Directeur de casting : quelles compétences ? L’interview de Nathalie Chéron, Présidente de l’Association des Directeurs de Casting
Nathalie Chéron a débuté dans le cinéma en faisant cuire des œufs durs sur un butagaz dans une chambre d’hôtel en Sicile pour Rosanna Arquette sur le tournage du Grand Bleu ! Depuis, elle est Directrice de Casting avec plus d’une centaine de films à son actif. Du film d’auteur, au film populaire, de la série TV Scandinave au Docu-fiction, elle pratique son métier avec passion et amour des acteur·rice·s. Elle est aussi membre ICDN, AMPAS et Présidente de l’ARDA (Association des Directrices et Directeurs de Casting).
On ne le répétera jamais assez : un manager se doit de développer et/ou de renforcer plusieurs soft skills au vu de contribuer à la performance et à l’épanouissement professionnel de l’équipe qu’il a à charge. Parmi les savoirs-être attendus, sont le plus souvent exigés : le leadership, la pédagogie, l’aisance relationnelle, la gestion du stress… Toutefois, ce ne sont pas uniquement les professionnels encadrants un ou plusieurs collaborateurs, à qui il est demandé de travailler ces compétences transversales. Pour illustrer ces aptitudes, j’ai choisi de mettre en corrélation le métier de manager (que j’occupe en ce moment) avec une fonction qui m’a toujours fasciné : celle de Directeur/Directrice de Casting. Ce métier de l’ombre est pourtant nécessaire à la bonne réalisation d’un film (ou d’une série) : il intervient dans la pré-production d’un tournage, trouve des acteurs adaptés à un projet précis, puis soumet une (ou plusieurs) proposition(s) au réalisateur. À quoi ressembleraient les films, séries et court-métrages s’ils n’existaient pas ?
Si les “castés” ne sont pas de leur responsabilité, plusieurs savoirs-être sont, pour eux, préférables à acquérir afin de passer du statut de “débutant” à celui d’“expérimenté”. Pour rendre cet article plus concret, j’ai choisi d’interviewer Nathalie Chéron, une Directrice de Casting, qui s’est investie dans plusieurs films et séries célèbres. Vous en connaissez peut-être certains : “Lucy”, “Taken”, “Kaamelott” ou “Les garçons et Guillaume, à table !”. Nathalie a très gentiment accepté de se faire interviewer (à ce titre, je l’en remercie) et de faire preuve d’une grande sincérité sur un métier que l’on connaît finalement peu.
1- Construire un groupe cohérent
Tout d’abord, je voudrais évoquer la composante essentielle sans laquelle un manager ne serait pas manager : je veux bien entendu parler de son équipe. L’une de ses premières actions est la constitution d’un groupe opérationnel. Pour qu’il soit le plus performant possible et que sa composition évite d’être régulièrement modifiée, il est préférable qu’il se projette et s’interroge sur l’association des individus. Il a échangé individuellement avec chacun d’eux ! Parfait, mais connaît-il leur fonctionnement en collectif ? Peuvent-ils former une seule et même unité ? Défendent-ils la même cause professionnelle ? Peuvent-ils s’imprégner rapidement de la culture d’entreprise ?
Par manque de temps, de budget, d’envie, de connaissance, les managers ne se fixent pas toujours comme priorité de former une équipe cohérente. Parfois, ils recrutent simplement de nouveaux talents parce que leurs compétences techniques correspondent à la fiche de poste. Or, il convient de réfléchir à l’atmosphère qui pourrait se dégager en les recrutant et se demander par exemple “ce candidat pourra-t-il s’entendre avec Théo et Marie-Charlotte ?“ Même s’il peut techniquement répondre aux attentes, son contrat pourrait vite être interrompu en raison d’une intégration non-fructueuse.
Pour s’assurer d’une bonne entente avant le début du contrat, des entreprises de toutes tailles (petites, moyennes ou grandes) font passer une série d’entretiens dans lesquels le candidat rencontre un maximum de personnes différentes. C’est une occasion pour les deux parties (le candidat et les collaborateurs déjà recrutés) de vérifier si un feeling réciproque s’est installé avec tout le monde.
