Et toi, Papa, tu votes pour qui ?

- Et toi, Papa, pour qui tu vas voter aux présidentielles ?

Pas évident d'aborder ces sujets de la façon la plus constructive avec mes jumeaux de 17 ans qui, à un an près, auraient pu voter... Dialogue imaginaire s'ils m'avaient posé la question :

- Je ne vais pas te répondre directement, mais je vais te dire comment je fais mon choix, quels sont les critères importants pour moi. D'abord, la première chose qui compte pour moi, c'est de voter pour quelqu'un qui est attaché aux fondations de notre République, et notamment les droits de l'homme, la liberté et la démocratie. Si tu penses que quelqu'un est prêt à remettre en cause frontalement ces fondamentaux, tu évites à tout prix. Quelques indices : on les trouve généralement aux extrêmes droite et gauche ; généralement, quand quelqu'un admire ou idôlatre des dictateurs, quand quelqu'un essaye de te dicter ce que tu devrais penser, quand quelqu'un passe du temps à semer le doute sur les institutions ou nie de façon répétitive certains faits (comme les vérités scientifiques ou historiques), passe ton chemin.

- Eh, ça en élimine déjà un bon paquet d'office !

- Tu l'as dit ! Ensuite, il est aussi nécessaire de faire le tri entre les désirs et ce qu'on peut rationnellement faire. Par exemple, imagine qu'un candidat promette que tout le monde va recevoir un chèque de 10000 euros dès le mois de mai s'il est élu, évidemment, tout le monde a envie d'avoir 10000 euros à dépenser, mais est-ce que c'est la meilleure chose à faire avec les impôts ? Et bien il y a plein de promesses de campagne qui relèvent de cette logique : flatter les désirs. Tu dois te poser la question : est-ce applicable ? Ou plus exactement : quelles seraient les conséquences, sont-elles supportables, est-ce la meilleure façon pour le gouvernement d'agir et de dépenser l'argent public ? Les domaines économiques, ou ceux à forte composante scientifique, sont généralement assez complexes, et c'est souvent là qu'il y a le plus de promesses simplistes, qui ne seront pas mises en oeuvre, ou le seront avec des conséquences dont on payera longtemps le prix.

- Tu as des exemples ?

- Et bien par exemple arrêter le nucléaire, comme le propose Mélenchon. Tout le monde rêve d'un monde où l'énergie est propre, disponible partout, sans contrainte. Et bien ça n'existe pas vraiment, c'est une histoire de compromis. L'éolien et le solaire doivent être complétés par une autre source d'énergie quand il n'y a ni vent ni soleil car on ne sait pas stocker d'électricité en quantité suffisante. Le gaz et le charbon, ce n'est pas terrible pour le CO2, et l'hydroélectricité, ça utilise beaucoup de place, et peu de gens sont prêts à inonder leurs vallées. Alors tous les scénarios de suppression du nucléaire supposent de réduire très massivement les pics de consommation électrique, alors même... qu'on veut électrifier les transports et l'industrie. L'Allemagne est en train d'arrêter ses centrales nucléaires, continue à émettre en moyenne dix fois plus de CO2 que la France pour sa production électrique, et s'est rendue massivement dépendante du gaz russe, ce qui a pour conséquence directe de limiter notre capacité d'action contre la Russie dans la guerre en Ukraine. La question de l'énergie est quelque chose de très complexe, et il est particulièrement difficile de se forger un avis sur la seule base de ses propres connaissances, et encore moins uniquement de son bon sens.

- D'accord, mais alors comment je peux faire pour savoir ce qu'il convient de faire ?

- Ce n'est pas du tout facile, parce que la plupart des acteurs ne sont pas neutres, soit par méconnaissance, par conviction personnelle, par l'influence de tiers, par le fruit de l'histoire, par intérêt, ... Nous avons tout de même la chance de vivre dans un pays dont la plupart des institutions sont raisonnablement équilibrées. Par exemple, l'autorité de sûreté nucléaire en France (l'ASN), probablement une des plus exigeantes du monde, avait recommandé de réinvestir dans le nucléaire depuis de nombreuses années, sans être entendue. Après les travaux d'amélioration décidés suite à l'accident de Fukushima, Fessenheim était considérée par l'ASN comme une des centrales les plus sûres, mais elle a été arrêtée pour des raisons purement électorales. S'attacher à des sources d'information de ce type est un bon début. A compléter avec des sources internationales également (l'IEA sur l'énergie typiquement). C'est intéressant de comprendre et de décortiquer les critiques de ces institutions, mais a priori, il n'y a pas de raison de ne pas écouter les organisations de ce type dans des pays démocratiques. Sur la réforme des retraites, je n'ai absolument aucune connaissance sur le sujet ; il est assez clair que chacun aura envie de partir le plus tôt possible, payer le moins possible pendant sa vie active, et recevoir la pension la plus importante. Mais il y a des risques que le système ne tienne pas ainsi ! En France, on a le conseil d'orientation des retraites, instance indépendante et pluraliste qui se penche régulièrement sur notre système de retraite, et il est raisonnable de suivre ce qu'ils recommandent. Donc pour savoir si les propositions sur les retraites tiennent la route, je vais comparer avec leurs recommandations.

