Et après ?

Et après ?


Il ne fait selon moi aucun doute que le monde entier se relèvera de la crise inédite à laquelle il est confronté actuellement. Séquelles, cicatrices, en large partie indélébiles, seront immanquablement au rendez-vous après avoir traversé l'horreur.

La durée, l’amplitude, et la profondeur des ramifications de la crise ne sont pas encore connues à ce stade et seules des simulations de scénarios peuvent contribuer à les appréhender, et encore avec approximation et incertitude. La crise actuelle est avant tout sanitaire, engendrant dans son sillage une crise économique qui affecte la vie des entreprises et des travailleurs, et une crise financière, caractérisée par un effondrement des principaux indices boursiers ainsi que par une aggravation de l’endettement public.

Penser l’après est nécessaire, tout simplement parce que la vie doit l’emporter. Car il y aura un avant et après. Penser l’après doit être un acte de responsabilité pour préparer un futur qui permette à l’humanité de ressortir grandie, autant que possible, de cette crise sans précédent.

En effet réfléchir à la construction du nouveau monde d’après-crise doit se faire dans le plus strict respect de la gravité incomparable de cette crise et des drames humains dont elle est responsable. Penser l’après ne doit en effet pas être une démarche arrogante, ou irrespectueuse de la situation des personnes exposées à la maladie, de leurs proches, des personnes isolées et en proie à la vulnérabilité. Penser l’après ne peut se faire au contraire qu’au travers de la prise en compte la plus vive de ce qui devient notre nouvelle réalité.

La crise sanitaire a provoqué un ralentissement, certes temporaire et non parfaitement coordonné à l’échelle mondiale, de la consommation des ménages et au-delà de l’activité économique, très largement en raison des mesures de confinement ou d’injonctions gouvernementales visant à réduire fortement les déplacements de la population.

Et si ce ralentissement offrait l’opportunité de changer notre rapport au temps, d’évoluer d’un temps de l’ « hyperaction » généralisé vers un temps de réflexion ? Sans faire toutefois l'éloge de la lenteur, cette réflexion n’aura bien sûr de sens que si elle sert de support à l’action future.

Quel usage pourrait être mieux fait du temps qui nous est imparti que de l’exploiter pour dresser un bilan de notre modèle civilisationnel, de réfléchir à de nouveaux modèles et nouvelles dynamiques pour dessiner les contours d’un nouveau futur que nous pourrions créer ensemble ?

Cette opportunité se présente maintenant. Saisissons-là avant qu’il ne soit trop tard.


Car il ne faudrait pas que tout redevienne comme avant. Il faut oser infléchir la courbe d'un avenir tout tracé, qui ne serait que la continuité médiocre, avec la radicalité inflexible que lui confère son inscription dans la durée, du présent que nous connaissons et qui appartient déjà au passé.

Nous devons impérativement faire différemment, et si possible, mieux.

Après tout, qu'y aurait-il de pire que de faire comme si rien n'avait eu lieu ?

Qu'une préoccupation importante soit de vaincre l'ennui croissant de la population qui ne sait comment occuper son temps pendant cette période de confinement parait profondément hérétique face aux enjeux qui nous attendent et aux défis que nous devrons relever demain.

 Les opportunités les plus immédiates concernent notre (1) modèle environnemental, notre (2) modèle social, notre (3) modèle économique & financier, (4) notre modèle de gouvernance et management, et (5) notre modèle de santé.


1.Modèle environnemental

Ce ralentissement, qui est une nécessité absolue pour freiner la progression de la pandémie, se traduit par un premier effet collatéral bénéfique, à savoir la diminution de la pollution.

Or, de par les circonstances, certains des principaux pays impactés, sont également les premiers pollueurs du fait de leur industrialisation :la Chine, l’Europe, les Etats-Unis.

Quel signal formidable nous est transmis, à une période où la lutte contre le changement climatique est un combat majeur dont l’urgence n’est plus à débattre. La crise sanitaire nous offre l’opportunité inestimable de réfléchir à nos usages, de repenser notre modèle en matière de pratiques environnementales.

