Enfin une critique sur l'entreprise libérée !

Jusqu'ici il n'y avait que des éloges(dont les miens d'ailleurs) sur la nécessité et l'efficacité de faire appel à l'intelligence des collaborateurs, à développer les forces cachées de l'entreprise. Il est bien que se fasse entendre une voix non pas discordante mais qui relativise et tempère certains enthousiasmes.

c'est l'objet d'un entretien paru dans Le Monde daté du 27 Octobre et que je joins à ce post afin de lancer le débat et recueillir votre point de vue 

« Supprimer la hiérarchie, c’est la solution de facilité à éviter »

LE MONDE | 25.10.2015 à 19h13 • Mis à jour le 26.10.2015 à 16h51 | Propos recueillis par Margherita Nasi 

 " La hiérarchie, ce n’est pas que surveiller et punir, c’est aussi régler, intervenir positivement, récompenser."

Le sociologue Erhard Friedberg, cofondateur, avec Michel Crozier, de l’Ecole française de sociologie des organisations et professeur émérite des universités à Sciences Po, explique les conséquences attendues de la suppression de la hiérarchie dans les entreprises.

On entend beaucoup parler d’entreprises libérées. Est-ce une nouvelle mode, ou une vieille idée qui refait surface ?

Erhard Friedberg.- Les deux à la fois : dans les années 1970, on parlait à gauche d’autogestion, à droite d’enrichissement du travail et d’équipes semi-autonomes, sous l’influence de gourous américains, comme Douglas McGregor, qui soulignaient le besoin d’autoaccomplissement des individus.

C’est sur ce même raisonnement que s’appuient aujourd’hui les thuriféraires de l’organisation libérée : il faudrait casser la chaîne, déparcelliser la production, fonctionner en groupe sans chef d’équipe. Seul le slogan est nouveau, sans qu’on sache très bien ce qu’il recouvre. A priori, il s’agit du premier niveau de hiérarchie, la hiérarchie dite « de proximité », qui ne serait plus nécessaire.

Ce discours relève-t-il du mythe ou de la réalité ?

Cette vision de la hiérarchie de proximité comme ennemie de l’autonomie n’est plus d’actualité, et depuis très longtemps ! La hiérarchie n’est pas la force d’oppression principale dans l’entreprise. Ce sont les services de méthode, de sécurité, d’accident de travail, les ressources humaines… Voilà qui crée de vrais problèmes, et, dans ces cas, la hiérarchie de proximité est plus un appui qu’une force de contrainte.

Transformer la chaîne de production est une noble idée, mais la division du travail ne disparaîtra pas pour autant et elle implique de l’interdépendance. La gestion de cette interdépendance est un vrai problème que vous ne pouvez pas faire disparaître. Ce n’est pas la hiérarchie qui crée ce problème, c’est la nature même du travail.

Il y a pourtant des entreprises libérées qui ont connu un certain succès : leur chiffre d’affaires a augmenté, leur taux d’absentéisme a baissé…

On oublie de dire que ces démarches s’accompagnent de licenciements. Ceux qui n’acceptent pas le nouveau système sont mis à la porte. On a déjà analysé, dans les années 1970, les entreprises réorganisées en équipes semi-autonomes, deux fois sur trois cela soulève des problèmes. Notamment une détérioration des relations, les gens se surveillent les uns les autres. Il n’y a plus de patron pour dire à votre voisin qu’il ne travaille pas, c’est à vous de le faire. Votre collègue ne va pas apprécier, et le climat se détériore très vite.

PRÉSENTER LA MORT DE LA HIÉRARCHIE COMME UNIQUE SOLUTION POUR LA LIBÉRATION DES OUVRIERS DÉNOTE UNE MÉCONNAISSANCE DU RÔLE SOUVENT INGRAT DE LA PETITE HIÉRARCHIE. C’EST UN DISCOURS TENU PAR DES CONSULTANTS QUI NE SONT JAMAIS ALLÉS DANS LES ENTREPRISES

Supprimer la hiérarchie, c’est supprimer l’intermédiaire régulateur. Les libéraux condamnent l’Etat qui empêche le marché de fonctionner. D’autres estiment qu’un marché a besoin d’être régulé par l’intermédaire de l’Etat. Avec la hiérarchie, c’est pareil. En la supprimant, on instaure une libre compétition entre les personnes. La hiérarchie, ce n’est pas que surveiller et punir, c’est aussi régler, intervenir positivement, récompenser.

