Du gaz 100% renouvelable dans les réseaux à l’horizon 2050 : coup de com’ ou réelle ambition ?

Du gaz 100% renouvelable dans les réseaux à l’horizon 2050 : coup de com’ ou réelle ambition ?

Atteindre les 100% de gaz « verts », autrement dit renouvelables, dans les réseaux à l’horizon 2050 est désormais l’objectif affiché par l’ensemble des opérateurs gaziers. Et pour cause, à l’heure des réglementations environnementales toujours plus strictes il en va de l’avenir même de leur activité. L’indispensable neutralité carbone recherchée dans les décennies à venir ne pourra tolérer un mix énergétique composé d’énergies puisées dans le sous-sol tel que le gaz naturel d’origine fossile qui, à date, représente encore 99% du méthane distribué.

Comme nous l’avions évoqué dans un précédent article, avec son bilan carbone de seulement 23,4g CO2/KWh soit environ 10 fois moins que celui du gaz fossile, le biométhane représente une formidable opportunité pour réduire les émissions de gaz à effet de serre tout en assurant l’indépendance énergétique de la France. Ainsi, 100 % de gaz vert dans le réseau en 2050 représenterait une réduction de jusqu’à 56 MtCO2/an, une véritable révolution qui permettrait de verdir 20% de la consommation d’énergie finale totale du pays selon une étude de l’ADEME réalisée en 2018.

Mais alors que seulement 1% du gaz distribué en France aujourd’hui est effectivement renouvelable, nous sommes en droit de nous interroger sur la faisabilité d’un tel projet.

Faire passer la flamme du bleu au vert, pur marketing survivaliste d’une filière aux abois ou réelle adaptation d’un monde gazier qui innove et se réinvente ? La réponse dans cet article !


1 – Différents modes de production

Depuis ses débuts en 2012, l’injection de biométhane dans les réseaux gaziers connait une croissance fulgurante avec une évolution annuelle des capacités de plus de 50%. A date ce sont environ 200 sites qui injectent du gaz renouvelable et près de 1200 projets sont actuellement en cours.

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Courbes cumulées présentant l’évolution de la quantité de gaz renouvelable injecté dans les réseaux de transport et distribution français entre 2015 et novembre 2020. Source : OpenData GRTGaz.


En 2050, la consommation annuelle française de gaz s’établira entre 270 et 300TWh, un chiffre bien inférieur aux données actuelles, et ce, grâce aux différents leviers mis en place pour accompagner le consommateur final dans une sobriété énergétique accrue, qu’ils soient économiques avec les différentes incitations financières à mieux isoler son habitat ou choisir des chaudières haute performance, technologiques ou encore grâce à la maitrise de l’énergie permise entre autre par le déploiement des compteurs communiquant. 

Pour produire cette quantité d’énergie qui restera tout de même colossale, plusieurs techniques sont à la disposition des acteurs de la filière gazière :

-         Tout d’abord et c’est la seule aujourd’hui effective, mature et largement déployée : la méthanisation. Il s’agit ici d’utiliser la fermentation anaérobie, c’est-à-dire sans oxygène, de déchets organiques agricoles, agroalimentaires ou de collectivités. Placés dans des cuves appelés digesteurs où ils séjournent plusieurs semaines, ils sont « digérés » par des bactéries qui vont produire un biogaz par la suite épuré et mis aux normes des réseaux de distribution et de transport. Alors que 80% du gisement actuellement exploité est agricole, il est également possible d’utiliser des boues de station d’épuration ou d’avoir recours à un gisement encore jusqu’alors sous-exploité : les poubelles de nos concitoyens ! En effet, à partir de 2023, la collecte des déchets devra s’opérer de façon séparée avec d’une part les biodéchets, putrescibles, et de l’autre les déchets non organiques. Une véritable manne pour la méthanisation dans la mesure où un français produit en moyenne 354 kg d’ordures ménagères par an selon les derniers chiffres de l’ADEME. Ainsi, on estime que le potentiel de production de biométhane par méthanisation sera de l’ordre de 200 TWh à l’horizon 2050.

