Eloquence et démocratie

Le port du Pirée est déjà rempli de cris et d’animation depuis l’aube quand Protogénos, suivi de sa fidèle chienne Théramidas, monte sur la colline de Pnyx pour assister à l’Assemblée du Peuple. Il fait chaud. Nous sommes à Athènes, en 47 avant Jésus-Christ, même si Protogénos, bien évidemment, ne le sait pas encore !

Il a décidé aujourd’hui d’intervenir car il a un avis sur un des sujets du jour.

Quand le héraut lance son traditionnel « Qui veut prendre la parole ? » Protogénos monte sur l’estrade de pierre, regarde l’Assemblée et le majestueux Parthénon et inspire un grand coup. C’est la première fois qu’il ose prendre la parole. La foule se tait. Sa chienne est venue se coucher à ses pieds. Le prytane remplit la pendule à eau, et Protogénos lance sa voix, comme le lui appris le rhéteur Eumenês. Il tremble un peu, mais sa pensée est claire. La mer de visages attentifs est parcourue de mouvements et de murmures. Protogénos argumente.

Après lui, les citoyens qui le souhaitent vont pouvoir argumenter à leur tour. Tous, sans distinction de statut ou de richesse pourront lever la main pour voter.

Un citoyen- une voix.

 Au Vème siècle en Grèce la démocratie directe est à son apogée. Les tyrans ont été écartés, et les hommes, résolus à prendre- entre égaux- les décisions qui concernent la vie de la cité sans en référer aux Dieux, peut-être absents, développent et technicisent l’art de la parole, la rhétorique ou éloquence. Car pour prendre les décisions il faut savoir écouter, argumenter et convaincre !

Cet art oratoire qui a marqué les démocraties de notre histoire européenne (Danton, Robespierre, Victor Hugo, Jean Jaurès, De gaulle, Churchill, Martin Luther King, Simone Veil, Robert Badinter, etc.) et aussi malheureusement, sous la forme de la propagande, les périodes de tyrannie, est toujours vivant parmi nous, à l’époque de la radio, de la télévision, de Power Point, de la vidéo et des réseaux sociaux.

 A la parole du pouvoir peut répondre le pouvoir de la parole.

A LIRE- Ouvrages de Philippe BRETON, chercheur au CNRS (« Eloge de la parole », « Argumenter en situation difficile », «Argumenter sans manipuler »)