ET SI NOTRE ATTENTION MÉRITAIT PLUS D'ATTENTION ?
« En quête d’attention – (Re)prendre soin d’une ressource devenue trop rare ». C’est le titre d’un numéro spécial du magazine L’ADN que j’ai reçu cette semaine, parrainé par JCDecaux, sous la direction d’ Isabelle Schlumberger , pour lequel je vous recommande particulièrement les deux articles signés Elsa Ferreira (« Votre attention s’il vous plaît » et « Attention au futur »). Le 2 octobre dernier, lors de sa journée portes ouvertes consacrée au thème de « la culture de l’attention », le leader mondial de la communication extérieure a partagé les résultats d’une étude innovante menée à Strasbourg par l’Institut Ipsos : une centaine de participants s’étaient vus confié des lunettes connectées pour parcourir en ville leur chemin habituel afin de mieux comprendre les dynamiques subtiles de l’attention humaine en milieu réel. Si l’objet principal de l’étude était de montrer la performance de l’affichage et la visibilité du mobilier urbain, elle permet également de démontrer concrètement la validité des thèses des économistes de l’attention, qui ont mis en évidence le fait que notre attention « intentionnelle » (« ce sur quoi nous nous concentrons intentionnellement ») n’est qu’une petite partie de notre attention réelle, incroyablement sophistiquée.
ATTENTION EN DANGER.
Nous en avons tous plus ou moins conscience : notre attention est l’un de nos biens les plus précieux et les plus fragiles. À chaque seconde, des milliers d’entreprises et de médias rivalisent pour capter un instant de notre regard, une fraction de notre pensée. Nous sommes entourés d’écrans et de notifications, immergés dans un flux constant de nouvelles et d’informations. Ces stimuli ne sont pas innocents : ils ont été minutieusement conçus pour déclencher des réactions immédiates, provoquer des émotions, et créer un engagement durable. Ce phénomène, connu sous le nom d’« économie de l’attention », met en lumière une transformation radicale de la société : notre attention est une ressource économique, exploitée et monétisée. Mais au-delà de l’impact commercial, cette sur sollicitation de notre attention, qui conduit à une érosion de notre attention, porte atteinte à notre autonomie. La dispersion de nos pensées, notre incapacité croissante à rester concentrés, et notre besoin constant de stimuli extérieurs nous éloignent de notre propre intériorité. Lorsque nous perdons le contrôle de notre attention, nous risquons de ne plus vivre pleinement notre existence, d’être détachés de nos valeurs profondes et de nos objectifs à long terme. Cette attention fragmentée compromet aussi notre capacité à prendre du recul, à analyser et à comprendre en profondeur. Dans un monde où la superficialité tend à dominer, la reconquête de notre attention devient donc un acte d’émancipation, une démarche essentielle pour reprendre en main notre vie et notre conscience.
LA DISPERSION DE L’ATTENTION.
Plusieurs penseurs et philosophes, sensibles à ces transformations, ont mis en garde contre cette dispersion de l’attention. Byung-Chul Han, dans La société de la fatigue, remarque que notre époque s’impose par une injonction constante à l’activité. « Nous vivons dans une société de la performance, où l’attention est convertie en productivité, » écrit-il. Cette pression mène à l’épuisement, car nous devenons incapables de véritablement nous reposer et de régénérer notre esprit. Pour Han, l’attention doit être un espace de régénération, loin des distractions perpétuelles, afin que chacun puisse préserver son bien-être mental. Simone Weil, dans L’enracinement, voit dans l’attention une forme d’engagement moral, une façon d’être pleinement présent au monde et aux autres. Elle souligne : « L’attention est la forme la plus rare et la plus pure de générosité.» Pour Weil, prêter attention est un acte d’amour et de respect, que ce soit envers soi-même, autrui, voire de respect pour les connaissances que l’on souhaite acquérir. Cette vision de l’attention, comme espace de profondeur et de réceptivité, contraste avec l’attention dispersée qu’imposent les médias d’aujourd’hui. William James, figure fondatrice de la psychologie moderne, introduit l’idée que « notre expérience est ce à quoi nous consentons de faire attention. » En d’autres termes, ce sur quoi nous concentrons notre regard détermine la qualité de notre vécu et, au final, notre identité. James considère l’attention comme un choix intentionnel, presque existentiel, qui façonne notre relation au monde. Ainsi, les réflexions de ces auteurs montrent qu’au-delà de la simple gestion des distractions, reprendre le contrôle de notre attention est aussi un acte de redéfinition de soi, une manière de choisir notre propre existence dans un environnement qui tend à nous imposer ses priorités.
