Entreprise : comment faire résonner sa raison d’être ?
La raison d’être des entreprises fait beaucoup parler d’elle, depuis que cette notion figure dans la loi. Que recouvre-t-elle ? Comment la définir de manière sincère et efficace ? Pour quels objectifs et avec quels partenaires ?
Il faut toujours se méfier des expressions à la mode. Depuis quelques mois, la « raison d’être » envahit les discours d’entreprise et fait office de marqueur incontournable dès que l’on évoque la responsabilité sociétale des organisations. Alors, forcément, un tel engouement paraît un peu suspect et mérite qu’on s’y intéresse. C’est ce que nous avons fait dans l’épisode #3 du podcast BàM !- la question RSE. « La raison d’être, rappelle Anne-Laure Simon, associée de l’Agence Déclic et experte en conseil RSE, dépasse la seule performance économique de l’entreprise, pour englober la question plus large du sens de ses activités, et de ses conséquences sur son environnement. Longtemps, les citoyens ont pu avoir des engagements personnels, dans le champ associatif ou sur leur territoire, et c’était leur manière d’exprimer une forme de contribution au développement de leur communauté. Désormais, les salariés s’interrogent également de plus en plus sur le sens de leur engagement professionnel, au regard du temps qu’ils y consacrent. C’est là qu’on retrouve la notion de raison d’être de l’entreprise ou de l’organisation ».
Il a encore quelques années, il était recommandé de laisser cette dimension personnelle à l’entrée de l’entreprise. Concentrée sur son seul objectif de rentabilité et de croissance, elle ne devait pas être le lieu de l’engagement, en dehors de l’action syndicale et revendicative.
Désormais, le champ du travail est de plus en plus traversé par des préoccupations liées aux valeurs, au sens de l’action
Mais ce modèle du 20e siècle a vécu : désormais, le champ du travail est de plus en plus traversé par des préoccupations liées aux valeurs, au sens de l’action. Savoir pourquoi on se lève le matin pour aller au boulot, voilà ce que réclament de plus en plus de salariés, et pas seulement les jeunes diplômés signataires du Manifeste pour le réveil écologique, qui refusent d’aller travailler dans des entreprises qui ne partageraient pas leurs valeurs ! L’entreprise, en tant qu’acteur économique en interaction avec son environnement, peut alors être vue comme un acteur du changement et un apporteur de solutions face aux enjeux de la planète, ou apparaître au contraire comme un frein si ses impacts sont négatifs, « un caillou dans la chaussure du monde ».
Mise en avant médiatique et politique
C’est ce qui fait écrire à Pascal Demurger, le patron de la Maif, un ouvrage passionnant au titre évocateur : l’entreprise du 21e siècle sera politique ou ne sera plus , aux éditions de l’Aube (2019). Pour l’auteur, la cause est entendue : « je sais désormais que la recherche d'un impact positif de l'entreprise sur son environnement peut aussi nourrir sa performance. Si ce modèle fonctionne et est bon pour le monde, alors il y a urgence à le généraliser », écrit-il.
En France, la raison d’être a bénéficié d’une très forte mise en avant médiatique et politique avec la promulgation de la loi PACTE (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises), en septembre 2019. Reprenant le concept anglo-saxon de « purpose », introduit dès la fin des années soixante dans la littérature économique américaine, cette notion est officiellement définie par la loi comme étant : « le projet de long terme dans lequel s’inscrit l’objet social de l’entreprise. La consécration de cette notion dans le code civil incite les entreprises à être plus orientées vers le long terme ».
La raison d’être met l’accent sur une dimension essentielle : la prise en compte du temps long dans le champ économique
Cette formulation volontairement large met l’accent sur une dimension essentielle : la prise en compte du temps long dans le champ économique. Alors que les entreprises, notamment les sociétés cotées, sont souvent obnubilées par les indicateurs de court terme et les résultats trimestriels, la loi les invite désormais à dépasser cet horizon pour se projeter dans une vision plus globale. Autrement dit, il ne suffit plus de produire un bien ou un service au meilleur coût pour satisfaire la demande (préalable toujours indispensable pour assurer la pérennité de l’entreprise). Mais il convient de surcroit de mesurer l’apport (positif ou négatif) de cette activité économique sur son environnement global, qu’il soit social, écologique, économique.
Inspiration et concision
C’est alors que la définition de la raison d’être prend tout son sens : à quoi sert l’entreprise, qu’elle est sa responsabilité à l’égard de ce qui l’entoure ? Les trois lettres RSE ne disent finalement pas autre chose. Cette responsabilité sociétale des entreprises englobe bien toutes les parties prenantes en interaction avec l’entreprise, quelle que soit sa taille ou son secteur d’activité : les salariés, premiers concernés et premiers acteurs de cette raison d’être, les fournisseurs, les clients, les partenaires…
Cette approche a désormais force de loi, puis que l’article 1833 du Code civil a été modifié pour préciser que « toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l'intérêt commun des associés. La société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ». Le Code du commerce, quant à lui, permet aux sociétés, sur la base du volontariat, de se doter d’une raison d’être.
Encore faut-il réussir à traduire ces orientations en actes, mais aussi en mots. C’est tout l’enjeu de la définition de la raison d’être, qui ne doit pas être confondue avec un slogan ou une simple démarche de communication. Évidemment, le choix du vocabulaire à son importance : il faut à la fois tendre vers la concision tout en étant inspirant ! À titre d’exemples récents, voici quelques raisons d’être fameuses : « Apporter la santé par l’alimentation au plus grand nombre » (Danone) ; « Nourrir sainement de la terre à l’assiette » (Triballat Noyal) ; « Inspirer et développer les constructeurs de demain » (Lego) ; « Rendre les informations accessibles et utiles à tous » (Google) ; « Améliorer la vision pour améliorer la vie » (Essilor)…
Guide pour la stratégie
« Plus encore que l’écriture de la définition, c’est l’exercice en lui-même qui est intéressant, en le réalisant de manière collective », rappelait récemment Marine Lejeune, experte RSE de l’Agence Déclic, dans le podcast BàM ! Une réflexion collective qui doit se structurer autour des valeurs, des sources d’inspirations, des atouts et des faiblesses de l’entreprise.
Cette raison d’être, une fois adoptée, doit servir à guider la stratégie, en allant jusqu’à remettre en question certaines activités ou certains clients avec lesquels l’entreprise travaillait jusqu’à présent.
Enfin, pour savoir si votre raison d’être est efficace, faîtes ce (crash) test imparable : si vous ne pouvez pas expliquer une décision stratégique par votre raison d’être, c’est qu’il s’agit d’une mauvaise décision, ou que votre raison d’être n’est pas à la hauteur des enjeux. À bon entendeur…
Xavier Debontride
RESPONSABLE COMMUNICATION - LOBODIS
4 ansFrédéric LEREBOUR