L'Advisory: chaînon manquant d'une difficile transformation digitale des PMEs d'Afrique Centrale
Depuis quelques années, pas si longtemps que cela en fait, le passage à la 3G puis à la 4G n’étant réellement effectif qu’à partir de 2012, l'environnement numérique de l'Afrique centrale a connu une révolution: celle de l'accès démocratique pour tous à l'internet. Avec le déploiement des grands réseaux nationaux sur fibre optique, il est devenu possible de faire des réseaux interconnectés, des éléments de création de valeur au sein de nos PME et PMI. Mais cette révolution de l'accès à l'internet n'est que celle de "la possibilité de faire.. » et moins celle de la « la capacité de faire », le principal challenge étant de l’intégrer dans les processus de création de valeur dans nos entreprises à travers la digitalisation.
Difficile transformation
Nos champions locaux, publics comme privés, sont quasiment tous issues des modèles économiques « Brick and mortar ». La mutation vers des modèles « click and mortar » s’avère une tâche plus ardue et complexe que celle de la vente (ou achat) d’un abonnement internet (l’accès). Ce dernier, [qui] tout seul, n’a qu’un impact très limité sur l’amélioration de la compétitivité. En somme on aura beau construire de belles autoroutes, si nous sommes à pied, cela ne change pas grand-chose. Il devient donc impératif et urgent de transformer plus en profondeur ces acteurs afin qu’ils puissent compétir avec les mêmes armes que les grands groupes internationaux qui s’installent de plus en plus dans nos territoires.
Mais force est de constater que la transformation au sein de ces entreprises est au mieux un slogan « hype » qui se limite à des mesures cosmétiques comme un abonnement internet, un site internet et le renouvellement du parc informatique, sinon un concept trop avant-gardiste ou pire classé au même rang que le bug de l’an 2000. Il apparaît évident que la technologie est allée plus vite que l’évolution culturelle. C’est à ce point que les acteurs de cette nouvelle économie qui sont les entreprises de conseils, les intégrateurs et les opérateurs télécoms doivent intervenir.
On peut pour bien comprendre le problème qui se pose et son enjeu, comparer la chaîne de valeur de la transformation à la médecine, dont les acteurs ont des rôles bien spécifiés, et qui ne peuvent se confondre ni se substituer l’un à l’autre. Le médecin, en amont, fait le diagnostic, conseille, prescrit, tandis que, en aval, le pharmacien fournit le médicament, en fonction de la prescription du médecin. Dans les technologies les entreprises de conseil sont les médecins, les intégrateurs et telcos (opérateurs télécoms) les pharmaciens.
Opérateurs télécoms : Médecins ou Pharmaciens ?
Dans la pratique en Afrique centrale, les seuls véritables acteurs sont les telcos, auxquels on s’adresse, directement, sans qu’un diagnostic pertinent soit établi, pour fonder la prescription. Les leaders mondiaux du conseil ne sont pas ou très peu présents sur les activités de conseils orientés vers la transformation digitale, ils restent sur des métiers classiques et très rémunérateurs de l’audit et du conseil fiscal. Les intégrateurs locaux, qui devraient faire le diagnostic, et définir la stratégie de développement, ont très peu de notoriété pour réellement influencer les décideurs locaux. Il ne reste donc que les opérateurs télécoms.
Les opérateurs télécoms ont la légitimité nécessaire pour efficacement pour conduire le changement culturel et la transformation digitale des entreprises locales.
Mais pour le faire ceux-ci doivent au préalable changer leur modèle qui, très souvent, est calqué sur celui de leur maison mère, généralement situé dans des pays avancés. Si, dans ces pays, chaque acteur de l’écosystème digital y est présent et y joue son rôle, dans notre environnement, ce modèle a des limites car les autres acteurs sont moins présents. De plus l’arrivé de la 3G/4G a quelque peu ébranlé les telcos sur leurs bases avec la baisse drastique des revenus sur la voix et la difficile transition vers les services data. Les contre-performances financières qui en ont découlés ont induit une recherche du rebond à court terme et une pression sur les équipes commerciales, les questions de fonds, dont les solutions s’élaborent dans le temps long, étant relégués au second plan.