Dans les années 1960, on parlait énormément d’une fonderie dans le Poitou organisée en groupes semi-autonomes. La productivité avait augmenté certes, mais les relations sociales étaient tendues. Sans oublier que le fonctionnement d’une organisation produit de toute façon des gens qui sont importants, car ils apportent une contribution dont les autres ont besoin.

Donc abolir complètement la hiérarchie serait impossible ?

Evidemment. C’est la dernière niaiserie : faire comme si la hiérarchie formelle était l’alpha et l’oméga de l’organisation. Alors qu’elle est souvent contredite par une hiérarchie informelle. L’exemple canonique, c’est la manufacture de tabac de Crozier. Les vrais chefs, c’étaient les ouvriers d’entretien, qui avaient le pouvoir de réparer les machines. Les chefs d’atelier étaient à leur merci en cas de panne, ils étaient retirés dans leurs bureaux et n’avaient aucune autorité sur le fonctionnement quotidien de l’entreprise.

Est-il alors possible de réformer le modèle hiérarchique pyramidal ?

Je ne dis pas qu’une réorganisation du travail ne peut pas avoir de conséquences positives. Mais un tel processus demande un pilotage, notamment de la hiérarchie de proximité. Il faut discuter avec les cadres de proximité, les chefs d’atelier, leur demander comment ils pourraient faire leur travail autrement. Ils ont des tas d’idées ! Présenter la mort de la hiérarchie comme unique solution pour la libération des ouvriers dénote une méconnaissance fondamentale du rôle souvent ingrat de la petite hiérarchie. C’est un discours tenu par des consultants qui ne sont jamais allés dans les entreprises et par des cadres supérieurs qui trouvent leur compte dans la condamnation de cette hiérarchie de proximité.

Comment vont évoluer les organisations dans les années à venir ?

Les structures ne vont pas se simplifier, mais se complexifier. Il y aura plus de contraintes. Avec la multiplication des normes et l’intellectualisation du travail, le nombre de spécialités fonctionnelles va augmenter. Paradoxalement, la hiérarchie aura un rôle moindre. Toutes ces personnes qui pensent la production et injectent des contraintes dans le processus voudront être en relation directe avec la chaîne de production sans passer par le chef, qui devient tout simplement un agent de discipline. Au détriment des personnes qui sont sur la chaîne de production : la hiérarchie n’est plus là pour jouer son rôle d’arbitrage.

La suppression de la hiérarchie, c’est la solution de facilité qu’il faut éviter. Comment garder une structure d’encadrement riche, qui ait un vrai rôle ? Voilà la vraie question.

Hubert de LORMONT

Directeur Associé chez HDL CONSEIL

9 ans

Donner de l'espace, ce n'est pas la liberté de faire ce que l'on veut mais cela permet les initiatives des équipes. J'ai toujours dit qu'il fallait mieux calmer les intempestives volontés que pousser les collaborateurs à agir !

Thierry Marois

Expert en dynamique humaine

9 ans

Qui ici pense que les entreprises utilisent à 100% le talent et les énergies de chacun ? Entre les rigidités organisationnelles, informatiques, le poids souvent excessif des hiérarchies... 30-40 % des potentiels sont utilisés, et encore ... Bien sûr que l'Entreprise Libérée est un concept, et donc irréelle. Par contre libérer chaque entreprise un peu plus est réel, et salutaire ! Faire travailler chaque manager pour mieux gérer les énergies autour de lui, responsabiliser chacun, libérer l'innovation, favoriser la remise en question, ...

Frédéric Chateau

Quantify Human Factor - Data Intelligence

9 ans

L'entreprise libérée n'est pas l'autogestion et surtout pas l'autogestion permanente. Il est intéressant intellectuellement de la caricaturer pour en éviter les excès, mais je pense qu'aucun entrepreneur ou manager impliqué dans l'holocratie et les autres dérivés visant à mobiliser l'intelligence collective et les potentiels individuels, n'a fait autre chose qu'ouvrir des possibilités qui étaient jusqu' là fermées ... mais pas toutes, pas toutes. Merci en tout cas pour cette réflexion vivifiante.

Vanessa Ditta

Stratégies d'entreprises

9 ans

Je ne pense pas que ce soit une bonne idée de supprimer la hiérarchie. La société en général à besoin de structure, de suivre un même sens. Car ne plus avoir de hiérarchie va poser un problème également sur les salaires et les responsabilités et implication de chacun... Ce qui doit surtout changer à mon avis c'est la façon de manager et on a du pain sur la planche en France a ce sujet.

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