Entretiens avec Jacqueline Morineau/ Médiation Humaniste/ extrait 5
Jacqueline Morineau explique comment elle a créé la médiation pénale en 1983 à la demande de Robert Badinter, alors Garde des Sceaux
Alain : Cela n’a pas dû être simple pour vous qui n’aviez aucune expérience en médiation ?
Jacqueline : Contrairement à ce que vous pensez, cela a été simple, parce que jamais je n’ai vraiment pensé que j’allais créer la médiation pénale. Je n’étais absolument pas dans une démarche intellectuelle et volontariste. En réalité que s’est-il passé ? J’avais une tâche à accomplir. J’ai essayé de répondre de mon mieux à une demande. Il nous a été donné de traiter immédiatement des cas de violences. J'ai, de fait, rencontré les mêmes situations que celles que j’avais vécues avec les jeunes de la banlieue londonienne : le combat avec la violence, que je savais toujours liée à la souffrance, le combat avec le désespoir, avec la mort pour chercher la vie.
Dès les premiers cas de médiation, le lien avec la tragédie grecque m’a paru évident. Elle offrait la représentation même du développement de la médiation. Cette nouvelle forme théâtrale, développée au Vème siècle av. JC, était le fruit de la recherche philosophique développée par les Grecs. Ils avaient cherché à trouver un chemin de sagesse, et une forme d'éducation et d'apprentissage pour rencontrer et transformer le chaos et la souffrance humaine qui lui étaient liée.
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Dans chaque médiation je retrouvais des situations d’affrontement comme celles que l’on observe dans la tragédie grecque. C’était toujours la rencontre avec le chaos. Ainsi il m’a suffi d’utiliser la construction de la tragédie grecque et ses différentes étapes : la théoria, la crisis et la catharsis, pour créer progressivement la forme de la médiation humaniste et d’en arriver à la transformation de la situation de conflit.
Dès son origine, la Médiation Humaniste a été transformative. S'il n'y avait pas transformation de la personne, il n’y avait pas transformation de la situation et il n’y avait pas de médiation aboutie. Il ne s’agissait pas de résoudre un conflit et de s’arrêter là, car j’avais conscience que le conflit est en premier lieu en chacun des protagonistes, et que nous n’assistions qu’à la projection du conflit extérieur avec « l’autre ». Pour transformer le conflit extérieur, il fallait créer en premier lieu un espace intérieur de rencontre pour chacun avec soi-même pour donner la possibilité aux belligérants de s’affronter dans une démarche de vérité réciproque.
Spinoza disait que nous voulons changer de vie mais nous continuons les mêmes bêtises, et, naturellement, cela ne marche pas. Pour éviter de répéter les mêmes bêtises ce chemin doit passer par la prise de conscience de la nécessité de la rencontre avec soi-même à travers un chemin de connaissance et de vérité. Le conflit culmine dans un processus sans fin d’accusations réciproques, ce qui, au fond, permet d’éviter de se rencontrer soi-même. L’expression de la souffrance, du cri est nécessaire, mais il faut oser pénétrer au plus profond de cette contradiction car notre capacité d’autodestruction réciproque est illimitée, en contradiction totale avec notre objectif : la recherche du bonheur ou simplement une bonne relation.
Magistrat en disponibilité Médiatrice
2 ansMerci Alain Deluze de partager cet entretien avec Jacqueline Morineau # Médiation Humaniste