Penser à la cohérence du groupe se tient également dans le monde du cinéma. Nathalie Chéron, la Directrice de Casting que nous avons interviewée, nous partageait sa propre définition d’un film. Pour elle, il est réussi si les spectateurs jugent chaque acteur comme étant à sa place et ne se disent pas “mais que fait ce jeune homme dans ce film ?” Lors de mon échange avec Nathalie, celle-ci me confiait l’importance de trouver non seulement les bons acteurs, mais surtout de parvenir à imaginer ces derniers dans un ensemble. Obtenir une telle cohérence entre les acteurs n’est pas chose aisée et c’est ce qui rend le métier de Directeur de Casting si riche (on pourrait dire de même avec les managers) !
2- Tenir compte des conditions imposées
La constitution d’une équipe est d’autant plus complexe que certaines conditions peuvent être imposées à un manager. Par exemple, il arrive qu’il ait à constituer une nouvelle équipe tout en gardant deux ou trois collaborateurs parce que son supérieur hiérarchique le lui a demandé, que les salariés en question détiennent une expérience extrêmement recherchée ou disposent d’un éventail de carnet d’adresses.
Une situation quasi-similaire peut s’observer avec les directeurs de castings. En effet, Nathalie Cheron, nous expliquait devoir parfois sélectionner des acteurs, tout en prenant en compte le profil des “stars” déjà validés pour le film. Il peut arriver qu’un réalisateur ait au préalable identifié un, deux, trois ou plusieurs têtes d’affiche. Auquel cas, le rôle du Directeur de Casting consiste à trouver le reste des acteurs et à s’assurer que ces derniers “matchent” avec le jeu des “stars”.
Outre les célébrités qui peuvent faire partie des conditions imposées, il existe d’autres demandes parfois atypiques, auxquelles il faut répondre ! N. Chéron me confiait le souhait de certains réalisateurs d’avoir uniquement dans leurs œuvres des “gueules” soient des personnes au physique particulier, ou encore des acteurs “beaux” passant bien à l’écran. Toutefois, avant de satisfaire les désirs du réalisateur, des discussions poussées sont nécessaires afin de comprendre sa sensibilité, ses goûts, ses envies, ses fantasmes projetés pendant l’écriture. Plus un directeur de casting en sait sur les souhaits du réalisateur, plus il/elle est capable de tendre le plus fidèlement possible à ses demandes.
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3- Disposer d’une solide connaissance des talents existants
Une fois la lecture du scénario réalisée, le listing des personnages fait, les souhaits du réalisateur compris, le.la directeur·rice de casting peut commencer à reflechir à ses propositions. Pour ce faire, il est nécessaire qu'il.elle dispose d’une solide connaissance des acteurs existants : pas seulement des célébrités, mais aussi des artistes moins connus. Plus sa liste de propositions sera riche, mieux il.elle répondra à la demande du réalisateur. C’est d’ailleurs pour cette raison que Nathalie nous exposait que “pour être bon, un directeur de casting doit acquérir au moins dix années d’expérience”. Faire preuve de curiosité, rechercher en permanence des acteurs prometteurs, assister à une panoplie de pièces de théâtre, prendre plaisir à visionner une pluralité de films et longs métrages … Voilà ce qui fonde le socle de son métier et constitue l’une des raisons pour lesquelles elle aime tant son métier !
Les qualités de recherche, la volonté d’élargir ses connaissances s’appliquent aussi au métier de manager. Son efficacité sera accrue s’il effectue une veille assidue sur la marque employeur, le marché de l’emploi, les exigences demandées pour les profils recherchés, les nouvelles compétences que ses équipes pourraient développer. Plus il parviendra à identifier ce qui motive chaque candidat à postuler, plus il sera capable d’encourager de nouveaux talents à rejoindre sa société et d’augmenter la fidélisation de ses talents actuels. C’est l’effet domino !
4- Faire bouger les lignes
J’évoquais ci-dessus l’importance de constituer une équipe dans laquelle un feeling s’est établi entre tous les membres. J’ajouterai un autre facteur : la diversité. Lors d’un recrutement (si l’on parle d’un manager) ou d’une sélection (si l’on parle d’un directeur de casting), il ne s’agit pas de prendre uniquement des individus pour leurs compétences techniques, car même très qualifiées, leur capacité à travailler en équipe n’est pas garanti, mais plutôt de prendre des personnes aptes à travailler en équipe, qui représentent des populations parfois peu mises en avant.