Cette limitation qui s’apparente presque à une pause dans la course effrénée à la pollution est l’occasion rêvée d’augmenter le niveau de conscience collective sur le sujet et de procéder à un changement radical de notre modèle.

La réduction ou le renoncement à certaines pratiques de surconsommation et de surtourisme sont davantage que des options.

 

2.Modèle social

Paradoxalement, la situation sanitaire qui impose une distanciation physique pour minimiser le risque de contagion doit devenir une opportunité de renforcer les liens sociaux et la solidarité collective.

La victoire face à la pandémie ne peut résulter que d’une œuvre collective, impliquant l’ensemble des franges de la population, des gouvernements aux citoyens disciplinés en passant par l’ensemble des personnels de santé.

A l’heure où le culte de l’individu prime sur le collectif, où les dialogues intergénérationnels se résument à « OK boomer », une opportunité unique de tisser de nouveaux liens sociaux semble émerger.

Le recentrage sur la cellule familiale, le développement de l’éducation et de la formation à distance, l’utilisation des réseaux sociaux à des fins de solidarité et de partage d’informations (utiles) sont des pratiques qui doivent inciter à la réflexion. Les mutations profondes du travail, qui étaient déjà en cours, connaissent une accélération soudaine avec l'intensification du télétravail qu’il convient de considérer.

 

3.Modèle économique & financier

La crise financière généralisée que nous traversons est la première d’un genre nouveau. Les chutes de cours, souvent vertigineuses, observées sur les principales places boursières résultent en effet majoritairement d’ordres automatisés, d’algorithmes, plus caricaturalement de robots et donc d’une origine "non directement humaine". Ce n’était pas encore le cas lors de la crise de 2008 à la disparition de Lehmann Brothers, avant que le trading automatisé depuis des data centers ne se développe.

Cette crise n’est-elle pas une opportunité de réfléchir au modèle économique et financier dans lequel nous sommes ?

Certes, l’élément déclencheur en est « exogène », et présentait une probabilité d'occurence très faible, un cygne noir tel que défini par Nassim Nicholas Taleb. La crise, même si elle est éventuellement susceptible de présenter un risque systémique, n’est pas due à des facteurs endogènes au système financier. Néanmoins, l’effet domino devrait commencer à se manifester dans des délais relativement courts. 

Une crise financière se traduit presque toujours par une crise de confiance, même lorsqu’elle est causée par des automates.

Les conséquences à anticiper en sont une aggravation de l’endettement souverain de certains pays, dont la France, une dégradation inéluctable des conditions d’accès au financement et de l’irrigation du système économique qui devrait être funeste pour les entreprises les plus fragiles (malgré les mesures de soutien massives de la FED et la BCE principalement), et une mise en expectative de certains projets d’investissements, même s’il est trop tôt pour estimer l’ampleur ces phénomènes ou les quantifier.

La réalisation d’un scénario « noir » de crise durable, au-delà de quelques trimestres de récession, n’est pas encore une évidence.

La poursuite d'une politique de "quantitative easing" parfois couplée à celle "d'Etat Providence" pourrait permettre de minimiser l'impact adverse de la crise sur l'économie réelle, tout en questionnant cependant la viabilité du modèle pour les Etats avec un endettement parfois supérieur au PIB.

Il est toujours temps de profiter de cette période de latence économique pour construire le modèle de demain, en réfléchissant à la mise sur le marché de nouveaux produits, solutions, services de financements, d’investissements, alternatives et basées sur la technologie pour en faciliter l’accès, qui permettraient aux entreprises d’avoir accès à une batterie d’options destinées à les sécuriser, en fonction de leurs caractéristiques idiosyncratiques, et à les accompagner dans leur développement. C'est en particulier indispensable pour les petites et moyennes entreprises qui constituent une part significative du tissu économique, en France comme en Europe.

Cette crise est une opportunité de repenser les circuits de financement et d’investissement traditionnels.


4. Le modèle de gouvernance & management

L'impérieuse nécessité d'une réactivité forte, de décisions claires et d'une communication limpide est un révélateur de la qualité de la gestion de crise opérée par les chefs d'Etat, les décideurs et chefs d'entreprise. La crise a vu, en lien avec le constat déjà établi sur le modèle social, émerger de nouvelles solidarités sociales et un management plus inclusif, protecteur des plus faibles. Inscrire cette tendance dans la durée et ne plus limiter sa présence à des scénarios de crise aigüe est un sacré défi.

