Entraide administrative et imposition d’après la dépense : le Tribunal administratif fédéral une nouvelle fois débouté par le Tribunal fédéral !

Dans un arrêt du 7 juin 2019 (2C_764/2018), le Tribunal fédéral (TF) a une nouvelle fois donné tort au Tribunal administratif fédéral (TAF) s’agissant du mode d’imposition. Ce cas concerne une personne soumise à l’imposition à forfait, dans le contexte de la convention de double imposition signée entre la Suisse et l’Espagne. Le TF estime que le mode d’imposition constitue une information vraisemblablement pertinente.

Sur recours de l’Administration fédérale des contributions (AFC), le TF a une nouvelle fois dû se pencher sur la question de savoir si le mode d’imposition du contribuable constitue une information vraisemblablement pertinente dans le contexte de l’entraide administrative suite à une demande des autorités fiscales espagnoles sur la base de l’art. 25bis de la convention de double imposition signée entre la Suisse et l’Espagne (CDI CH-ES). Alors que le TAF avait estimé de son côté que l’information suivant laquelle une personne soumise à l’imposition d’après la dépense (impôt à forfait) ne constituait pas une information vraisemblablement pertinente pour déterminer la résidence fiscale des contribuables, le TF confirme à nouveau dans son arrêt du 7 juin 2019 que le mode d’imposition représente bien au contraire un renseignement vraisemblablement pertinent qui doit être transmis aux autorités requérantes espagnoles dans le cadre d’une demande d’entraide administrative.

Ce faisant, le TF renforce sa jurisprudence du 1er février 2019, dans laquelle il a admis que le fait d’être imposé d’après la dépense constituait une information qu’il convenait de transmettre aux autorités fiscales françaises. A cette occasion, le TF s’était appuyé sur l’art. 4 par. 6 let. b CDI CH-FR qui prévoit qu’une personne imposée d’après une dépense calculée sur la base de la valeur locative de la propriété n’est pas considérée comme résidente au sens de l’art. 4 CDI CH-FR. Ainsi, le TF concluait que l’information suivant laquelle une personne était soumise à l’imposition d’après la dépense constituait dès lors une information vraisemblablement pertinente du fait de l’exclusion de la résidence fiscale prévue par la CDI CH-FR elle-même.

La grande différence dans l’arrêt du 7 juin 2019 est bien évidemment le fait que la CDI CH-ES ne contient absolument aucune disposition conventionnelle similaire à l’art. 4 par. 6 let. b CDI CH-FR. Toutefois, le TF estime qu’en communiquant l’information selon laquelle les contribuables ont été imposés d’après la dépense, l’AFC a simplement répondu à une question pertinente de l’autorité requérante, visant à savoir sur quelle base les contribuables ont été imposés en Suisse. Cela permet d’informer que les contribuables n’ont pas été imposés sur leurs revenus effectifs, mais sur une base substitutive. Cette information serait pertinente pour l’autorité requérante, qui cherche à vérifier si les contribuables résident fiscalement en Suisse et s’ils y exercent une activité professionnelle.

De plus, le renseignement selon lequel le contribuable ne peut pas exercer une activité lucrative en Suisse en raison précisément du mode d’imposition est une information pertinente dans la mesure où ce renseignement indique que le contribuable n’a pas réalisé de revenu d’une activité lucrative en Suisse. En revanche, le TF admet que l’indication du montant de la dépense imposable retenue par les autorités fiscales ne constitue pas un renseignement vraisemblablement pertinent, puisque cela ne donne aucune indication sur les revenus réalisés par les contribuables. Cette information n’a donc pas à être transmise.

Une fois encore, cet arrêt du TF ne manque pas de surprendre et suscite quelques perplexités.

En premier lieu, le fait de transmettre l’information sur le mode d’imposition a déjà fait l’objet de critiques virulentes. Or, le TF n’a pas jugé utile de répondre à ces critiques et justifier sa position. On aurait pu s’attendre à un argumentaire solide afin d’expliciter ce point de vue hautement contesté. Sur cet aspect, notre Haute Cour déçoit.

Ensuite, à la lecture de cet arrêt, on saisit mal en quoi le mode d’imposition constitue un renseignement vraisemblablement pertinent, alors que la CDI CH-ES ne prévoit aucune disposition conventionnelle similaire à l’art. 4 par. 6 let. b CDI CH-FR, dans laquelle la question de la résidence et du mode d’imposition sont évoqués. Dans l’arrêt du 1er février 2019, cette information paraissait vraisemblablement pertinente en raison précisément de cette disposition conventionnelle toute particulière. S’agissant d’une question relative à la résidence fiscale, le mode d’imposition - au regard même de la CDI CH-ES - n’a aucune espèce d’importance. Sur cet aspect, les arguments du TF sont faibles voire inexistants.

Enfin, le TF estime que l’information suivant laquelle le contribuable ne peut pas exercer d’activité lucrative, du fait de son mode d’imposition, constitue une information vraisemblablement pertinente, alors que les autorités fiscales espagnoles souhaitent savoir s’il y a une activité économique ou professionnelle en Suisse. Or, il aurait simplement suffi de signaler que le contribuable n’exerce aucune activité professionnelle générant des revenus en Suisse sans devoir le justifier par le mode d’imposition.

Sur ce dernier aspect, il est difficile de comprendre le glissement consistant à affirmer que le fait de ne pas être imposé sur les revenus réels mais sur une dépense imposable constitue une information permettant de déterminer la résidence fiscale. En effet, il n’a sans doute pas échappé au TF que la détermination de la base imposable ne constitue pas un critère d’assujettissement illimité en vertu des dispositions du droit fiscal suisse.

Une fois encore et cela devient inquiétant, force est de constater que le TF donne systématiquement tort au TAF. À l’évidence, il y a une différence philosophique majeure sur la portée et l’interprétation de l’entraide administrative. Il apparaît clairement que l’entraide administrative en matière fiscale doit être aussi large que possible pour le TF. De son côté, le TAF adopte une approche stricte et étayée des dispositions conventionnelles applicables dans un souci de bien circonscrire les demandes d’entraide administrative. Cette contradiction devient de plus en plus difficile à comprendre.

https://www.bger.ch/ext/eurospider/live/de/php/aza/http/index.php?lang=de&type=highlight_simple_query&page=1&from_date=&to_date=&sort=relevance&insertion_date=&top_subcollection_aza=all&query_words=2C_764%2F2018&rank=1&azaclir=aza&highlight_docid=aza%3A%2F%2F07-06-2019-2C_764-2018&number_of_ranks=1&zoom=YES&

Cedric Portier

Tax Partner at Gros&Waltenspuhl (Lausanne - Geneva)

5 ans

Merci pour cette analyse, étayée et circonstanciée!

Nous savons que le TF roule de manière indiscriminée pour l'AFC et que cette dernière a avantage à faire recours systématiquement sachant qu'elle a plus de 90% de chance de voir sa position validée. Ce n'est pas moi qui le dit mais une étude ad-hoc de l'université de Lausanne. Il serait bon que notre parlement se penche sur cet "aveuglement" et rappelle le TF à l'ordre.

Anabelle Koch

Responsable du Centre de compétence Economique Personnes Physiques chez Etat de Vaud

5 ans

Excellent.

excellente analyse

Identifiez-vous pour afficher ou ajouter un commentaire

Plus d’articles de Thierry De Mitri

Autres pages consultées

Explorer les sujets