- D'accord, je vois qu'il y a déjà pas mal de boulot alors pour se forger un avis solide. Et après ? Gauche ? Droite ? ça veut dire quoi aujourd'hui ?

- Alors, je ne suis pas spécialiste du tout, et les différences ne sont pas toujours où on les attends. Si je reviens à mon point de départ, la liberté, et bien je trouve que c'est une valeur primordiale, y compris en économie. En France - contrairement à ce que certaines personnes suggèrent - l'Etat a un rôle particulièrement important et on est très loin de "l'ultra-libéralisme" que certains fustigent. L'intervention de l'Etat et les normes sont très utiles, bien sûr : par exemple, on est content que le voisin ne puisse pas construire n'importe quoi sans permis de construire, mais par contre on peut s'étonner de certains excès qui font que des procédures peuvent prendre de très longues années, alors même que les logements manquent cruellement. De mon point de vue, les entraves à la liberté d'entreprendre, à la liberté d'agir doivent être limitées à ce qui est vraiment nécessaire pour protéger des excès et doivent être re-questionnées régulièrement. Si tu regardes les candidatures aujourd'hui, elles font toutes - sans exception - la part belle à une intervention croissante de l'Etat dans tous les domaines : ce qui va être subventionné, ce qui va être interdit, ce qui va être régulé, ... On est très très loin du strict nécessaire.

- Mais généralement, l'intervention de l'Etat a vocation à aller dans le bon sens, non ?

- L'enfer est pavé de bonnes intentions. Bien sûr, généralement, l'intention est tout à fait louable à chaque fois, pour chacune des lois, des subventions, ... mais les effets induits, par accumulation, peuvent avoir un effet négatif. Par exemple, c'est important de protéger les locataires et d'éviter qu'ils soient mis à la rue immédiatement en cas de difficulté financières, mais en revanche, si une protection excessive conduit à ce que pour un propriétaire le risque de ne pas être payé est trop élevé, le marché de la location va se tarir, ou se durcir, avec un manque d'offre, des critères d'accès aux locations beaucoup plus difficiles, etc. Alors, on va mettre ensuite des mécanismes de subventions pour la construction de logement, puis des règles pour les dossiers de locataires, puis des crédits d'impôts,... Et ça devient une vraie usine à gaz, qui n'a toujours pas l'effet escompté ! Donc il faut être attentif aux équilibres, et surtout penser que les choses sont toujours plus complexes qu'elles n'y paraissent. Il n'y a généralement pas de place au "Y'a qu'à - faut qu'on".

- Si on t'écoute, alors les programmes des candidats ne feraient pas un recto-verso, mais en fait une véritable encyclopédie...

- C'est certain. C'est pour cela aussi qu'on ne vote pas que pour une personne, mais pour une équipe, un "camp", des gens qui se préparent pour rentrer dans le détail de ces sujets, qui sont prêts à s'y plonger, à organiser une réflexion collective, à travailler avec les meilleurs experts, et à rendre les choses concrètes et opérationnelles.

- Justement, en parlant de choses opérationnelles, avoir des idées c'est bien, être capable de les mettre en oeuvre de façon efficace, c'est aussi indispensable, mais comment savoir si celui pour qui on vote est capable ensuite de faire fonctionner le gouvernement ?

- Tu as parfaitement raison. Ca ne suffit pas d'avoir les meilleures idées, si derrière elles sont mal exécutées, mal mises en oeuvre. C'est donc important aussi de regarder l'expérience, l'expérience de l'équipe, et si le candidat ne se préoccupe pas que des idées, mais aussi de la façon de mettre les choses "en musique". Que penses-tu de quelqu'un qui veut réformer l'éducation, mais commence par se mettre à dos et provoquer une grande majorité du corps enseignant ? Penses-tu qu'il va réussir à les motiver à changer des choses ?

- Non, c'est clair... Bon, avec tous tes critères, globalement, on a éliminé tout le monde, il ne reste plus personne. Qu'est-ce qu'il faut faire ? Voter pour le moins pire ? Voter "utile" ? Voter blanc ?

- C'est une réflexion assez délicate. A priori, c'est bien, au premier tour, de voter pour le candidat le plus proche de ton choix (qui ne soit quand même pas marginal). Même s'il ne passe pas au second tour, son score pèsera dans la vie politique, dans les programmes du second tour, et pourra peut-être se développer lors des élections législatives par exemple. Il y a des exceptions, notamment si on anticipe des scores serrés qui risquent d'amener des situations difficiles. Par exemple, s'il y avait un risque de second tour entre Mélenchon et Le Pen, je voterais pour le candidat le plus susceptible d'éviter cette situation.

- Et voter blanc ?