 

-         Vient ensuite la pyrogazéification. Actuellement en développement au travers de différents projets pilotes partout en Europe dont un notable de ETIA en collaboration avec GRTGaz situé à proximité de Compiègne dans l’Oise (60), cette technologie est appelée à entrer en service aux environs de 2025. Elle utilise principalement de la biomasse, typiquement des déchets ligneux (du bois) ou des Composés Solides de Récupérations (CSR) qui sont des déchets ultimes non dangereux tels que certains textiles ou cartons conditionnés sous forme de pellets. Une fois portés à très haute température pour réaliser le process de gazéification, entre 800 et 1500°C, on obtient un gaz de synthèse appelé syngas composé de méthane (CH4) mais aussi de monoxyde de carbone (CO), dioxyde de carbone (CO2) ou autres composants dépendant en grande partie des déchets utilisés comme intrants. Le syngas est par la suite mis aux spécifications, c’est-à-dire débarrassé de ses « impuretés » et injecté. On notera que le potentiel de génération de gaz renouvelable par pyrogazéification est supérieur à celui de la méthanisation classique dans de nombreuses régions françaises comme le Grand Est par exemple du fait d’une grande disponibilité de matières premières. Son potentiel de production se situera entre 160 et 280 TWh par an en 2050.

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Schéma présentant le process de pyrogazéification. Source : Geoffrey A


-         Le Power-to-Gas, technologie couplant les réseaux électrique et gazier sera quant à lui disponible à l’orée de 2030. Utilisant l’électricité renouvelable excédentaire produite lors des creux de consommation énergétique, en été principalement, pour réaliser l’électrolyse de l’eau et ainsi obtenir de l’hydrogène qui pourra par la suite être transformé en méthane par la réaction de Sabatier, elle permet de parer aux pics de consommation saisonniers grâce aux immenses capacités de stockage de gaz dispersées partout sur le territoire national. Bien qu’énergivore du fait de l’utilisation d’une électrolyse et d’une réaction de méthanation nécessitant des pressions et températures élevées (de l’ordre de 400°C), le rendement reste satisfaisant avec des valeurs aux alentours de 70% selon les premiers retours des installations pilotes telle que l’installation Jupiter 1000 opérée par GRTGaz à Fos sur Mer (13). Le plus important challenge concernera les coûts de production du méthane obtenu par le procédé Power-to-Gas puisqu’en 2020, il se situe entre 105 et 185 €/MWh soit jusqu’à 2 fois plus que la méthanisation agricole, dont les couts de production se situent aux alentours de 90 €/MWh. Trouver une rentabilité financière sera donc indispensable pour que le Power-to-Gas et son potentiel de production de 200 TWh prenne son envol et participe pleinement à l’objectif du 100% de gaz verts dans les réseaux gaziers en 2050.

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Schéma présentant le process de Power-to-Gas. Source : Geoffrey A

 

-         Enfin nous pouvons citer la gazéification hydrothermale qui permet la valorisation de déchets liquides tels que les boues des stations d’épuration, certains déchets industriels ou encore les digestats issus du process de méthanisation. Cette technique utilise l’eau contenue dans les biomasses comme milieu réactionnel sous haute pression (300 bars) et haute température (700°C). Outre la production de gaz directement injectable dans le réseau et propre à tout usage, la gazéification hydrothermale est une solution alternative à l’incinération de nombreux déchets de collectivités territoriales et industries agroalimentaires en permettant la valorisation de matières aujourd’hui faiblement voire pas du tout valorisées. Encore à l’état de développement, elle devra prouver sa pertinence économique et industrielle au cours de la décennie pour pouvoir exploiter son potentiel de production estimé à 50 TWh.

 

Comme nous venons de le démontrer, les différentes techniques de production de gaz verts parviendront très largement de par leur potentiel à couvrir l’ensemble des besoins de consommation en 2050, à condition bien entendu de s’en donner les moyens…

 

2 – Des moyens à la hauteur des ambitions ?

Les coûts liés à la construction d’un site de production de biométhane agricole classique représentent un investissement moyen de 5 millions d’euros porté à 20% par des subventions de l’ADEME, de la région et de l’Europe.

