En Gambie, une proposition de loi pour dépénaliser les mutilations sexuelles féminines
Lundi 4 Mars le parlement gambien examinait une proposition de loi visant à rendre à nouveau légales les mutilations sexuelles féminines, moins de dix ans après leur interdiction dans le pays.
C’est une nouvelle qui devrait tous nous faire bondir. Un mois après la journée internationale de tolérance zero à l'égard des mutilations sexuelles féminines, le parlement gambien a pourtant rouvert les débats sur le bien-fondé de ces actes de torture.
L’excision ou les mutilations sexuelles féminines recouvrent toutes les interventions incluant l'ablation partielle ou totale des organes génitaux externes de la femme ou toute autre lésion des organes génitaux féminins, pratiquées pour des raisons non médicales, le plus souvent sur des jeunes filles âgées entre 0 et 15 ans.
En Gambie, leur interdiction a été le fruit d’un long combat porté par des activistes telle que Jaha Dukureh. Une semaine après sa naissance, cette dernière est victime d’une infibulation: une mutilation qui consiste à rétrécir l’orifice vaginal par recouvrement, réalisé en sectionnant et en repositionnant les petites lèvres, ou les grandes lèvres, parfois par suture, avec ou sans ablation du prépuce/capuchon et gland clitoridien.
C’est lors de son premier mariage forcé à 15 ans qu’elle découvre ce qu’elle a subi bébé : il lui est impossible d’avoir un rapport sexuel. Après de nombreuses tentatives douloureuses et infructueuses elle subit une désinfibulation, pratique consistant à sectionner la cicatrice vaginale réalisée à l'occasion d’une infibulation. Malgré l’opération, les douleurs demeurent. Puis, s’en suit le traumatisme dû à la découverte de l’acte dont elle a été victime. A la suite d’une tentative de suicide, elle rencontre des féministes à New York où elle a été envoyée par sa famille pour se marier. De fil en aiguille, elle parle de ce qu’elle a vécu avec d’autres femmes et crée son ONG Safe Hands.
Fille d’imam et appartenant à l’ethnie soninké, elle trouve le courage de retourner dans sa famille et son pays. Elle sillonne les villages pour sensibiliser les populations aux danger des mutilations sexuelles féminines. Elle rappelle qu’elles ne présentent aucun avantage pour la santé et sont préjudiciables à bien des égards pour les filles et les femmes. Accompagnées de membres de son ONG elles racontent les complications lors des accouchements, les douleurs urinaires, les infections, les troubles psychologiques… ce dont de nombreuses femmes souffrent en silence. Elles échangent aussi avec des exciseuses afin de les informer, conscientes que les femmes excisent en majorité parce qu’on leur apprend que c’est une prescription islamique. Son combat en Gambie et aux États Unis a été filmé et raconté dans le documentaire Jaha's promise.
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En 2015, c’est donc une précieuse victoire lorsque le président Yahya Jammeh annonce avec effet immédiat l’interdiction des mutilations sexuelles féminines, une décision motivée par « l’absence de justification religieuse de cette pratique dans l’islam ».
Mais c’était sans compter l’offensive des religieux, à l’instar de l’imam Abdoulie Fatty qui dans ce pays à grande majorité musulmane prône et diffuse un islam rétrograde et patriarcal. Très influent, depuis plus de 20 ans, celui pour qui « la nomination de femmes en tant que juge va à l’encontre des lois de Dieu », a fait des mutilations sexuelles féminines son cheval de bataille. Dans la presse comme dans les mosquées, il n’hésite pas à appeler au boycott économique et social des activistes qui sensibilisent aux dangers des mutilations sexuelles féminines. Fatty est de ceux qui affirment que l’excision rebaptisée « circoncision féminine » est une prescription religieuse. Il nie la réalité des conséquences de tels actes sur la santé des femmes, au mépris des nombreuses études sur la question.
« Nous nous sommes heurtés à eux à de nombreuses reprises sur cette question de l'excision, car tout ce qu'ils disent à ce sujet n'est pas vrai, et même les médecins musulmans l'ont confirmé. En fait, aucun hôpital de ce pays ne peut confirmer que des femmes sont mortes pendant leur accouchement parce qu'elles étaient excisées. Cette campagne contre l'excision est en fait une lutte contre l'Islam. Mais nous sommes prêts à tout sacrifier et nous n'allons pas reculer d'un pas. » a-t-il déclaré.
