Dictateur un jour, dictateur toujours
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Dictateur un jour, dictateur toujours

Donald Trump, fraîchement réélu, souhaite aller vite pour constituer un cabinet conforme à ses priorités : sécurité nationale, politique économique et immigration. Face à une opposition démocrate qui ralentit le processus de confirmation au Sénat, il semble déterminé à imposer son autorité sur les nominations clés de son cabinet et envisage d’utiliser des pouvoirs rarement explorés, voire jamais utilisés, pour contourner les blocages: il menace d’utiliser son pouvoir constitutionnel d’ajourner le Congrès afin de procéder à des nominations pendant une période de recess parlementaire.

La polarisation est désormais aux États-Unis qu'une extrémité aussi radicale, qui n'aurait jamais ne serait-ce qu'été envisagée dans le passé, devient désormais une possibilité sérieuse. Il faut dire que les deux partis ont passé une grande partie du 21e siècle à utiliser ce qui était jusqu'alors d'obscures tactiques procédurales pour retarder ou faire lentement dérailler les nominations présidentielles à des postes ministériels, à des conseils d'agences de régulation et à des postes de juges fédéraux. Tout cela a creusé la polarisation à des niveaux jamais atteints.

Toutefois, une telle action d'ajournement serait inédite dans l’histoire américaine et pourrait avoir des conséquences profondes sur les relations entre l’exécutif et le législatif. Cette stratégie, bien qu’éclairant sa vision de la gouvernance, ouvre la porte à des controverses majeures sur les équilibres institutionnels et le respect des procédures constitutionnelles.

I. La stratégie de Trump pour imposer ses nominations

A. Des nominations stratégiques pour renforcer sa politique

Trump cherche à placer des alliés fidèles à des postes stratégiques. Parmi les candidats en attente de confirmation, on trouve des figures comme John Ratcliffe (CIA), Pete Hegseth (Défense) et Kristi Noem (Sécurité intérieure). Ces personnalités reflètent sa vision d’une administration offensive, centrée sur la sécurité et le nationalisme économique. La confirmation rapide de Marco Rubio au poste de secrétaire d’État montre que Trump peut encore mobiliser un consensus républicain pour certains postes-clés, mais d'autres nominations rencontrent une résistance accrue : en plus de John Ratcliffe, Pete Hegseth et Kristi Noem, d'autres blocages s'annoncent, avec les auditions prochaines de Robert Kennedy à la Santé et Kash Patel à la tête du FBI, les démocrates se servant des outils qui leur sont donnés par les procédures pour les empêcher d'exercer.

L'idée de contrer ces blocages par un ajournement du Congrès remonte à la dernière année de la première présidence Trump, lorsque les démocrates bloquaient des centaines de nominations exécutives et judiciaires. Les militants conservateurs ont commencé à faire pression sur la Maison-Blanche pour qu'elle envisage d'utiliser les pouvoirs d'ajournement, ce que Donald Trump n'a jamais fait. Aujourd'hui, enhardi par sa deuxième victoire et beaucoup plus familiarisé avec les pouvoirs de la présidence, Donald Trump discute activement de cette option.

B. L’utilisation du pouvoir d’ajourner le Congrès : une arme politique inédite

En vertu de l’article II, section 3 de la Constitution, le président peut convoquer ou ajourner le Congrès dans certaines circonstances. Si Trump décide d’user de ce pouvoir, il pourrait forcer une période de recess, permettant ainsi des nominations directes sans confirmation immédiate du Sénat.

Tout président peut nommer quelqu'un à un poste nécessitant la confirmation du Sénat lorsque celui-ci est en vacances. À l'époque où le pays a été créé et où les allers-retours à Washington à cheval ou en train prenaient beaucoup plus de temps, les vacances parlementaires étaient une nécessité bien plus urgente. Aujourd'hui, alors que le Congrès peut fonctionner toute l'année, il s'agit davantage d'une tactique politique.

Toute personne nommée à un poste pendant les vacances parlementaires doit être confirmée avant la fin de l'année civile suivante, ce qui signifie que si Donald Trump procédait à des nominations pendant les vacances parlementaires au début de cette année, ces personnes pourraient exercer leurs fonctions jusqu'en décembre 2026. Une fois qu'une nouvelle session du Congrès commence, un président peut renommer les personnes nommées pendant les vacances parlementaires pour qu'elles soient confirmées par le Sénat, ou les nommer à nouveau pendant les vacances parlementaires.

