Esprit de compromis contre esprit de radicalité
Lors du débat du second tour, celui qui était encore candidat a opposé l’esprit de conquête à l’esprit de défaite, cinglant résumé des forces en présence. La joute électorale passée, une autre dichotomie s’annonce tout aussi importante : esprit de compromis contre esprit de radicalité.
Au premier tour, deux partis qui ont pour fonds culturel la radicalité ont totalisé 40% des voix. Ils partagent une culture du tout ou rien où le gagnant-gagnant est synonyme de soumission, mot-valise tant entendu pendant la campagne. Tendance nationale-mortifère ou libertaire-insoumise, ces radicaux désignent une longue liste d’ennemis à combattre et à vaincre (la finance, l’étranger, l’élite, etc.).
Côté FN, l’exclusion de l’arc républicain pointe la radicalité et simplifie le travail de ses opposants. Les choses sont plus ambiguës du côté de la France insoumise. Son programme évoque, souvent avec justesse, le besoin d’approfondissement de la démocratie (institutions, médias, entreprises) mais ses codes sont ceux de la gauche idéologique avec l’inflexibilité pour principal marqueur. L’absence de soutien au candidat républicain en constitue l’illustration et, pour beaucoup, un véritable traumatisme. Comment imaginer un approfondissement des pratiques de la démocratie —par définition elles impliquent des millions de gens— sans compromis ? La seule façon de s’insoumettre quand on a 19% des suffrages exprimés est … de soumettre les autres, beaucoup d’autres.
Elaboration patiente des solutions, refus des arguments tapageurs et blessants, registre verbal modéré, tolérance sincère pour la diversité des opinions et des valeurs, poursuite volontaire des solutions inclusives, droit à l’erreur et prime à l’expérimentation sont les caractéristiques du compromis. Il y a dans le compromis notre nature humaine et prométhéenne : la reconnaissance que les faits n’obéissent pas au doigt et à l’œil à nos vues sublimes et conceptuelles, la conviction que leur évolution favorable et graduelle nécessite un corps à corps, souvent âpre, avec la réalité.
La radicalité était à son aise dans le système de régulation de l’âge industriel tant l’antagonisme des classes y est resté prégnant. Dans un monde mû par les lois de Moore et de Metcalfe où il ne s’agit que de développer de nouvelles interactions, elle sera inadaptée. Il y a maintenant une myriade de situations et de contextes locaux que des appareils centraux et les cartels de décision peinent à appréhender. La technocratie qui accompagnait l’industrie achève aussi sa carrière. Elle a rendu de grands services mais son credo : les problèmes sont trop complexes pour être discutés avec les intéressés, est frappé d’obsolescence. La capacité à partager et faire plutôt qu’à imposer et bloquer s’impose partout. Il faut se compromettre avec l’avenir, pas s’y opposer.
Il faut accélérer parce que les périls de l’ère digitale et mondialisée sont immenses : monopoles impitoyables des GAFA, pratiques déloyales, ubérisation cynique des travailleurs indépendants, errance éthique de la finance et logiciels tricheurs dans l’industrie, déstabilisation géopolitique, exploitation vénale des ressources naturelles ; là aussi la liste est longue. Le rapport de force n’est pas absent de l’ère digitale et le besoin de régulation est massif. Personne ne veut qu’elle soit la collection chaotique d’intérêts individuels. Si nous échouons, les dégâts seront avant tout sociaux.
Chacun doit maintenant faire sa révolution. Emmanuel Macron a entamé celle de la représentation nationale, exécutive et parlementaire dans un mouvement qui pourrait ressembler au profond renouvellement des années 1788-89. Les autres doivent suivre, à commencer par certains syndicats de patrons, de salariés et d’enseignants. Plus profondément, c’est la responsabilité de chacun de réfléchir à la signification du compromis et de la radicalité. Engageons-nous avec un nouvel état d’esprit, le reste suivra. Ambition, bienveillance, confiance dans la décision collégiale, compétitivité: tout marche ensemble. C’est la recette pour que les usines et beaucoup d’autres réussites s’épanouissent en France. Faisons de l’esprit de compromis notre avantage compétitif.
Philippe BOIS
Président du Club des Vigilants
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