En finir avec une idée reçue : "la dette laissée à nos enfants"
En finir avec une idée reçue : « la dette laissée à nos enfants ». Il s’agit du sophisme le plus courant en matière de dette, tellement ancré dans les esprits que certains gouvernants ne cherchent même plus à le justifier. C’est ce qu’Emmanuel Macron répète en permanence notamment : « le déficit d'aujourd’hui, c'est la dette de nos enfants demain ». Et pourtant cette affirmation est fausse à plusieurs titres.
D’abord, des économistes ont beau jeu de rappeler qu’en face de la dette, il faut mettre en balance le patrimoine. C’est ce que font notamment les Économistes atterrés : « un Français ne naît pas avec 29 000 euros de dette comme veulent le faire croire les libéraux, mais bel et bien avec 4 529 euros de patrimoine net ». L’argument est juste mais il l’est de moins en moins…A force de brader le patrimoine public et de baisser la fiscalité des plus aisés d’une part, et de s’endetter d’autre part, le patrimoine public net se réduit dangereusement. Fin 2021, le patrimoine net des administrations publiques n’est plus que de 300 milliards d’euros et il est déjà largement négatif pour les administrations centrales. Bientôt, et c’est bien l’objectif de certains néolibéraux, on ne pourra plus arguer du fait que l’on hérite de davantage de patrimoine public que de dettes.
Alors, avant même d’invoquer le patrimoine laissé aux générations futures (et aux générations présentes par la même occasion), il faut comprendre que la dette opère davantage comme un transfert de richesse au sein d’une même génération plutôt qu’entre générations. Deux raisons principales à cela : d’abord nous remboursons continuellement, année après année, les dettes passées. Le remboursement de la dette publique ne prend pas effet dans 20 ou 30 ans mais s’opère en continu. La durée de vie moyenne de la dette publique étant de huit ans, cela signifie qu’un citoyen assiste (et contribue modestement à travers ses impôts) au remboursement puis au réemprunt par l’État de la totalité de sa dette plusieurs fois au cours de sa vie. Par conséquent, la dette est une affaire des générations présents au moins autant sinon davantage que des générations futures. Surtout que les changements de taux sur la dette ont un impact immédiat sur la vie des gens, comme les politiques d’expansion ou d’austérité que nous décidons de mener.
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Ensuite, la dette publique s’apparente à un mécanisme antiredistributif de type « Robin Hood reversed », c’est-à-dire une situation où l’on prend de l’argent aux pauvres pour le reverser aux riches qui touchent les intérêts de la dette en plus de bénéficier des services publics que cette même dette finance. En effet, si tous les citoyens bénéficient des services publics, les riches détenteurs de titres de dette récupèrent les intérêts sur celle-ci tandis que les pauvres ne font que la payer via l’impôt. La dette de quelqu’un, même celle de l’État, est toujours la créance d’un autre, qui transmet cette richesse à ses descendants. Le plus souvent, la dette est détenue par des institutions financières qui sont des personnes morales : la dette permet alors un transfert continu de richesses au profit du secteur financier, qui perpétue et accroît les inégalités. Aussi est-il important de comprendre que, contrairement à ce que répète en boucle la doxa économique, la dette publique n’opère pas tant un transfert de charge entre les générations qu’un transfert de richesse dans la génération présente, comme future, entre les pauvres et les riches.
Alors que faire ? Premièrement, il conviendrait de comprendre que si le budget et la monnaie sont une prérogative régalienne des Etats, on ne voit pas pourquoi ces derniers seraient soumis aux mêmes conditions de financement que les acteurs privés. Si l’Etat dispose de prérogatives particulières en matière d’emploi de la force ou de capacité à lever des impôts, pourquoi en irait-il différemment en matière de financement ? Le recours à un financement monétaire de l’Etat à taux zéro doit être la norme, et pas seulement l’exception comme en période de crise. En outre, certaines dépenses de l’Etat n’ont aucune vocation à générer de la richesse mais sont effectuées au profit du bien commun, comme ce que l’on consacre à la protection des forêts par exemple, et l’on voit mal pourquoi ces dépenses devraient en passer par l’emprunt qui est le mode de financement privilégié des investissements rentables, qui génèrent par eux-mêmes la richesse nécessaire pour rembourser le prêt initial. A cet égard, un avantage majeur de la proposition de monnaie libre que je porte est que, pour la part des dépenses publiques d’intérêt général financée par ce biais, il n’est pas nécessaire de s’endetter sur les marchés, ce qui induit que le transfert de richesse provoqué par la dette devient inopérant.
