Et les petites mains dans tout ça ?
Le 2 juillet dernier, après plusieurs années de tergiversations, le Sénat s'est enfin décidé à considérer l’enfant comme un individu à part entière et ainsi d’inscrire dans la loi l’interdiction d’user de violence volontaire, dite « pédagogique » ou « éducative » à son encontre.
Je parlerais ici pour tous ceux qui, il y a tout juste dix mois, n’étaient encore que des « semi-hommes » et sur lesquelles la violence était après tout « une affaire d’éducation ». Je voudrais répondre à tous ceux qui s’éternisent et s’égosillent à hurler à « l’ingérence familiale » ou à la « tyrannie de l’enfant roi ». Je voudrais prendre le temps de remonter aux origines de cette violence structurelle et pourtant si dommageable pour notre structure sociale comme pour notre structure physique.
Il est curieux de constater, qu’à une époque où chacun semble avoir déjà planifié et codifié une « société d’après », partant du postulat bien orgueilleux que la nôtre serait d'ores et déjà condamnée et à demi enterrée, si peu de gens semblent capables de prêter attention à la petite main agrippée à leurs pantalons, en quête d’attention. Et pourtant, c’est de cette petite main que viendra toute la solution.
Je prends à témoin l’Histoire : l'homme est capable du pire comme du meilleur et à ce titre, l'enfance, qu'on le veuille ou non, est un puissant déterminisme. Alors, comment ne pas désespérer quand certains se plaignent d’une société ultraviolente tout en refusant de reconsidérer leur vision de l’enfant, de l’éducation et de la parentalité ? On sait aujourd’hui grâce à la recherche en paléoanthropologie que l’homme est devenu « homme », capable d’empathie et de coopération, en raison de son rapport à l’enfant. Ce dernier était au centre de la tribu, entouré de nombreux adultes qui comprenaient que leur futur était entièrement entre les mains de cette précieuse progéniture. L’empathie sociale est un critère clef dans la survie de l’espèce puisque sans ce sentiment, impossible d’accéder ou de comprendre les besoins, parfois vitaux, d’un enfant en bas âge.
Malgré cette vérité, il est aujourd’hui largement admis qu’« une petite fessée par-ci, par-là n’a jamais tué personne », « qu’il ne faut pas les laisser s’imposer sinon ils finissent par vous bouffer ! » ou même « qu’un enfant sans cadre stricte, autoritaire, ça devient un sale gosse qui se prend pour un roi ! ». Comment en sommes-nous arrivés là ? Comment a-t-on persuadé les gens que l’enfant était avant tout un danger à mater, une énergie à étouffer, un dictateur sans pitié en puissance ? Comment nous sommes-nous autant éloignés de notre humanité ?
Il n’y a pas de « bonne gifle » ou de « fessée pédagogique ». La violence sur un être inoffensif et incapable de se défendre est absolument inacceptable. Cette vérité devrait tomber sous le sens. La violence envers l'enfant est d’ailleurs relativement récente dans l’histoire de l’humanité. La littérature scientifique fait consensus sur le sujet; les coups, mêmes isolés, perturbent et modifient la structure de l’encéphale, particulièrement sensible chez les jeunes enfants. Pour mes amis littéraires, lisez les biographies des grands dictateurs modernes et particulièrement les passages relatifs à leur propre enfance (On est très loin du fantasme de l’enfant roi…). La violence engendre la violence. L’argument trop souvent avancé consistant à isoler un acte de son contexte familial global pour le légitimer, d’une manière ou d’une autre, est aberrant. Si un homme frappe sa femme, allons-nous penser qu’après tout « c’était juste une claque, le reste doit rouler tout seul, pas la peine de s’inquiéter ! »
Ce qui est réellement impardonnable, n’est pas que l’Etat s’immisce dans les « affaires familiales » (qui soit dit en passant, sont les affaires sociétales de demain) mais que nous ayons besoin de faire appel à l'Etat pour nous protéger contre nous mêmes !
Ne sommes-nous donc pas capables de comprendre que l’amour parental envers l'enfant entraîne l’amour de l'enfant envers l'Homme ? Que l’empathie pour l’enfant, cet être bouillonnant qui ne demande qu’à explorer le monde, est la plus naturelle des sensations ? Qu’avant de penser limite, autorité, fermeté, nous devrions réapprendre à penser liberté, confiance, joie ?
Acceptons de voir qu’un pays qui soumet 80 % de ses enfants à des violences corporelles et/ou psychologique, est au mieux en plein déni et au pire en perte d’humanité. Si nous voulons changer les choses, commençons par comprendre et protéger ceux qui seront, un jours prochain, aux commandes après nous. Apprenons leur, par notre attitude, la confiance naturelle en l'homme, en cet être de génie, capable des plus belles merveilles, d’amour et de poésie.