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DE L'ÉCONOMIE À L'ÉCOLOGIE DE L'ATTENTION.
Face à ces enjeux, Yves Citton propose dans Pour une écologie de l’attention (Seuil-2014) un concept qui se démarque de l’approche traditionnelle du contrôle individuel. Il ne s’agit plus simplement de résister aux distractions ou de multiplier les techniques pour se concentrer. Pour Citton, il est nécessaire de repenser notre rapport à l’attention en adoptant une vision « écologique ». Cette écologie de l’attention repose sur l’idée que notre environnement collectif façonne notre capacité à rester attentifs, et que l’attention est une ressource partagée, impactée par les structures sociales, les politiques économiques, et les technologies. Yves Citton distingue l’attention individuelle (sujet attentif à un objet), de l’attention conjointe (sujet humain attentif aux attentions des autres sujets en présence), et de l’attention collective (notre attention est conditionnée par nos perceptions médiatisées). L’attention individuelle (qu’il qualifie aussi d’« individuante »), peut-être automatique (« captivations » générées par des saillances à l’exemple d’une sirène de pompier qui active le système perceptif), volontaire (focalisation sur un objet qui active le système exécutif), ou réflexive (évaluation des valeurs d’un sujet qui active le système réflexif). Il met en évidence le fait que l’attention humaine est environnementale, latente et collective, davantage qu’individuelle et focalisée. Il souligne l’opposition entre l’attention esthétique et l’attention algorithmique des intelligences artificielles. L’attention esthétique présuppose la possibilité d’un retard de catégorisation (en regardant la Montagne Sainte Victoire de Cézanne, on recherche, au-delà de la catégorie « tableau » ou de la catégorie « montagne », une interprétations plus profondes), alors que les médias du 21ème siècle court-circuitent notre attention consciente en anticipant nos catégorisations (Google ou TikTok nous proposent à l’avance des catégorisations au fur et à mesure de l’avancée de nos recherches), en agissant directement sur notre sensibilité, au détriment de la réflexion et de l’approfondissement, mettant ainsi l’humain « hors circuit ». Citton invite chacun à prendre conscience de son « paysage attentionnel », un environnement composé de stimuli variés, de rythmes d’information, et de contextes sociaux. La surcharge attentionnelle actuelle résulte, selon lui, d’un déséquilibre de cet écosystème, où les éléments perturbateurs prennent le pas sur les éléments régénérateurs. Dans cette optique, l’écologie de l’attention appelle à préserver des espaces de calme et de réflexion, tant dans notre quotidien personnel que dans les sphères publiques. Citton propose de créer des « oasis attentionnelles », des lieux propices à la contemplation, à la lecture, et à la discussion profonde, en vue de rétablir un équilibre bénéfique pour la société dans son ensemble. Ce concept pose également la question de la responsabilité collective : il ne suffit pas de se discipliner individuellement, il faut aussi imaginer des politiques et des aménagements urbains qui favorisent une attention plus apaisée et plus durable. Yves Citton suggère, par exemple, de repenser l’architecture des espaces publics, et de promouvoir des lieux de silence et de méditation. L’écologie de l’attention devient ainsi un projet social, visant à rétablir une harmonie entre les sollicitations et les espaces de concentration.