En tout état de cause, il va falloir vite trouver des solutions pour repenser les conditions de l’endettement public, sans sombrer dans une vision austéritaire contreproductive (j’expliquerai dans un prochain post pourquoi l’austérité est toujours la pire façon de répondre à la dette). A défaut, la remontée des taux d’intérêts, motivée par une vision monétariste étroite et dogmatique des banques centrales, va se traduite par un transfert de richesse inédit de la collectivité vers le secteur financier. Alors que nous payions entre 35 et 45 milliards d’euros d’intérêts sur notre dette publique au cours des dix dernières années, cette somme pourrait doubler voire tripler au cours des prochaines années si les banques centrales continuent leur politique absurde de remontée des taux. Payer 100 milliards d’euros d’intérêts aux marchés financiers par an, soit le double de ce qu’on consacre à l’éducation et le triple de ce qu’on alloue à la défense, est une perspective catastrophique mais elle pourrait rapidement devenir une réalité.
Je ne suis pas compétent mais sais d’expérience qu’une politique d’austérité serait catastrophique pour l’activité économique
Pas sûr d'avoir compris cette formule magique Ainsi l'état pourrait dépenser indéfiniment ? donc tous les pays pourraient se doter à bon compte et sans effort d'infrastructures, de services publics ???? dans le monde actuel dominé par le libéralisme, ça me semble peu probable. La monnaie n'aurait plus aucune valeur .A moins qu'on bascule dans une économie collectivisée ?
Chercheur indépendant en économie écologique. Théoricien / concepteur NEMO IMS, un système monétaire, bancaire et financier au service de l'humain, de la Terre et du vivant.
1 ans1) Sans oublier que chercher à solder une dette financière ne fera qu'augmenter notre dette vis-à-vis dela nature. Puisque la dette aux banques est une promesse d'extraction future. 2) Comme le symbolise cette image, la dette est un mythe de Sisyphe économique dans le sens où seul l'endettement des suivants qui permet de désendettement des précédents. Ainsi la dette ne fait que changer de mains à la façon de la patate chaude. 3) Et comme les niveaux de dettes augmentent avec les intérêts composés, nous allons nous obliger à creuser des trous de plus en plus profonds dans la nature pour combler des trous de plus en plus gros sur nos feuilles de comptabilité.
Consultant en Management et Auteur
1 ansMerci Nicolas, votre texte est limpide et en finit avec le lieu commun néolibéral, l’analogie confusante entre la dette publique et celle d’un ménage. Pour maîtriser ce qui est complexe, il faut d’abord (ré)apprendre la lucidité et vous y contribuez.
Compagnie Européenne de Gestion d'Equipements Commerciaux
1 ansSIC" des économistes ont beau jeu de rappeler qu’en face de la dette, il faut mettre en balance le patrimoine. C’est ce que font notamment les Économistes atterrés : « un Français ne naît pas avec 29 000 euros de dette comme veulent le faire croire les libéraux, mais bel et bien avec 4 529 euros de patrimoine net ». L’argument est juste mais il l’est de moins en moins…A force de brader le patrimoine public et de baisser la fiscalité des plus aisés d’une part, et de s’endetter d’autre part, le patrimoine public net se réduit dangereusement...la dette publique s’apparente à un mécanisme anti-redistributif de type « Robin des bois à l'envers », c’est-à-dire une situation où l’on prend de l’argent aux pauvres pour le reverser aux riches qui touchent les intérêts de la dette en plus de bénéficier des services publics que cette même dette finance. En effet, si tous les citoyens bénéficient des services publics, les riches détenteurs de titres de dette récupèrent les intérêts sur celle-ci tandis que les pauvres ne font que la payer via l’impôt. La dette de quelqu’un, même celle de l’État, est toujours la créance d’un autre"