Les entreprises locales ont besoin pour se transformer que les opérateurs leur accordent du temps que ceux-ci n’ont pas du fait des périodes de turbulence qu’elles traversent. Elles proposent très souvent des produits clé en main qui correspondent rarement au réel besoin, car il s’agit très souvent de réduire au maximum la période entre le premier contact et la conclusion d’une vente. Au-delà des discours, la réalité est qu’il y a très peu de conseil qui inscrive dans le temps long, nécessaire à une maturation indispensable, et ce parce que les entreprises sont prises dans un tourbillon de mots, de concepts qui débouchent très vite sur un achat qui finalement impacte peu le business et même parfois le dessert. C’est comme un pharmacien qui vous vend un médicament sans diagnostic médical, il soulagera peut être un symptôme mais pas la maladie.
Très souvent les entreprises ne disposent pas des compétences nécessaires pour appréhender, puis assimiler les technologies et les intégrer dans une démarche de transformation en profondeur, dans le cadre d’une stratégie mûrement pensée. Les opérateurs télécoms le constatent eux-mêmes car très souvent, les interfaces lors d’une discussion sur l’acquisition d’une technologie sont des DAF (Directeur administratif et financier), l’administrateur réseau ou encore le technicien de maintenance informatique, tous polarisés par l’opérationnel. Dans très peu d’organisations il existe des directeurs des systèmes d’informations, et même lorsque ceux-ci sont présent ne possèdent aucun pouvoir stratégique.
Danger imminent
Nos entreprises locales, dans cet environnement qui change, et surtout qui s’ouvre ne semblent donc pas encore intégrer les enjeux. Car au-delà de la rationalisation des coûts opérationnels, les futurs concurrents internationaux connaissent la puissance des systèmes d’analyses, et ont la capacité à identifier et à exploiter les sources de données qui découlent de la forte digitalisation de leur business. Imaginons un instant l’arrivée de quincaillers américains ou européens sur notre marché : leurs stratégies d’implantation, sont telles que toutes les entreprises locales actuelles seraient inéluctablement conduites à la fermeture, parce que leur organisation ne leur permettent pas d’être compétitifs. De manière rétrospective, le cas de Express Union face à Orange et MTN sur les services de paiement, la situation de Camtel avec l’arrivée des opérateurs télécoms internationaux, sont illustratifs de la fragilité de nos entreprises locales dont l’absence de capacité d’anticipation, et donc de stratégie de positionnement compétitif, ont conduit à la réduction drastique de leurs parts de marché, au point que se pose désormais la question de leur survie. Ces exemples nous édifient sur la non prise en compte de nouveaux paradigmes dans l’évolution des modèles d’affaires.
Plus de Médecine
Ces opérateurs qui ont bénéficiés de l’impréparation de leur concurrents, pour s’imposer, sont les plus à même à accompagner nos PMEs dans leur transformation. Il s’agit, dans une stratégie Gagnant-Gagnant, de mettre plus en avant des services de conseil. Il ne fait aucun doute que ceux-ci doivent être rémunérés à juste titre. Nos entreprises locales ont besoin de plus de médecine, c’est-à-dire du temps pour comprendre les enjeux, et définir des stratégies conséquentes qui en garantissent le développement et la pérennité. Elles ont plus besoin d’acteurs expérimentés et patients pour les accompagner de façon pragmatique et efficace dans la transformation des modèles d’affaire, et moins de solutions packagées que l’on présente au bout de la troisième rencontre.
Plus de médecine et moins de pharmacie, tel est en résumé l’interpellation de l’heure.
CEO & Co-Founder | Accredited Trainer & Consultant | PgMP®, PMP®, CAPM®, ITIL®4, PRINCE2®7
1 ansBruno, thanks for sharing!
Responsable des Ventes Business Unit Fixe dans la région du Sud chez CAMTEL (Cameroon Telecommunications)
5 ansTrès bel article. Merci pour cette édification
Bruno, Tres beau constat, les opérateurs sont avant gardistes car ils utilisent la technologie depuis longtemps, ils savent ce qu'est la dette numérique, Il faut maintenant distinguer la transformation pure de la digitalisation simple. De nombreuses entreprises ont besoin de digitalisation (processus et outils) elles ne sont pas encore au stade la transformation (Business Model, culture). Express Union est un cas d’école car faut de vraie digitalisation, elle n'a pas réussi a ce transformer face aux acteurs du Mobile Money. Sur le créneau du conseil il y a quelques entreprises locales qui n'ont rien a envier aux grands du conseil mondial. Anyway parlons un de ces 4