 

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Site de méthanisation d’Azerailles (54) en construction (opérateur : GRTGaz). Source : Geoffrey A

 

Au-delà des investissements consentis par les porteurs de projet, injecter toujours davantage de gaz renouvelable dans les réseaux nécessite d’y apporter des évolutions importantes et de repenser l’ensemble des process afin de passer d’une gestion centralisée à une conduite du réseau plus décentralisée. Les maillages ou renforcement du réseau visant à optimiser la consommation d’une zone, les rebours qui permettent d’injecter du biométhane sur le réseau de transport pour une consommation de ce dernier dans une autre zone du territoire, ou encore les raccordements d’installations sont autant d’actions menées, sans cesse améliorées et financées tout ou partie par les opérateurs gaziers, lesquels se mettent au service des producteurs pour rendre le gaz renouvelable prioritaire dans le réseau.

Fermement encadré et suivi par la Commission de Régulation de l’Energie (CRE), le coût de ces investissements ne doit pas peser sur la facture finale des usagers. Aussi les investissements de renforcement sont-ils limités à 2% de l’EBITDA (excédent brut d’exploitation) pour chaque opérateur gazier. Un montant défini pour rendre possible l’atteinte de l’objectif fixé par le décret relatif à la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) et qui prévoit 6 TWh de gaz renouvelable injecté dans les réseaux de gaz naturel à l’horizon 2023 tout en fixant un objectif de 14 à 22 TWh d’ici 2028. Une ambition qui sera déjà atteinte dans les faits en 2023 puisqu’à date ce ne sont pas moins de 26 TWh de capacité d’injection qui ont été réservées d’après les dernières données GRTGaz, un projet mettant en moyenne 4 ans à arriver à son terme. D’ailleurs, les opérateurs gaziers s’entendent sur une cible à 30% de gaz verts dans les réseaux en 2030, soit plus de 100 TWh, se plaçant de fait, en discordance avec les projets de la CRE.

En outre, une trajectoire de -30% sur 10 ans concernant les tarifs de rachat du biométhane aux producteurs par les fournisseurs de gaz a été actée, obligeant l’ensemble de la filière à optimiser au maximum ses coûts afin de ne pas peser sur la facture énergétique des ménages (et accessoirement de l’Etat) et conserver une compétitivité dont dépendra l’avenir du gaz comme acteur majeur du mix énergétique français. Rappelons que les tarifs de rachats sont garantis au producteur pour une durée de 15 ans et que le retour sur investissement est de 5 à 8 ans selon la taille des projets et les technologies choisies. La baisse de ces tarifs qui peut venir mettre à mal certains business plan, est semblable à celle ayant frappé les autres énergies renouvelables (ENR) comme le photovoltaïque par exemple. Elle était totalement attendue et naturelle, ce qui explique au moins partiellement la très forte croissance observée au cours de l’année dernière, les porteurs de projets souhaitant s’enregistrer au registre des capacités avant toute baisse préjudiciable à leur porte-monnaie.

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Projets inscrits au registre des capacités et capacités réservées à la mi-décembre 2020. Source : OpenData GRTGaz.

 

En conclusion, nous sommes en mesure d’affirmer que le 100% gaz verts dans les réseaux en 2050 est un objectif techniquement réaliste et réalisable. Les potentiels et technologies sont connus et en cours d’optimisation, les réseaux adaptés et leur conduite repensée pour accueillir un gaz qui permettra de tenir les pics de consommation énergétique comme il le fait chaque hiver depuis des décennies en France. A la différence que ce gaz aura désormais un bilan carbone comparable à celui de l’électricité éolienne. Les prix de production quant à eux baisseront, c’est une certitude, comme ce fut le cas pour toutes les autres énergies nouvelles. Le biométhane est jeune, issu d’une filière émergente, laissons-lui le temps de gagner en performance économique.

La seule véritable interrogation est d’ordre politique : le développement du gaz vert comme celui des autres ENR a un coût et les objectifs fixés par la PPE ne semblent pas converger avec ceux des opérateurs gaziers. Les différentes réglementations environnementales ne reconnaissent pas ce gaz vert-ueux encore trop peu présent dans les réseaux. Les trajectoires d’évolution des tarifs de rachat fixées par la CRE, si trop agressives, ne permettront pas à la filière de s’adapter et la belle dynamique initiée ces dernières années serait enrayée.

Oui, le rêve 100% gaz verts porté par des milliers de femmes et d’hommes peut se réaliser… mais encore faut-il que les décideurs le veuillent.

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