Entre Utopie et Dystopie, le monde agricole cherche son chemin
Le système craque. En agriculture comme ailleurs, trois éléments contraignent les modèles issus du vingtième siècle. 1/ Les ressources énergétiques se raréfient, 2/ les ressources minières sont dispersées et 3/ la disponibilité des autres « ressources » naturelles (eau, biodiversité, qualité des sols …) est fortement affectée par les activités humaines. Dans tous les cas, et en ignorant les questions éthiques, ces trois facteurs conduisent au mieux à une forte augmentation des coûts de production. L’agriculture n’échappe pas à ce constat, elle constitue même probablement l’activité économique la plus sensible à ces trois paramètres. Dans ces conditions, la question de l’avenir se pose quotidiennement pour les agriculteurs : « que faire ? » et « qui pour le faire ? ». Deux grandes voies se dessinent, antagonistes, qui cohabiteront au moins un certain temps.
La voie dystopique conduit à accélérer le système actuel. Elle consiste notamment à accroitre les surfaces cultivées pour augmenter les marges et à accentuer l’utilisation d’intrants. Cette voie ne sera pas accessible aux agriculteurs en tant que travailleurs indépendants, car il s’agit d’un modèle qui atteint déjà ses limites économiques. Basé sur un nombre limité de types de culture, il est très sensible aux variations des coûts et il nécessite des compétences multiples de plus en plus nombreuses, y compris administratives et financières pour faire face à l’évolution des normes et des contrôles. Le système de l’agriculteur conventionnel seul ou en GAEC perdure grâce à la perfusion d’aides publiques, mais dans bien des cas il est déjà condamné par la hausse des prix et par les changements climatiques. C’est ce que les professionnels concernés expriment aujourd’hui dans la rue. Le modèle dystopique est en revanche celui qui est déjà privilégié par l’industrie agro-alimentaire qui aura intérêt, une fois le monde agricole essoré, à développer des fermes industrielles de très grande taille, en construisant des systèmes imbriqués, basés sur l'embauche de techniciens et ingénieurs agricoles, sur l’informatisation systématique des modes de production et intégrant des dispositifs de production d’énergie à grande échelle. Ce système semble cohérent, puisque l’industriel maitrise la chaîne complète de la production à la vente et qu’il fixe lui-même les prix, relativement abordables. Mais ces prix n’incluent pas les externalités négatives pour la santé humaine et pour les écosystèmes qui restent pris en charge financièrement par la société, comme c’est le cas aujourd’hui. Le modèle dystopique est mondialisé et concurrentiel. Sa faiblesse est qu’il fait le pari qu’il est possible de déconnecter indéfiniment la production d’aliments et d’énergie (incluant la protection des cultures et des élevages) des réalités du fonctionnement biologique à long terme des écosystèmes.
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Le modèle alternatif, utopique, est lui aussi un modèle intégré, mais qui privilégie la production collective de ressources alimentaires et d’énergie en tenant compte des limites biologiques de la planète. Il s’agit soit de fermes en polyculture gérées collectivement par des agriculteurs privés ou regroupés en association, soit de systèmes agricoles publics administrés par des collectivités soucieuses de garantir une alimentation produite localement et dans des conditions respectueuses de la santé des habitants et des écosystèmes de leur territoire. Là encore, l’intégration de la chaîne complète, de la production à la consommation, permet de limiter les dépenses et surtout de garantir un minimum d’autonomie alimentaire. Il emploie beaucoup plus d’actifs agricoles, indépendants ou salariés, mais limite le nombre d’emplois intermédiaires (transports, commerces). Les aliments produits sont plus chers que dans le modèle dystopiques (du moins tant que le prix de l’énergie n’est pas trop élevé), mais le prix de vente correspond au prix réel, car les externalités négatives sont faibles et assumées localement. Le modèle de production utopique est non mondialisé et implique une faible concurrence entre les acteurs. Ce type d’agriculture est déjà mis en œuvre localement, la visite de la Ferme de They en Haute Saône membre du réseau EUfarms : European Network of Certified Organic Farms in Agroecology donne, par exemple, un aperçu saisissant d’un système agricole privé en élevage et culture biologique, rentable grâce à la vente de proximité, employant 6 fois plus d’actifs par unités de surface. La ferme inclut un méthaniseur fonctionnant en co-génération (électricité et chaleur) et des toits solaires qui permettent la quasi-autonomie de l’exploitation (hors carburants automobiles). De même, des collectivités telles que le Grand Lyon développent des projets de production alimentaire qui s’approchent aussi de ce modèle utopique, mais qui ne garantiront en aucun cas l’autonomie à l’échelle de l’aire urbaine. Et c’est là le principal écueil du modèle utopique, il pourra répondre sans difficultés à la demande « provinciale », mais ne s’adaptera pas facilement aux besoins des grandes villes.
Et pour vous, l’avenir sera-t-il utopique ou dystopique ?
Vice président chez Société Française de Prospective
1 ansLa vraie question c'est comment on passe d'un modèle à un autre , par quel chemin de transition ? .. L'expérience du passage au bio a montré que ce n'est si facile ..