Par sa fonction et ses convictions, Nathalie Chéron s’est donnée pour mission de faire bouger les choses. Saviez-vous par exemple que les femmes de plus de 50 ans représentaient 52% des femmes majeures en France ? Or, elles ne sont que peu montrées au cinéma et à la télévision. Pour dénoncer ce constat et agir, un collectif du nom de “AAFA-Tunnel de la comédienne de 50 ans” s’est créé. Pour N.Chéron, le combat en faveur de la diversité à l’écran doit s'étendre à bien des égards pour montrer plus de femmes, mais aussi plus de personnes issues de minorités ethniques, plus de personnes aux couleurs de peau autre que blanc… Par sa proposition d’acteurs au réalisateur, N.Chéron faisait (et fait toujours) le choix de proposer ce qui ressemble le plus à la vraie vie.
En plus de son engagement pour un casting plus diversifié, N. Chéron nous confiait qu’en tant que directrice de casting, elle pouvait changer les codes en regroupant sur un même plateau de tournage, des acteurs étiquetés “films à succès” et d’autres “cinéma d’auteur”.
5- Faire preuve de diplomatie
D’extérieur, on pourrait penser que le plus difficile dans le métier de directeur de casting est de convaincre le réalisateur que sa sélection d’acteurs est pertinente. Certes, il peut arriver que de longs échanges aient lieu entre les deux parties, mais pour Nathalie, le plus grand défi reste de convaincre les producteurs, soient ceux qui financent les projets. Parce que ces derniers doivent choisir avec soin leurs investissements, ils s’assureront que les films qui leur sont proposés pourront attirer du public. Naturellement, ils seront plus rassurés par des castings comprenant des stars, car leur présence leur garantira un certain nombre d’entrées et surtout un distributeur et des financements. C’est dans ce genre de situation qu’être diplomate s’avérera utile. Maîtriser subtilement délicatesse, prudence et affirmation de soi peuvent débloquer des situations de conflits et parvenir à une entente.
Chez Seven, lorsque nous enseignons à nos participants la diplomatie, nous nous appuyons sur la sociodynamique. Cette matrice inventée par Jean-Christian Fauvet dans les années 70 vise à cartographier le profil de ses interlocuteurs afin d’identifier les actions à entreprendre pour faire adhérer son idée au plus grand nombre. Avez-vous déterminé vos plus fidèles alliés ? La majorité de votre audience ne sait pas quelle idée choisir ? Pourquoi ne pas solliciter votre “triangle d’or” en les faisant participer à vos actions afin qu’ils échangent avec les hésitants ? Dans la situation où un producteur ne souhaiterait pas produire votre film, car l’absence de têtes d’affiche ne le rassure pas, peut-être qu’en cherchant bien vous pourriez trouver des alliés qui vous aideront à faire changer d’avis ce producteur ? “Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis”, n’est-ce pas ? Nous changeons d’avis régulièrement et c’est tant mieux, car cela montre notre capacité à prendre du recul, à écouter les opinions des autres.
La seule vraie différence entre un manager et un directeur de casting reste le moment dans lequel chacun d’eux intervient dans un projet. Alors qu’un manager interviendra tout au long d’un parcours employé (aussi bien lors de la phase de recrutement, des premiers jours du talent, à la suite de la période d’essai validée…), un directeur de casting sera uniquement présent en amont du projet. Dès lors la validation des acteurs par les parties prenantes, sa mission s’achève. Le début du tournage marque la fin de son implication dans un projet, à l’exception de rares cas où il est amené à accompagner des acteurs.
Un grand merci à Nathalie Chéron de m’avoir partagé les coulisses du cinéma et fait réaliser à quel point nos deux métiers étaient proches, notamment vis-à-vis des compétences développées. Désormais, lorsque je me rendrai dans les salles obscures, je porterai un nouveau regard sur les films, je serai plus attentif à la composition des acteurs, je m’interrogerai sur les souhaits du réalisateur partagés à son directeur de casting. Dites-moi si à la lecture de cet article, vous avez, vous aussi, développé une nouvelle vision sur le monde du cinéma.
agent artistique Cinémacorp
1 ansadmiration pour nathalie cheron, grande directrice de casting!
Big up Nathalie Cheron !
Formatrice soft skills - Management, Conduite du changement, Optimisation du temps, Team building
2 ansPassionnant, un métier peu connu qui fascine ! Merci pour le partage