Entreprises de plus de 50 salariés, où en êtes-vous de la mise en place d’une procédure de recueil de signalements par des lanceurs d’alerte ?

Depuis le 1er janvier 2018, les entreprises de plus de 50 salariés doivent avoir mis en place des procédures internes de recueil des signalements émis par les « lanceurs d’alerte ». Cette obligation est issue de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique et du décret d’application du 19 avril 2017.

Petit rappel pratique :

Qui est concerné par la mise en place d’une telle procédure ?

Si une alerte peut être lancée par toute personne physique, « de manière désintéressée et de bonne foi », dans les conditions de la loi, cette dernière impose la mise en place d’une procédure interne de recueil des signalements aux « personnes morales de droit public ou de droit privé d'au moins cinquante salariés », outre les administrations de l'Etat, les communes de plus de 10 000 habitants et établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre dont elles sont membres, les départements et régions.

Les personnes physiques ne sont donc pas concernées.

Le décret visé plus haut précise que le seuil de cinquante salariés est établi conformément aux dispositions des articles L.1111-2 et L. 1111-3 et au premier alinéa de l'article L. 2322-2 du code du travail. Ce dernier texte, relatif à la mise en place d’un comité d’entreprise et abrogé depuis le 1er janvier 2018, précisait que cet effectif devait être atteint pendant douze mois, consécutifs ou non, au cours des trois années précédentes.

Les nouvelles dispositions relatives au CSE évoquent quant à elles un effectif atteint pendant douze mois consécutifs. Néanmoins, la procédure de recueil des signalements devant avoir été mise en place avant le 1er janvier 2018, il y a lieu de privilégier le mode de calcul anciennement applicable à la mise en place des comités d’entreprise, tel que souhaité par le législateur en avril 2017.

A qui peut être adressé un signalement ?

La loi prévoit que le lanceur d’alerte adresse son signalement à son supérieur hiérarchique, direct ou indirect, à l’employeur ou à un référent désigné par celui-ci.

En pratique, il peut s’avérer délicat pour un salarié d’adresser un signalement à l’un de ses supérieurs hiérarchiques ou à son employeur.

 La désignation d’un référent revêt alors un intérêt majeur, dans la mesure où ce référent peut être extérieur à l’entreprise.

Il peut s’agir d’une personne physique ou, quelle que soit sa dénomination, toute entité de droit public ou de droit privé, dotée ou non de la personnalité morale, dès lors qu’elle dispose, par son positionnement, de la compétence, de l'autorité et des moyens suffisants à l'exercice de ses missions.

Un avocat peut ainsi tout à fait être référent extérieur.

Quelle est cette procédure interne ?

La procédure mise en place par les organismes concernés doit permettre au lanceur d’alerte interne, à savoir toute personne physique employée par cet organisme ou qui lui apporte sa collaboration dans un cadre professionnel, d’émettre un signalement dans les conditions prévues par la loi et, point essentiel, en toute confidentialité.

L’instrument juridique de cette procédure interne est libre, dès lors qu’il est conforme aux règles qui le régissent et que la procédure précise :

-      l’identité de la personne à qui doit être adressé le signalement ;

-      les modalités selon lesquelles le lanceur d’alerte doit effectuer son signalement : celui-ci fournit les faits, informations ou documents (quel que soit leur forme ou leur support) de nature à étayer son signalement lorsqu'il dispose de tels éléments et transmet également les éléments permettant le cas échéant un échange avec le destinataire du signalement ;

-      les dispositions prises par l’entreprise pour que le lanceur d’alerte soit informé sans délai:

o  de la réception de son signalement,

o  d’un délai « raisonnable et prévisible » nécessaire à l'examen de sa recevabilité,

o  des modalités suivant lesquelles il est informé des suites données à son signalement ;

-      les mesures garantissant la stricte confidentialité de l'auteur du signalement, des faits objets du signalement et des personnes visées ;

-      les modalités et délai de destruction du dossier de signalement lorsqu'aucune suite n'y a été donnée. Ce délai ne peut excéder deux mois à compter de la clôture de l'ensemble des opérations de recevabilité ou de vérification. L'auteur du signalement et les personnes visées par celui-ci doivent être informés de cette clôture ;

-      enfin, la procédure mentionne l'existence d'un traitement automatisé des signalements mis en œuvre après autorisation de la CNIL.

Conséquences pour les entreprises

Si l’instauration de cette procédure d’alerte peut être saluée dans la mesure où, à la suite de scandales financiers et sanitaires médiatisés ces dernières années, elle vise à permettre la dénonciation de violations de la loi, telles que des manquements graves à la sécurité ou des situations de corruption, elle n’est pas sans risque pour les employeurs.

En effet, la loi prévoit de façon très générale qu’un signalement peut être émis par une personne physique pour « un crime ou délit, une violation grave et manifeste d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d'un acte unilatéral d'une organisation internationale pris sur le fondement d'un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l'intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance ».

Dans le même temps, elle dispose qu’en l'absence de diligences par le référent destinataire de l'alerte, « dans un délai raisonnable », le signalement peut être adressé à l'autorité judiciaire ou administrative compétente ou aux ordres professionnels.

Il en est de même en cas de danger grave et imminent ou en présence d'un risque de dommages irréversibles et, dans cette hypothèse, le signalement peut être rendu public.

Or, de nombreux points restent à préciser, comme les suites d’un signalement considéré recevable, la durée du « délai raisonnable » ou la définition du « danger grave et imminent » permettant de rendre public le signalement avant même d’en avertir l’employeur.

En outre, la loi punit d'un an d'emprisonnement et de 15 000 € d'amende toute personne qui fait obstacle, de quelque façon que ce soit, à la transmission d'un signalement.

Le caractère très général de cette disposition appelle à la prudence. La question se pose notamment de savoir si une entreprise qui ne mettrait pas en place la procédure exigée serait considérée comme « faisant obstacle » à la transmission d’un signalement.

Ainsi, les entreprises concernées qui ne l’auraient pas encore fait devront veiller à instaurer dès que possible la procédure de recueil des signalements.

Rappelons à cet égard qu’il appartient à l’employeur, une fois la procédure interne établie, de la diffuser par tout moyen, de façon à la rendre accessible aux membres de son personnel ainsi qu'à ses collaborateurs extérieurs ou occasionnels.

La loi permettant que des procédures de recueil des signalements soient «communes » à plusieurs organismes, il pourra être envisagé dans les groupes de sociétés d’instaurer une seule procédure pour l’ensemble des entités qui en dépendent.

Enfin, n’oublions pas que si cette loi vise à faciliter le signalement de comportements abusifs au sein des entreprises par toute personne qui y est employée, les droits d’alerte dont bénéficiaient les délégués du personnel, comité d’entreprise et CHSCT sont transférés au CSE.

Aude Mercier - Avocat au barreau des Hauts-de-Seine

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