Energie solaire : se réapproprier l’écologie (Antoine Huard & PFS)

Outre le gaz (pour le chauffage des bâtiments principalement) et le pétrole ou le diesel (pour les transports), notre modèle énergétique repose essentiellement sur l’électricité, produite principalement par nos centrales nucléaires. C’est ce qui assure à la France un mix énergétique exemplaire au regard des engagements mondiaux pour la lutte contre le changement climatique, et une souveraineté énergétique indispensable

Une autre source d’énergie, très complémentaire, est aujourd’hui à regarder avec intérêt : le solaire photovoltaïque. De plus en plus rentable, basée sur une technologie de plus en plus mûre, cette source d’énergie peut désormais être envisagée comme un complément indispensable de notre mix énergétique, et une occasion pour les Français de se réapproprier leur responsabilité écologique.

Une source d’énergie devenue rentable

Il est toujours délicat de comparer les prix des différentes sources d’électricité, car les écueils sont nombreux – à commencer par celui qui consiste à comparer des prix qui ne sont pas comparables : par exemple, en confondant le prix d’ouvrages neufs et le prix d’ouvrages amortis, ou bien encore le prix en phase d’amortissement ou le prix sur toute la durée de vie.

En ce qui concerne les ouvrages neufs, les récents appels d’offre de la Commission de régulation de l’énergie ont révélé un prix de l’électricité photovoltaïque entre 52.1 € / MWh et 83,8 € / MWh, selon la puissance fournie, un coût divisé par 5 en 8 ans. Il s’agit de contrats de 15 ou 20 ans, à l’issue desquels ces centrales sont amorties et l’électricité est ensuite vendue au « prix de marché » (actuellement de l’ordre de 40 € / MWh). A titre de comparaison, les mêmes appels d’offres pour l’éolien ont abouti à des prix de 65.4 € / MWh (installations terrestres) et 200 € / MWh (installations offshore). Pour les nouvelles centrales nucléaires, le prix de l’électricité anticipé est de l’ordre de 100 € pour l’EPR Hinkley Point au Royaume-Uni, un contrat d’une durée de 35 ans. En ce qui concerne les ouvrages existants, le coût complet du nucléaire en France, y compris dans un scénario optimal de prolongation de la durée de vie des centrales à 50 ans, a été évalué par la Cour des comptes à 61.6 € / MWh en raison du coût des « carénages » et de la montée en puissance des exigences de sécurité.

C’est la spécificité technologique de l’énergie solaire qui assure cette rentabilité économique. En effet, l’ensemble des moyens de production utilisés jusqu’alors reposaient sur le même principe : produire de l’électricité à partir de machines tournantes (rotor pour l’éolienne, turbines pour les centrales nucléaires et les barrages). A contrario, l’effet photovoltaïque consiste à canaliser l’énergie issue des interactions entre la lumière et un matériau semi-conducteur pour générer une tension ou un courant électrique. Il s’agit d’une différence fondamentale entre les machines tournantes (physique classique), et l’effet photovoltaïque (physique quantique). Cette caractéristique intrinsèque confère au panneau solaire photovoltaïque deux avantages structurants : 

  • En premier lieu, ses coûts suivent une évolution similaire à celle des micro-processeurs, transistors et autres composants électroniques – c’est-à-dire une baisse vertigineuse et dont le potentiel est loin d’être épuisé : la baisse du prix des panneaux solaires se poursuit sans discontinuer (de 5 €/Wc en 2006 à moins de 0,25 €/Wc en 2018).
  • En second lieu, et surtout, sa compétitivité n’est pas fonction de sa taille : le même panneau photovoltaïque, produit dans la même usine, peut être vendu en un exemplaire à un particulier voulant équiper sa maison, ou en centaines de milliers d’exemplaires à un industriel construisant un ouvrage de production d’électricité solaire alimentant une ville entière. Les progrès techniques réalisés au niveau de chaque composant d’un panneau bénéficient ainsi aux petites unités comme aux grandes. Cela rend possible la production d’énergie compétitive par des installations à très petite échelle (par exemple un immeuble collectif) là où l’ensemble des autres sources d’électricité nécessitent des grandes unités industrielles pour être compétitives (qu’il s’agisse de centrales nucléaires, de centrales thermiques ou de fermes éoliennes).

