DOMMAGE CORPOREL, PARC AQUATIQUE ET OBLIGATION DE SECURITE DE RESULTAT

DOMMAGE CORPOREL, PARC AQUATIQUE ET OBLIGATION DE SECURITE DE RESULTAT

COUR DE CASSATION, CHAMBRE CIVILE 1, 9 JANVIER 2019, N° 17-19.433

Un ressortissant espagnol se rend dans un parc aquatique et y emprunte un toboggan à sensations, dont l'usage est préconisé par l'exploitant, la société L, par un lancement sur le ventre, tête en bas.

Il est victime d'un accident le laissant tétraplégique, le choc à l'arrivée étant d'une particulière violence, compte tenu de la distance parcourue, de la pente et de la vitesse lors de la descente, et ce, couplé à une position d'hyper extension cervicale.

L'exploitant et son assureur sont assignés en responsabilité.

La société exploitante appelle cependant en garantie le fabricant du toboggan, estimant sa responsabilité partagée.

La Cour d'Appel de BORDEAUX par Arrêt du 27 mars 2017 exclut la responsabilité du fabriquant, et condamne la société exploitante à réparation intégrale.

L'assureur de l'exploitant forme un pourvoi en cassation, estimant d'une part que l'exploitant d'un parc aquatique n'est tenu que d'une obligation de sécurité de moyen, d'autre part que l'usage d'un toboggan par préconisation d'une position de descente ne peut constituer une faute et qu'enfin, le débiteur d'une obligation de sécurité ne pouvait répondre de dommages imputables à une cause extérieures, à savoir en l'espèce un canal médullaire étroit chez la victime.

L'argumentation développée par la société exploitante et son assureur ne sera cependant pas suivie par la Cour de cassation.

Aux termes de son arrêt du 9 janvier 2019, la Première Chambre civile de la Cour de la Cassation (numéro de pourvoi 17-19.433) a en effet décidé que :

"l’usager, une fois lancé sur le toboggan, est dans l’impossibilité de maîtriser sa trajectoire qui est déterminée par la forme et la pente du toboggan dont il n’a aucune possibilité de sortir et qu’il est obligé de suivre jusqu’au bout pour arriver dans l’eau, que la façon de prendre les virages, à supposer qu’il soit possible d’agir sur celle-ci, n’a qu’une incidence très marginale, et que la vitesse étant déterminée par la pente et le glissement sur l’eau, la marge de manœuvre pour l’usager est minime ;

qu’il ajoute que le dommage résulte du choc avec la surface de l’eau après une descente de 110 mètres à l’arrivée combinée avec une vitesse de 20 à 22 km/h, alors que l’usager était en hyper extension cervicale du fait de la position de descente imposée, sur le ventre tête en avant ;

que la cour d’appel en a exactement déduit que, l’accident s’étant produit à l’arrivée qui ne peut être dissociée de la descente, l’exploitant du toboggan était tenu d’une obligation de sécurité de résultat ;

Et attendu, ensuite, qu’ayant retenu que, si N A M présentait un canal médullaire étroit, cet état antérieur n’avait pas généré de pathologie et aurait pu ne jamais en générer aucune, et qu’il était établi par l’expertise médicale que le dommage avait pour cause l’hyper extension cervicale induite par la position de descente imposée par l’exploitant, sur le ventre tête en avant, en ce que l’arrivée à grande vitesse dans l’eau induisait un choc et une décélération, la cour d’appel, qui s’est expliquée comme elle le devait sur le caractère fautif des conditions d’utilisation du toboggan par l’exploitant, contraires aux recommandations du fabricant et considérées comme les plus dangereuses par l’expert judiciaire, en a déduit, à bon droit, qu’il était entièrement responsable du préjudice subi par N A M ;"

La Haute Juridiction poursuit par ailleurs, quant à la question du partage de responsabilité avec le fabriquant du toboggan :

"Mais attendu qu’ayant retenu que le toboggan était conforme quant à sa conception et à sa fabrication, et que le fabricant avait remis un panneau d’utilisation interdisant la position pourtant imposée par l’exploitant aux usagers, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de procéder aux recherches prétendument omises que ses constatations et appréciations rendaient inopérantes, a légalement justifié sa décision de ce chef ;"

***

Ainsi, en la matière, l'obligation de l'exploitant peut être tant de moyen que de résultat.

