Entre « quand la France s’ennuie » du Monde du 15 mars 68 et « quand la France s’arrête » du 5 décembre 2019, que s’est-il passé ?

Entre « quand la France s’ennuie » du Monde du 15 mars 68 et « quand la France s’arrête » du 5 décembre 2019, que s’est-il passé ?

Le 15 mars 1968 Pierre Viansson-Ponté, patron du « Monde », écrivait : « Quand la France s’ennuie… Ce qui caractérise actuellement notre vie publique, c’est l’ennui. Les Français s’ennuient. Ils ne participent ni de près ni de loin aux grandes convulsions qui secouent le monde, la guerre du Vietnam les émeut, certes, mais elle ne les touche pas vraiment… Le conflit du Moyen-Orient a provoqué une petite fièvre au début de l’été dernier… Les guérillas d’Amérique latine et l’effervescence cubaine ont été, un temps, à la mode… De toute façon, ce sont leurs affaires, pas les nôtres… La jeunesse s’ennuie… Quant aux jeunes ouvriers, ils cherchent du travail et n’en trouvent pas… Heureusement, la télévision est là pour détourner l’attention vers les vrais problèmes : l’état du compte en banque de Killy, l’encombrement des autoroutes, le tiercé. »

Le 5 décembre 2019 s’annonce mal pour ceux qui veulent aller au travail ou mener leurs enfants à l’école. Il s’annonce bien pour les syndicats, « gilets jaunes » et partis politiques, relayés par les médias. Il est craint par « le pouvoir ». On nous promet nombre de cohortes, de manifestants, de slogans incendiaires et de voitures incendiées, plus des arrestations. En France cependant, mais ceci n’intéresse personne, la croissance n’est pas si mauvaise : 1,3% contre 0,5% en Allemagne et 0,3 % en Italie. L’emploi privé augmente de 54 000 au troisième trimestre et de 263 000 sur un an. Certes le taux de chômage reste élevé (8,6% contre 3,1% en Allemagne et 9,9% en Italie), mais le pourcentage des 15-64 ans en emploi monte : 64,2% en 2016, 64,7% en 2017, 65,4% en 2018. Bref les choses vont mieux, mais ce n’est pas le problème.

Les jeunes de 68 qui voulaient faire la révolution se battent, cinq décennies plus tard, pour faire payer leurs victoires d’alors : la hausse du Smic de 68, la semaine de 35 heures et la retraite à 60 ans de 81 ! Certes, droite et gauche se sont efforcés de revenir dessus, mais « les régimes spéciaux » font de la résistance, ultime donjon. Employés de la SNCF et de la RATP veulent partir à 55 ans en retraite ! Pour les calmer, les autorités ont pensé à la « clause de grand-père » qui ferait commencer le nouveau système aux nouveaux embauchés !

C’est là l’écart entre 68 et 2019 : le capitalisme est toujours là. Il a gagné la Chine, le Vietnam, le Cambodge, sous des formes évidemment différentes des Etats-Unis et d’ici. Mais ici, une question apparaît : qui paiera pour les « victoires » de 68 et de 81, que devient la France ? Qui paiera : le grand capital, les riches ? Non : les petits-fils et petites filles des grands-pères et grand-mères de 2019 !

Que devient la France : un pays surendetté et qui dévisse du podium mondial, avec l’Europe ? Oui : la dette publique française officielle va vers 100% du PIB et monte. Pourquoi « officielle » : parce qu’elle oublie les retraites des fonctionnaires, les dettes « reprises » par l’état (nous) pour la SNCF et bientôt pour l’hôpital, sans compter les fermetures des centrales nucléaires, plus le reste. Au total, on demandera 200 milliards aux marchés financiers en 2020, record de la zone euro avec l’Italie.

La France, pays qui dévisse du podium mondial, avec l’Europe ? Oui : ce sont les lois de l’économie et de la démographie qui jouent. La Chine rattrape le peloton, offrant au monde un exemple rare de croissance forte et quasi ininterrompue. Son PIB pourrait rattraper les États-Unis dans dix ans, alors qu’il était au-dessous de celui de la France en 1964, quand les deux nouaient des relations diplomatiques : 95 milliards de dollars pour la France, contre 60 pour elle à l’époque, 2780 contre 13700 aujourd’hui ! Du PIB a coulé sous les ponts.

Bien sûr, on ne s’ennuie pas avec « les gilets jaunes », Greta Grunberg et les jeunes de Hong-Kong. Mais on peut s’inquiéter de l’écart qui naît entre le prix des « victoires d’hier » et le champ de bataille mondial actuel. Quel rebond ? Quelle mobilisation d’énergies ? Quelle unité en France et en Europe ? Quelles alliances ? « Les empoignades, les homélies et les apostrophes des hommes politiques de tout bord paraissent à tous ces jeunes, au mieux plutôt comiques, au pire tout à fait inutiles, presque toujours incompréhensibles. » poursuivait Viansson-Ponté en 68. Aujourd’hui, Macron est clair sur les efforts à faire. C’est donc bien lui qui nous ennuie !


Reel mal-être

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