Complément indispensable du photovoltaïque, le stockage de l’électricité reste nécessaire pour pallier l’intermittence intrinsèque des énergies renouvelables sur des cycles de court ou moyen terme. Sur ce segment, la France est le dernier pays en Europe à disposer d’une capacité industrielle (avec BlueSolutions, filiale de Bolloré, et Saft, filiale de Total) de production de batteries, dont les coûts baissent significativement et qui permettent de répondre aux besoins de court-terme générés par l’intermittence sur les réseaux. La recherche dans ce domaine doit donc être largement favorisée, dans les batteries mais aussi dans les solutions dites « power to gas » permettant de répondre aux besoins de flexibilité de moyen-terme en convertissant l’énergie électrique sous forme gazeuse puis en la stockant dans les réseaux actuels de transport et de stockage de méthane, dont l’utilisation actuelle est justement amenée à décroître avec la demande de gaz naturel.

Les perspectives offertes par le stockage, associées aux deux facteurs évoqués plus haut, expliquent que l’énergie solaire peut offrir une électricité bon marché y compris avec des projets de petite tailleancrés dans les territoires : si l’équipement de maisons individuelles reste plus onéreux que des installations de taille plus importante, un équipement investi par un bassin de vie – quartier, commune, collectivité locale – permettrait en revanche aux consommateurs de se saisir à nouveau collectivement de la question de leur responsabilité écologique tout en faisant diminuer leur facture.  

Vers un système électrique décentralisé 

Le développement de l’énergie solaire permet d’envisager le passage d’un système de production centralisée (dans lequel des grandes centrales délivrent de l’électricité à un consommateur passif), à un système de production décentralisée. On opère ainsi un rapprochement considérable entre la source de production d’électricité et le point de consommation. D’autant plus que la production n’a plus nécessairement à être massifiée : s’il fallait l’envergure d’un EDF pour déployer notre parc nucléaire, une simple PME suffit à équiper de panneaux solaires une toiture d’habitation ou un parking de centre commercial. 

Conséquence de cette évolution, un modèle est amené à prendre son essor : l’autoconsommation. Les bassins de vie (au niveau d’un quartier, d’une commune, voire même d’une co-propriété) peuvent disposer de leurs propres capacités de production gérées collectivement par un service public impliquant directement les consommateurs. L’électricité produite est consommée par ce bassin de vie au moyen d’un réseau local, géré « intelligemment » grâce aux outils numériques afin de lisser les consommations et inciter à la sobriété. Le réseau centralisé existant, rémunéré au forfait plutôt qu’à l’utilisation comme aujourd’hui, et alimenté notamment par les centrales nucléaires, continuerait d’assumer une fonction assurantielle permettant de pallier une déficience éventuelle de la production locale – notamment en raison de son intermittence.

Ce modèle d’autoconsommation possède plusieurs vertus. 

D’une part, il est propre. Il faut rappeler que 94% des panneaux solaires ne contiennent pas de terres rares mais sont constitués de silicium, deuxième matériau le plus abondant de la croûte terrestre, et recyclable selon une technique parfaitement maîtrisée. Le bilan carbone de leur production (55 grammes de CO2 équivalent par kW/h produit) est supérieur au nucléaire (6 g/kWh) et l’éolien (15 g/kWh), mais reste inférieur au mix électrique moyen métropolitain (79 g/kWh) et dans le monde (430 g/kWh) . Par ailleurs, l’empreinte du photovoltaïque sur son environnement immédiat est très modéré : elle ne produit pas de nuisances sonores et son impact paysager est moindre que celui de l’éolien. Surtout, cette empreinte possède l’avantage d’être beaucoup plus aisément réversible que celle d’autres ouvrages de production d’énergie qui mobilisent de grandes quantités de béton, tandis que le démantèlement d’une centrale solaire rend le terrain dans son état initial. 

D’autre part, il est responsabilisant : grâce à lui, un bassin de vie peut réellement se réapproprier de manière collective, à plus petite échelle que le grand réseau centralisé ne le permet, la question de son mode de vie et de consommation électrique. En rapprochant l’acte de consommation de sa conséquence immédiate, l’autoconsommation permet d’éviter que le consommateur n’externalise anonymement les effets de sa consommation. Cela peut être l’un des leviers de réduction de la consommation d’énergie et vers plus de sobriété. C’est aussi une occasion de transformer la politique locale en véritables projets rassemblant les citoyens autour de problématiques très concrètes.

Enfin, l’autoconsommation est également une filière d’excellence pour laquelle la France peut se positionner. Notre pays dispose d’avantages comparatifs sur toute la chaîne de valeur : développement de projet, ingénierie, onduleurs, transformateurs, génie civil, financement, stockage de l’électricité. C’est aussi un enjeu écologique mondial. Si le mix français est déjà très décarbonné, les opportunités de l’énergie solaire dans les pays en voie de développement (en Afrique notamment), qui menacent le plus de ne pas respecter les objectifs fixés dans les accords sur le climat, n’est plus à démontrer. 

Antoine Huard & PFS


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