Cela revêt une particulière importance, dans la mesure où selon qu'il s'agit d'une obligation de moyen ou de résultat, la charge de la preuve pèsera respectivement sur la victime ou sur l'exploitant.

Il est acquis que, de manière générale, les exploitants de parcs de loisirs ne sont tenus que d'une obligation de sécurité de moyen.

Dans cette hypothèse, en cas d’accident, c’est à la victime qu’incombe la tâche, parfois délicate, de démontrer que l’exploitant a commis une faute.

Le comportement défectueux peut alors prendre la forme d’un défaut de prudence, reposer sur l’utilisation de matériels non conformes ou le non-respect de consignes de sécurité.

Cette obligation de moyen se justifie par le rôle actif du client et s’impose, par exemple, lorsque le dommage survient dans une attraction de course de kart , dans laquelle le participant a la maîtrise et le contrôle du véhicule.

Toutefois, cette obligation de sécurité peut être de résultat lorsque le client du parc se trouve dans une situation qui le contraint à être totalement passif, autrement dit, lorsqu’il n'est pas en mesure de préserver par ses propres moyens son intégrité physique ou celle de ses biens.

Tel est bel et bien le cas en l'espèce, ce que relève très justement la Cour de cassation dans le présent arrêt.

Dans l'hypothèse où le client a donc un rôle passif, il est désormais de jurisprudence constante, que l'exploitant est tenu à une obligation de sécurité de résultat et non à une obligation de sécurité de moyen.

S'opère alors un renversement de la charge de la preuve : ce n'est plus à la victime de prouver une faute du professionnel, c'est à celui-ci de s'exonérer de sa responsabilité, par exemple, en démontrant une faute d'imprudence ou de négligence de la victime.

C'est ce qu'était parvenu à faire l'exploitant d'un toboggan aquatique, ayant obtenu un partage de responsabilité dans une affaire l'opposant à un père de famille, lequel avait effectué la descente du toboggan accompagné de ses deux enfants, cela constituant une faute pour l'avoir empêché de se tenir aux rampes, de se maintenir en position assise et de contrôler sa descente,  (Cour d'appel de Paris, 17e ch. A, 2 juill. 2007, La Gazette du Palais, 10-11 oct. 2007).

Or, en l'espèce, l'exploitant n'a pu être en mesure de prouver quelconque faute de la victime dans la mesure où l'utilisation du toboggan sur le ventre, tête en bas, était imposée par l'exploitant lui-même, et ce malgré le panneau d’utilisation fourni par le fabriquant,  interdisant la position pourtant imposée par l’exploitant aux usagers.

Il sera donc désormais compris que la sécurité des usagers de parcs d'attractions doit être garantie, attention tout de même, lorsqu'il conserve un rôle actif dans l'attraction, à ne pas faire preuve d'imprudence et aggraver le danger, au risque de perdre son droit à indemnisation.  


Pascale Dethy

" (1500+) Jurist: Senior claims handler specialist liability (part time) "

5 ans

merci pour ce partage

Olivier Cherdon

Risk and Insurance Manager Flex Gen Europe

5 ans

super intéressant !

Samia Chetara

Account Executive - FINEX @WTW

5 ans

Très alarmant que l’exploitant, en sa qualité de professionnel, ait pu braver l’interdiction formelle du fabricant de l’utilisation du toboggan sur le ventre ! Légitime que sa responsabilité soit pleinement et totalement reconnue en l’espèce !

E V

Chargé d'études

5 ans

Merci pour cet arrêt très intéressant. Certainement sera-t-il commenté ultérieurement dans la revue RCA

Steve Saez Développement très intéressant pour les Affranchis

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