parce que l'auteur y lit une même aspiration: celle d'une génération frappée par la crise économique, hermétique aux joies de la vie en open-space et boulimique d'expériences, filtrées et sublimées sur les réseaux sociaux. L'appel de la nature, ou plus encore du paysage, semble alimenter leurs rêves d'ailleurs. «Le paysage, c’est un espace physique et mental vierge dans lequel on peut se projeter, écrit Brousse. Quitter la sédentarité pour partir à la reconquête de soi, cela passe donc par l'appropriation de ces paysages nouveaux, à la mesure de la personne nouvelle qu'on veut devenir.»

En fuyant la norme, ils finissent souvent par en adopter de nouvelles. Tout autant que leurs pendants urbains, les digital nomades sont souvent victimes du hispter effect, un «phénomène contre-intuitif au cours duquel les personnes qui s’opposent à la culture dominante finissent par tous se ressembler». Le journaliste dresse ainsi un portrait assez standardisé de ses interviewés, majoritairement blancs, trentenaires, issus des classes moyennes supérieures. Deviendront-ils un jour le modèle dominant, comme le pense le Néerlandais Pieter Levels qui prophétise qu'en 2050, les digital nomads seront 1 milliard?

Peut-être, mais alors comment faire société? Maxime Brousse met en garde, en conclusion de son ouvrage. “Après avoir popularisé leurs modes de vie et les avoir mis en scène sur les réseaux sociaux, il serait temps que, dans chacune de ces communautés, certains articulent ce passage à l’acte avec des outils théoriques permettant de penser le monde nomade du futur.”  

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