REPRENDRE LE CONTRÔLE DE NOTRE ATTENTION.
Dans un monde saturé de stimuli et de distractions, il est essentiel pour chacun d’entre nous de prêter attention à la manière dont nous gérons notre attention. Il ne s’agit pas seulement de résister aux distractions, mais de cultiver activement un rapport plus sain et plus intentionnel avec notre environnement numérique et physique. Pour y parvenir, il est utile de commencer par désactiver les notifications non essentielles. Ce geste simple, appliqué aux applications et aux services qui ne répondent pas directement à nos priorités personnelles ou professionnelles, réduit efficacement les interruptions et nous allège mentalement. Nous pouvons aussi mettre en place des plages de déconnexion numérique, ces moments sans écran qui deviennent des rituels d’hygiène mentale, comme une heure avant le coucher ou juste après le réveil. En amorçant et en terminant chaque journée loin des sollicitations numériques, nous offrons à notre esprit un espace pour respirer et se ressourcer. De plus, l’adoption de rituels de pleine conscience, tels que la méditation ou la respiration consciente, renforce notre capacité à rester concentrés. Un autre aspect important de cette démarche consiste à prioriser les contenus auxquels nous nous exposons. Plutôt que de se laisser emporter par un flux d’informations sans fin, sélectionner des sources choisies avec soin contribue à un sentiment de clarté mentale et réduit le stress lié à la surcharge informationnelle. Enfin, créer des espaces dédiés à la concentration nous aide à renouer avec des moments de réflexion en profondeur. Que ce soit un coin tranquille de notre domicile ou un espace extérieur apaisant, se ménager un lieu sans distractions numériques nous permet de nous immerger pleinement dans nos pensées. Adopter ces pratiques, c’est apprendre à gérer notre attention de manière intentionnelle, en cherchant à préserver notre bien-être et à aligner notre esprit avec nos valeurs profondes. Comme l’écrivait William James : « L’art de la sagesse est l’art de savoir ce à quoi il faut faire attention ». En prenant soin de notre attention, nous nous donnons la possibilité d’une existence plus riche et plus authentique, où l’essentiel retrouve sa juste place.
Plume créative⎟Convertissez mieux, Vendez plus, Inspirez vrai, Influencez juste⎟ Copywriter - Ghostwriter
1 moisJe trouve très intéressant de considérer l'attention comme un bien commun qui dépasse la sphère individuelle. Le concept d'écologie de l’attention souligne que c'est notre environnement collectif qui façonne notre esprit.
Président chez CHERRY MOON | Nouveaux médias, Event, Direction créative, Activations de partenariats.
2 moisCette fameuse quête d’attention ; sempiternelle. Intrusive chaque quarter un peu plus…”L’expérience” des interruptions des programmes sur Amazon Prime ou Netflix par des mauvaises réclames ou bandes annonces hors de propos (insupportable) en est une des dernières très tendances. Alors se laver le cerveau avec de mauvaises séries ou doc sensationnalistes a un prix à payer. La générosité des tunnels publicitaires n’a jamais existee ou presque…A part peut être dans les best of du Super Bowl regardés avec attentions en pensant aux prochains Cannes Lions..
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2 moisDe très bons conseils
Transformation agile et inclusive des organisations | Innovation par le business model | Stratégie digitale
2 moisSe protéger et naviguer à vue d'intuition en coups de coeur. Voir l'éloge de l'oisiveté de H.Hesse + Petit éloge de la procrastination de E. Villin... Retrouver sa souveraineté de pensée et d'action, son libre arbitre, ses goûts personnels, le plaisir de réaliser ses projets sans se laisser emporter par le déluge numérique qui ne crée rien.
Father of three / Founder, Global CEO: Gen AI studio [Ai]magination + Big Idea Agency ‘Fred & Farid’ / Ex-Founder, CEO Marcel Agency / Brand expert / Harvard HBS OPM50 / Young Leader France-China / NYC-Paris / Yeu / 佛海
2 mois💡