C’est au cours du mois de septembre 2023 que son combat s’est intensifié lorsqu’une affaire d’excision a été jugée. Mba-Yasin Fatty, 95 ans et exciseuse, Nano Jalal et Kaddijatou Jallow, les mères des fillettes excisées du village de Niani Bakadagi, (région du fleuve central) ont été condamnées à des amendes de 15 000 Dalasi (200 euros) chacune pour avoir excisé huit fillettes âgées de quatre mois à un an.
L’imam a mené une délégation qui a payé les 35 000 dalasis, soit environ 600 euros, et a déclaré à cette occasion que la campagne contre l'excision dans le pays faisait partie de la lutte contre l'islam et que lui et ses collègues continueraient sans hésitation à défendre cette pratique.
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Le coup de grâce a été donné par le conseil islamique suprême qui a publié une fatwa affirmant la légalité de la circoncision féminine, la qualifiant de « vertu de l’islam » et demandant au gouvernement de reconsidérer l’interdiction.
La YouthHub Africa a lancé dans la foulée une pétition qui a recueilli à ce jour 448 signatures sur 500.
En cette journée de lutte en faveur des droits des femmes, il est plus que jamais nécessaire de rappeler que les mutilations sexuelles féminines ne sont pas et ne seront jamais le pendant de la circoncision masculine
C’est un acte barbare que le droit international a mis près de 40 ans à reconnaitre comme tel. En effet, c’est en 1952 que la commission des Droits de l’homme de l’ONU mentionne pour la première fois la question des mutilations sexuelles féminines. Puis en 1958, le Conseil économique et social de l’ONU pose explicitement la question de l’excision comme un problème relevant de la communauté internationale et celle du préjudice qu’elles entraînent[i]. À cette époque, c’est essentiellement d’un point de vue culturaliste que la pratique est appréhendée, l’OMS refusera d’ailleurs de se saisir de cette question, la considérant alors plus de nature sociale et culturelle que médicale et ne relevant pas de ses compétences[ii]. Il faudra attendre 1977 pour que l’OMS se mobilise en créant un groupe de travail sur les « pratiques traditionnelles ayant effet sur la santé des femmes et des enfants » qui ouvre une réflexion sur les conséquences de l’excision sur la santé des femmes et des filles.
Depuis, les mutilations sexuelles féminines sont unanimement reconnues comme étant des violations graves des droits des jeunes filles et des femmes. Elles sont le reflet d'une inégalité profondément enracinée entre les sexes et constituent une forme extrême de discrimination à l'égard des femmes. Elles sont presque toujours pratiquées sur des mineures et constituent également à ce titre une violation des droits de l'enfant. Le but d’une telle pratique qui précède l’islam est avant tout de contrôler le corps des femmes. On leur coupe la possibilité de ressentir du plaisir et du désir avec toutes les conséquences néfastes sur la santé sexuelle et reproductive. Et cela, lorsque les victimes n’en meurent pas.
Aussi, si pour de nombreux juristes ce projet de loi qui devrait faire l’objet d’une seconde lecture le 18 mars, a peu de chance d'aboutir, la Gambie ayant ratifié le protocole de Maputo qui engage les pays signataires à garantir les droits des femmes dont la fin des mutilations génitales féminines, il n’en demeure pas moins que cette tentative dans un pays où le rigorisme religieux s’est considérablement enraciné devrait tous nous faire réagir.
Car malgré l’interdiction, près de 72.6 % des Gambiennes ont subi une mutilation génitale féminine en 2020 selon la banque mondiale, 75% en 2021 selon l'Unicef.
Pour que les interdictions soient efficaces, les fake news et les idées reçues doivent être au cœurs des campagnes de sensibilisation. La condamnation par les autorités religieuses nationales, régionales et internationale est plus que jamais nécessaire pour venir à bout de ce fléau qui contrairement aux idées reçues ne concernent pas uniquement l’Afrique mais aussi le Moyen Orient et l’Asie. La vigilance est donc de mise.
Atouma Awa Diarra
[i] Résolution 680-XXVIBII Conseil économique et social des Nations unies, ONU, 1958
[ii] Nations unies, 1959
Journaliste, président d'Africultures
10 moisBravo et merci pour cet article