En complément, le besoin de retrouver une gouvernance mondiale réelle, c'est-à-dire reposant sur le principe de multi-latéralisme, la coordination et la concertation s'est fait cruellement ressentir face à un phénomène qui ne connait pas de frontières. L'ère du bilatéralisme, qui peut certes présenter des avantages sur le plan économique, ne doit cependant pas devenir un standard ni sur le plan politique ni sur le plan des sujets majeurs à l'échelle planétaire.

5. Le modèle de santé

Le modèle de santé de l'ensemble des pays touchés mérite probablement de faire l'objet d'une réflexion approfondie.

En France, la crise sanitaire s'ajoute à la crise de moyens et à la saturation du système hospitalier et médical dans son ensemble. La crise doit servir de catalyseur et d'élément accélérateur d'une prise de conscience. Les enjeux de santé, qu'ils soient préventifs ou curatifs, doivent retrouver une place de premier ordre dans la hiérarchie des sujets politiques et économiques.

Alors que le financement public ne suffit plus, il est temps de lancer un appel aux entreprises, plus particulièrement aux startups et aux entrepreneurs qui affichent l'ambition de changer le monde, de réviser leurs priorités et de considérer la santé comme un champ d'investigation critique. La crise doit favoriser encore l'innovation, la création de nouveaux modèles, de gestion et de financement, l'essor technologique dans le domaine de la santé.

Plus largement, le modèle économique dominant, qui embrasse entre autres la surconsommation de voyages et technologies, avec ses inégalités croissantes largement décrites mais non résolues, avec son marché du travail qui balbutie sa réinvention, est suffisamment porteur de questions pour que ce ralentissement, qui devrait par ailleurs se convertir en récession, soit une aubaine pour conduire au changement. 

L’enjeu ici est de véhiculer le message suivant : ce ralentissement imposé est une opportunité unique de créer et préparer l’avenir. Les moments de pause économique de cette nature sont extrêmement rares dans l’histoire moderne et doivent être mis à profit.

Ils se généraliseront peut-être dans quelque temps au gré de l’évolution des conditions sanitaires ou sur proposition de futurs dirigeants, qui sait.

Au-delà de la crise, avec les multiples facettes d’horreur et de terreur qu’elle transporte, il est urgent d’identifier les opportunités, les motifs d’espoir et les premiers repères qui permettront d’entrevoir un avenir positif à construire ensemble.

Cette tâche doit occuper notre attention, au moins en partie, même si la priorité est bien entendu la gestion du présent.


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A ce sujet, je tiens pour conclure à exprimer ma profonde admiration et mon soutien moral à l’ensemble des personnels de santé, qui sont dans leur ensemble exposés en première ligne, sans disposer dans la plupart des cas de la préparation et des moyens nécessaires pour mener ce terrible combat. Je tiens également à adresser mes remerciements chaleureux aux forces de l’ordre et aux personnels de nettoyage et d’hygiène, trop souvent oubliés, dont l’action revêt pourtant une importance majeure dans la quête du salut face à cette situation de guerre sanitaire sans précédent. 

Jean-Noel Lucas

Chief Data Governance Officer at L'Oréal

4 ans

Beau papier, inspirant. Merci!

Une analyse complète et précise dont je partage les analyses . Espérons que nous soyons très nombreux #resilienceprofessionnelle #solidarité #humanisme

Christian Chennevière ✅

Dirigeant Creancetel (CSRD) ► Accompagner vos clients en mode 24/7 avec nos solutions ► Digital ► Call Center

4 ans

Axel, je partage totalement ton analyse. Nous avons une formidable opportunité de repenser aussi nos modèles de management. Je suis frappé par l'engagement, la réactivité et la solidarité de nos équipes vers nos clients. Hier, les jeux de posture (syndicats versus patronat, groupe versus filiale, commercial versus opérationnel...) avaient disparu. Nous étions tous mobilisés les uns pour les autres. A nous de faire en sorte que cela puisse continuer aujourd'hui et les jours d'après.

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