Voici le scénario le plus évoqué : La Chambre des représentants quitterait Washington pendant 10 jours, afin que les deux partis puissent tenir leurs retraites politiques annuelles. La Chambre des représentants, contrôlée par le GOP, pourrait adopter une résolution prévoyant un ajournement formel pour cette période et la transmettre au Sénat. La chambre haute, où au moins 60 voix seraient nécessaires pour examiner une résolution d'assentiment, pourrait également s'ajourner ou ne pas se mettre d'accord pour le faire. En vertu de la Constitution, les deux chambres du Congrès doivent être d'accord pour s'ajourner pendant plus de trois jours. Si le Sénat n'est pas d'accord, le président pourrait tenter d'utiliser son pouvoir d'ajournement pour renvoyer les Sénateurs chez eux, faisant ainsi glisser ainsi les pouvoirs exécutif et législatif sur un terrain constitutionnel inexploré.

II. Les conséquences pour les équilibres institutionnels et la gouvernance

A. Une tension croissante entre l’exécutif et le législatif

La menace d’ajourner le Congrès reflète la polarisation politique extrême. Les démocrates accusent Trump de saper les fondements d’une gouvernance équilibrée en concentrant le pouvoir entre les mains de l’exécutif. Même au sein du Parti républicain, certains législateurs expriment leurs réticences, préférant préserver les prérogatives institutionnelles du Congrès.

Cette crise institutionnelle pourrait avoir des répercussions durables, affaiblissant la capacité du Congrès à jouer son rôle de contre-pouvoir face à une présidence déterminée à contourner les obstacles. On ne sait pas exactement combien de temps Donald Trump pourrait suspendre les travaux du Congrès, étant donné qu'une éventuelle fermeture du gouvernement se profile à la mi-mars.

B. Les limites et risques juridiques d’une telle approche

L’histoire récente offre des précédents significatifs, notamment en 2014, lorsque la Cour suprême a déclaré que Barack Obama avait abusé de la clause des nominations en recess pour placer trois membres au Conseil national des relations de travail (NLRB). Une tentative similaire de Trump pourrait entraîner des recours juridiques, retardant davantage la mise en place de son cabinet. Si, au cours de l'histoire des États-Unis, les présidents ont souvent convoqué les deux chambres pour des sessions extraordinaires, ou le Sénat pour voter sur des nominations ou des traités importants, aucun président n'a jamais exercé son pouvoir constitutionnel d'ajourner les deux chambres.

L'absence de précédent signifie que toute décision de Trump d'ajourner le Sénat ferait probablement l'objet d'une contestation juridique immédiate qui déboucherait sur des recours devant la Cour suprême des États-Unis.

Il a pourtant bien évoqué la possibilité de plonger les pouvoirs exécutif et législatif en territoire constitutionnel inconnu lors de sa réunion à la Maison-Blanche mardi dernier avec le chef de la majorité au Sénat, John Thune, et le président de la Chambre des représentants, Mike Johnson, réfléchissant à cette option si les démocrates choisissent de ralentir ou de retarder ses principaux candidats.

En outre, cette stratégie risque de nuire à l’image internationale des États-Unis. Une administration perçue comme contournant les procédures constitutionnelles pourrait affaiblir la confiance des alliés et renforcer les critiques des adversaires.

Conclusion

La tentative de Donald Trump d’imposer ses choix pour son cabinet en utilisant des pouvoirs constitutionnels inédits met en lumière une stratégie audacieuse, mais risquée. Si elle peut renforcer son contrôle sur l’administration, elle menace également de polariser encore davantage le paysage politique et d’entraîner une crise institutionnelle majeure. Dans ce contexte, l’équilibre entre l’efficacité gouvernementale et le respect des procédures démocratiques reste plus que jamais en jeu.

Paul Vallet

Spécialiste des Relations Internationales - Enseignant universitaire

4 sem.

Il faut bien noter que cette tactique relève d’une interprétation douteuse, sinon tordue, de l’esprit de la constitution. Et comme vous le releviez dans un autre billet en rappelant que les juges actuels de la Cour Suprême interprètent la constitution dans le sens qu’elle aurait en 1787, il sera difficile de croire que ces recess appointments soient justifiés par des « vacances parlementaires » et non pas par un désir pur et simple de priver le Congrès de sa responsabilité constitutionnelle et institutionnelle de confirmation des hauts postes. Et cela alors même que le parti du président détient une majorité aux deux Chambres. En réalité Trump n’admet pas que ses candidats sont suffisamment médiocres ou incompétents pour ne pas arriver à convaincre une majorité de républicains, qui risquent de voter avec les démocrates. Il ne faut pas non plus évoquer la polarisation comme un problème que Trump ait à surmonter, quand elle fait partie intégrante de sa politique. Sa tentative de s’attribuer des pouvoirs exceptionnels relève aussi de son projet, et non pas d’une improvisation pour faire face à une situation inattendue.

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