- Il y a des partisans du vote blanc, qui représenterait un vote de protestation. Mais c'est quand même un non-choix, tu évites de te prononcer, ça ne fait pas avancer les choses. Si on regarde les choses en face, il y a quand même plusieurs candidats raisonnablement républicains, bien entourés, globalement rationnels. C'est pour eux qu'il faut voter, pour éviter les autres !

- Mais alors pourquoi les autres ont tant de succès ? Pourquoi l'extrême droite prend aujourd'hui autant de place ? Comment certains peuvent-ils croire aux mirages promis par Mélenchon ?

- Je ne sais pas te répondre précisément. D'abord je pense que beaucoup monde ne se reconnaît plus dans les partis politiques historiques. Il y a eu pas mal d'affaires en justice, avec des choses tout à fait inacceptables, c'est ce qui a par exemple définitivement écarté Fillon en 2017. Il y a le sentiment de l'existence d'une forme de "caste dirigeante", sentiment pas complètement infondé. Macron a été élu en 2017 en promettant de mettre fin à "ce monde d'avant", et, malheureusement, en dehors de quelques symboles, ce n'est pas vraiment le cas. Et s'il est en position d'être réélu en 2022, je suis inquiet pour 2027, car le "monde d'après" est loin d'être construit et prêt à prendre le relais. En plus de cela, il y a des positionnements politiques assez contradictoires sur certains sujets (la droite est-elle dirigiste ou libérale ? la gauche est-elle écolo-décroissantiste ou progressiste ?) qui ont fait perdre les repères, et envoient les électeurs vers des personnalités qui portent des discours plus polarisés.

- On dit aussi que le vote extrême est un vote protestataire ?

- C'est possible. De mon point de vue, ce n'est pas un bon calcul. Il y a évidemment des choses à corriger dans la vie politique actuelle, et certainement même des choses importantes. Pour autant, aux extrêmes, ce qui nous attend est bien pire que les problèmes qu'on a à résoudre. Mettre un coup de pied dans la fourmilière a, en fait, toutes les chances d'aggraver le problème, ou d'en créer des nouveaux bien plus significatifs.

- Bon alors, tu votes pour qui ?...

Guillaume Mazieres

Global Lead | Strategic Partners | Public Sector @ Amazon Web Services (AWS) | AWS Certified Cloud Practitioner

2 ans

J’aime bcp ton approche l’important est de donner les clés, pas les réponses. Bcp de discussions similaires chez nous!

Guillaume TOURNAT

🔐 Expertise Cybersecurité 🔬 Audit 🗯️ Conseil 👨💼 Gouvernance 🛠️ Intégration 🛡 Fortinet NSE8 #3224 🧱 PulseSecure, F5, InWebo, Wallix, TrendMicro, StormShield

2 ans

Je comprends que l’on puisse être circonspect, surtout pour expliquer le micmac dans lequel on se trouve à un enfant. Mais je dirais plutôt qu’il est grand temps de poursuivre à nouveau ses idéaux. De remettre aux commandes des principes fondateurs « liberté (individuelle et collective), égalité, fraternité ». Le bonheur est aussi un objectif louable. Sinon on se retrouve avec de froids technocrates, pour qui une vie humaine, animale ou végétale n’est rien que des chiffres dans des cases. Le PIB n’est pas un indicateur pertinent.

Patrick LE ROUX

Co Fondateur GoWizApp & GoWizYou

2 ans

Bravo Mathieu Jeandron ! Merci pour ton très bon post. En tant que parent j'explique aussi assez souvent que la critique est facile et l'art difficile. En tant qu'individu, il n'est pas simple de prendre des décisions pour soi. En couple les choix sont un peu plus compliqués. Lorsque, par bonheur, les enfants arrivent on augmente le niveau. Si l'on à la chance d'être entrepreneur les décisions peuvent mettent en jeu l'équilibre de familles entières. Alors que dire lorsqu'il s'agit de diriger un pays... Pas certain que parmi les candidats nombreux sont ceux qui veulent réellement la place compte-tenu du contexte actuel.

Nicolas BECHDOLFF

PMO, Business Analyst, Beekeeper.

2 ans

Bonjour Mathieu ! 100% d’accord avec ton argumentaire… mais pour reprendre un des points que tu développes (le nucléaire, dont je pense effectivement qu’il faut le développer pour nous aider à limiter le réchauffement climatique) aucun candidat « sérieux » n’a un plan qui tienne la route…😪 Macron et Pécresse sont des convertis de fraîche date et rien ne garantis qu’ils tiendront leurs promesses à ce sujet (Macron a confirmé la fermeture de Fessenheim et enterré Astrid, Pécresse était encore récemment contre le nucléaire et son mari a participé au démantèlement d’Alstom qui fabrique les turbines Arabelle…). Difficile de se faire une religion !

Amer Elhabbash

Senior Data Consultant at Amazon Web Services (AWS)

2 ans

Excellent argumentaire Mathieu. Je m'inspirerai dans 7 ans quand je discuterai de vote avec ma fille de 11 ans. Je suis entièrement d'accord , il faut s'exprimer. Merci !

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