En séance, je parle chiffon !
Après une série d’éducation au lavage de main, ce mois-ci j’ai décidé de discuter du port de masque avec chaque patient qui vient au cabinet.
Pourquoi
Je suis kiné. Je suis donc un professionnel de santé avec un rôle d’éducation à la santé.
Déjà pour ma connaissance personnelle, j’ai voulu synthétiser les bonnes pratiques en matière de masque.
De plus, j’ai besoin d’un argumentaire solide face aux interlocuteurs que je croise (au cabinet ou à l’extérieur) et qui ne me semblent pas respecter les bons usages. Plus mes arguments seront précis et documentés, plus je serai à l’aise pour exprimer calmement et habilement une vision différente de celle de mon interlocuteur.
L’ordre des kinés a communiqué sur le bon lavage de mains, mais rien sur les masques, information que je n’ai pas trouvée non plus par ailleurs. (Si vous avez des documents conçus pour le grand public, je suis preneuse)
Enfin, dans cette période de dissémination qui dépasse les prévisions, l’importance du bon port de masque prend tout son sens dans une action d’éducation thérapeutique.
Objectifs de la création d’une fiche-synthèse
- Servir de point de départ à une discussion ouverte, pour compléter les connaissances en matière de port du masque, les préciser, voire les modifier
- Répéter l’information : premier abord écrit puis discussion
- Expliquer d’une part l’intérêt du port de masque
- Détailler d’autre part les grands types de masque et les bonnes pratiques
Création et utilisation de cette fiche-synthèse
J’ai collecté les informations à partir des normes AFNOR de confection des masques artisanaux, ainsi que du chapitre sur les équipements de protection respiratoire face au risque biologique de l’INRS.
- AFNOR SPEC S76-001 - Masques barrières - Guide d'exigences minimales, de méthodes d'essais, de confection et d'usage - Fabrication en série et confection artisanale - Version 1.10, avril 2020 (masques-barrieres.afnor.org)
- INRS - Masques de protection respiratoire et risques biologiques : foire aux questions (http://www.inrs.fr/risques/biologiques/faq-masque-protection-respiratoire.html)
- Et j'y ai ajouté le visuel « Protégeons-nous, portons tous des masques » (https://www.gouvernement.fr/info-coronavirus/masques-grand-public).
J’ai synthétisé ces informations en une page A4 que j’ai fait relire autour de moi.
Cette synthèse est affichée dans les sanitaires du cabinet où chaque patient passe pour un lavage de main dès son entrée dans les lieux.
Je demande à chacun de la lire (temps masqué pendant le lavage de mains) pour ensuite en discuter pendant la séance. Je prends 5-10mn en milieu-fin de séance pour échanger avec le patient.
Le moment est choisi pour que le patient puisse s’exprimer (donc pas pendant un travail en bouche lors des rééducations maxillo-faciales, pas lorsque je cherche à ce que le patient lâche prise et se détende, pas lorsqu’il est à plat ventre, pas lorsque le niveau émotionnel ou critique par rapport à la problématique de santé du patient est trop fort, pas non plus trop tard dans la séance ce qui ne laisserait pas suffisamment de temps d’échange).
J’engage la conversation avec des questions ouvertes, par exemple :
Vous avez lu la fiche sur le port de masque, y avez-vous appris quelque chose ?
Au mieux la reformulation du patient de ce qu’il savait, ou sinon la mienne des points-clefs permet alors de confirmer les connaissances acquises, voire d’affiner certains points.
Je reviens alors sur le « pourquoi » de ma part d’afficher et de discuter de ces points :
- l’importance pour moi qu’au cabinet les gestes barrières soient appliqués au mieux,
- l’importance pour chacun de se protéger en toute connaissance de cause, c’est-à-dire à la fois de se munir d’une protection respiratoire optimale mais aussi de savoir évaluer celle des interlocuteurs, pour potentiellement conserver des distances plus importantes parfois.
Et je questionne sur ce que chacun pense de sa protection respiratoire, par exemple :
Estimez-vous que votre masque vous protège au mieux ?
Cette question permet de faire reformuler, ou de rappeler les points-clefs de bonne pratique en matière de port du masque déjà discutés auparavant :
- Couverture nez-bouche-menton
- Brides suffisamment serrées pour contribuer au bon ajustement sur le visage
- Durée de vie des masques
- Si en tissu, nombre de couches minimum, tenue aux lavages non infinie
- Visière non suffisante
Constatations
Certaines notions ne sont pas si claires au sein de ma patientèle :
- Le terme de « masque chirurgical » n’est pas forcément connu du grand public, qui l’appelle plutôt le « masque bleu » (nécessité d’ajouter un visuel sur le support écrit ou de préciser à l'oral).
- La notion de durée de vie limitée des masques artisanaux semble essentielle à repréciser : souvent oubliée ou inconnue. Avec la prise de conscience du suivi nécessaire sur le nombre de lavages.
- L’inefficacité d’une visière en tant que protection respiratoire semble évidente pour certains (y compris les enfants « mais oui c’est évident, ça peut passer » 😉), mais pas pour ceux qui ont vu des présentateurs ou des politiques en porter à la télé.
- La notion qu'il faut considérer chaque interlocuteur (et soi-même) comme potentiellement infecté, et donc contagieux, a provoqué une prise de conscience chez plusieurs.
- L'idée qu' "un masque acheté est forcément adapté" est parfois discutée de façon constructive : avec par exemple une prise de conscience de la nécessité d'adaptation de la longueur des brides ou élastiques, ou encore de l'inadaptation parfois à la forme du visage.
Les réactions sont plutôt positives :
- Intérêt et clarté. Possibilité d'échange sur des questions complémentaires.
- Prise de décision plus posée quant à une situation où les 2 interlocuteurs n’ont pas un masque qui semblerait correct => distance supérieure à 1,5m.
- Demande du support pour échanger dans leur entourage.
Pour quelques patients que je ciblais sur de mauvaises pratiques, les réactions sont différentes :
- Pas ou peu d’intérêt pour le sujet, patient déjà débordé par d’autres aspects de sa vie.
- Posture d’autojustification ou de critique envers les autres (que je vois comme des réactions de défense face à une information qui les met en défaut).
Je sais que je reviendrai avec ces quelques patients sur le sujet au fil de prochaines séances...