Etat de l'exil...75 ans après : Etat-refuge ou Etat-Nation du peuple juif ?
Dans « L’Etat de l’exil », le sociologue Danny Trom suit l’idée d’un « Etat du peuple juif » depuis sa conception.
Une réflexion importante pour comprendre la crise actuelle
L’Etat israélien, toujours à parfaire ... par Claude Klein, professeur émérite à la faculté de droit de l’Université hébraïque de Jérusalem #UHJ
© Le Monde, 2023. Tous droits réservés.
Encore un livre sur Israël ?
Assurément, il n’en manque pas : sur le conflit israélo-palestinien, la colonisation, les Arabes israéliens, la religion, les rapports entre laïques et religieux ou entre Séfarades et Ashkénazes, la droite et Nétanyahou et son procès.
Mais, plus récemment, Israël est entré dans une grave crise politique et constitutionnelle.
Paru au début de l’année, L’Etat de l’exil, de Danny Trom, directeur de recherche au CNRS, a certainement été conçu et écrit quelque peu avant le déclenchement de cette crise dont on peut dater le début au retour au pouvoir du Likoud et de Nétanyahou, fin décembre 2022. Il arrive à point nommé, puisqu’il est de nature à donner des clés pour une meilleure compréhension de la situation.
L’approche est surtout théorique.
Danny Trom part du créateur du mouvement sioniste, Theodor Herzl (1860-1904), et de son œuvre fondatrice, Der Judenstaat (1896), dont il fait remarquer très justement que la traduction habituelle, « l’Etat juif », ne correspond pas à la signification réelle, à savoir « l’Etat des Juifs », ou même « un Etat pour les Juifs ». Encore eût-il fallu que ces Juifs ne soient pas « minusculisés » : il s’agit bien ici, à mon sens et je pense à celui de Herzl, de Juifs formant une nation, un peuple, et non de juifs appartenant à une confession (de même parle-t-on de Français, avec une majuscule, mais de chrétiens, avec une minuscule) : le conflit entre Juifs et Palestiniens y perdrait toute signification, puisqu’il s’agit du conflit entre deux nations et non entre deux religions.
Pour Trom, il aurait fallu d’abord définir la nature de cet Etat à créer, ou même, une fois créé, lui donner des contours clairs, à travers une Constitution.
On le sait, cela n’a pas été possible.
L’auteur expose bien les circonstances de cet échec, au moment de l’élection d’une Assemblée constituante qui se contenta d’indiquer une sorte de marche à suivre, soit l’adoption de Lois fondamentales, qui, une fois réunies, formeraient la Constitution.
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C’était d’ailleurs là un modèle doublement allemand (à l’époque, c’est-à-dire en 1950) : d’une part en adoptant la dénomination de « loi fondamentale » de la République fédérale d’Allemagne (plutôt que celle de « Constitution ») et, d’autre part, au travers d’une motivation (partielle, il est vrai) selon laquelle il fallait attendre la réunification avec la République démocratique allemande et, en Israël, qu’une majorité du peuple juif y soit installée (à l’époque à peine 10 % ou 12 % des Juifs du monde étaient en Israël, contre 50 % aujourd’hui).
La définition précise de l’Etat qui s’est voulu et se veut « l’Etat du peuple juif » n’a jamais pu se faire.
Danny Trom montre bien cette difficulté, voire cette quasi impossibilité, aujourd’hui plus manifeste que jamais.
Je vois, quant à moi, une illustration de la chute de l’idée originelle dans deux événements qui, par pure coïncidence, se situent en novembre 1995.
Le 4 novembre, le premier ministre Yitzhak Rabin était assassiné à Tel-Aviv (par un Juif extrémiste de droite) et, le 8 novembre, la Cour suprême rendait un arrêt historique par lequel elle proclamait les Lois fondamentales supérieures aux lois ordinaires, et qu’elle avait le pouvoir d’annuler des lois qui leur seraient contraires.
Les événements actuels en Israël tournent autour de ces 2 problèmes : les Lois fondamentales et le pouvoir judiciaire, le conflit entre une droite ultranationaliste et une masse beaucoup plus attachée aux libertés individuelles qu’aux « valeurs » nationales et religieuses.
Il y avait urgence !
L’Etat est encore à faire ou plutôt à parfaire.
Trom le qualifie d’« Etat de l’exil » : n’est-ce pas là ou plutôt n’était-ce pas là sa première fonction ? Il fallait un refuge, et Herzl avait bien vu qu’il fallait d’abord trouver un asile pour les Juifs (c’est ainsi que, en proposant l’Ouganda si contesté, il avait parlé d’un « Nachtasyl », un « asile pour la nuit »), car il n’avait pas seulement prédit que ...50 ans plus tard, il y aurait un Etat mais aussi que l’Europe était pour les Juifs comme une marmite prête à exploser.
Il y avait urgence, et c’est bien cela, l’« Etat de l’exil ».
Peut-être aussi un Etat conçu par et pour les Juifs d’Europe, et dans lequel les Juifs séfarades, qui forment désormais un peu plus de la moitié de la population juive du pays, ne trouvent pas toujours leur place.
Cet ouvrage suit le développement de l’idée d’un Etat depuis sa conception jusqu’à l’époque la plus contemporaine, en choisissant un point de vue très théorisé sur les différentes approches impliquées,sans se prononcer sur les solutions ou les issues possibles.
L’analyse de Danny Trom peut se résumer en une vision dichotomique entre 2 voies : celle, classique, de l’Etat-nation (juif) et celle, plus pragmatique, de l’Etat-refuge. Cette dichotomie se retrouve parfaitement dans la situation conflictuelle actuelle...
Les deux : refuge pour les juifs persécutés et nation juive.