Etre français
Je suis sous le choc et je ne suis pas hagard.
Je suis triste et je suis résolu.
Je suis assourdi et je ne veux pas être muet.
Une question lancinante m’habite depuis quelques années, fruit d’un âge qui avance et d’un débat trop souvent hystérisé par des intellectuels en mal de gloire, des médias en mal d’audience, des politiques en mal de légitimité. Cette question a éclaté vendredi soir comme une obsession et une évidence: Qu’est-ce qu’être français?
Ma francité a toujours tenu de l’évidence.
Petit-fils de militaire, rejeton de vieilles familles bretonnes (et par essence catholiques), produit des institutions classiques de la République, je n’ai cessé de la découvrir depuis que ma mère a décidé de m’apprendre l‘histoire de France dès l’age de six ans. Je n’ai depuis cessé d’interroger cette histoire complexe, polymorphe, fuyante, et si riche. Une première évidence s’est imposée. La France et son histoire n’appartiennent à personne par nature, juste à ceux qui se l’approprient et l’abordent avec entrain et circonspection.
Mes doigts brulent de poursuivre cette phrase qui commencerait par “La France, c’est…”
Il n’est pas ici question de citer ces hommes, ces femmes, ces paysages, ces écrivains, ces peintres, ces figures, ces musiciens, ces dates, ces lieux qui font la France, ma France. Je ne veux enfermer personne dans mes réflexions et mes visions. Je n’ai qu’une seule ambition, celle d’emmener chaque lecteur vers le chemin de sa propre quête, de la recherche de son moi social et de son moi intime, de la nature et des manifestations de son attachement à notre pays.
Il est temps de se demander quelle est cette France, pas celle des autres mais celle de chacun d’entre nous, celle que nous aimons, celle que nous aimons moins, celle où nous voulons vivre avec nos concitoyens.
Il existe un mot qui aurait presque disparu de notre vocabulaire, si ce n’est sous la forme de cette place au coeur de Paris où tout le monde passe mais où personne ne s’arrête, sauf quelques touristes en mal de clichés, la concorde.
Peut-être est-il venu le temps de la concorde, celui de l’entente, celui où nous nous entendons, celui où la voix de chacun devient un corps sensible ? Il ne s’agit pas de consensus, ni d’unanimité mais de ce moment, de cet état d’esprit qui nous poussent à nous écouter, à nous comprendre, à accepter que nos différences de point de vue sont aussi le socle de cette nation qui a toujours existé dans une unité fantasmée et des fractures vives. Notre histoire est traversée d’ajustements, de raccourcis, de massacres, de divisions dont nous sentons encore les cicatrices mal refermées.
Nous sommes en guerre mais sommes en paix. Nous oublions à quel point nous vivons une séquence historique inédite, celle durant laquelle une des premières générations va mourir sans avoir connu la guerre, ou de manière certes réelle mais si périphérique. La disparition de nos parents, de nos grands-parents est une occasion rare de leur poser des questions, de nous demander ce qu’est un pays quand les conflits ne jouent plus ces rôles de régulateur démographique et de recomposition nationale.
L’après-Charlie représenta une occasion apparemment unique et un moment raté. L’émotion fut aussi passagère que la foule fut massive ce 11 janvier 2015. Puis, après ce dimanche exceptionnel, chacun reprit ses habitudes, sa petite ou sa grande vie. Mais combien d’entre nous s’interrogèrent sur notre destin national en tant que communauté, notre projet, pas celui vite fagoté des hommes politiques que nous laissons diriger notre pays, mais notre intention de marcher ensemble parce que nous partageons la même histoire, la même langue, souvent les mêmes désirs, sur le même territoire, et surtout parce que malgré tout, malgré nous, nous n’avons pas vraiment le choix ? La nation, notre nation est autant une opportunité qu’une fatalité.
Je me désole d’entendre ces bonimenteurs, ces marchands d’histoire(s) s’approprier un passé, une âme qu’ils ne cessent de dévoyer par leurs approximations, leurs raccourcis, leur mauvaise foi.
Il ne s’agit pas toujours d’un calcul cynique, d’une intention malicieuse mais de l’expression d’une angoisse, d’une histoire personnelle mal digérée, ou d’un de ces instants de faiblesse qui vous fait baisser la garde ou abandonner tout espoir.
Ces moments historiques nous offrent, hélas, des occasions uniques d’échanger, de partager. L’être humain possède cet art tragique de savoir se retrouver dans la tragédie.
Aujourd’hui comme hier, Paris a des allures de ville en deuil. Tout semble tourner au ralenti comme un dimanche d’aout écrasée par un temps gris d’automne.
Les jours de funérailles nous pleurons nos morts. Nous exprimons des remords, des regrets. Nous commençons à prendre acte du fait que rien ne sera jamais comme avant sans savoir où nous allons vraiment. Ces jours tristes sont aussi ceux des réflexions et de l’introspection, des heures et des jours pendant lesquels nous devons nous demander ce qu’être français signifie, ce que nous pouvons accomplir ensemble, ce que ces monstres ont essayé de toucher et qu’ils ont à peine éraflé avec les balles de leurs mitraillettes
Aujourd’hui, nous avons l’occasion de repartir avec les vivants, ensemble, d’accomplir ce que nous avions tant de fois reporté, de refaire ce que nous avions raté, de célébrer ce qui nous rend si vivants et si forts, individus rassemblés dans une nation.
Nous sommes 66 millions moins 132, fiers, droits, dignes, les yeux encore embués ; 66 millions moins 132 qui ne pourront céder car si nous feignons de le savoir, ils nous imposent de regarder en face ce que nous ne voulons pas perdre, ce que nous ne pouvons pas abandonner.
Même les plus décérébrés ne peuvent échapper aux symboles, ceux qu’ils attaquent et ceux qu’ils créent. Ces hommes ont atteint ce qui fait la France sur les cartes postales et en profondeur, ses restaurants, ses bars, son stade national, ses lieux de divertissement et de retrouvailles.
Car la France, c’est bien le bataclan, un attirail encombrant, une histoire pas très nette, des cousins dont on se dispenserait, des voisins pénibles. Mais la France, c’est ce joyeux bordel, cet art de ne rien faire, cette envie d’être ensemble, ce désir de faire la fête et de célébrer un petit rien, cette science du retard calculé, cette ronchonnerie qui nous fait sourire, ce génie de l’amitié, ce talent unique pour la conversation pour le simple plaisir d’être avec les autres, nos amis tout en oubliant de leur dire que nous tenons à eux.
Mes amis parents me parlent de cette nécessité, de cet instinct qu’ils ont eu, depuis vendredi soir, de prendre leurs enfants dans leur bras, de leur dire à quel point ils tenaient à eux.
Je vois cette France aujourd’hui comme j’irais rendre visite à un ami à l’hôpital à qui j’aimerais déclarer cent, mille fois que je l’aime parce que je ne l’ai pas dit assez avant, tellement une fausse pudeur rendait cette banale déclaration maladroite ou indécente.
Cette France est notre mère, notre soeur, notre fille, notre amie sur son lit d’hôpital à qui nous tenons la main trop fort, pas assez fort, pour lui montrer notre attachement, cette affection que nous avions tant retenue sans raison depuis si longtemps.
Il aura donc fallu que la main de l’étranger -celui hostile à ce que nous représentons- nous frappe pour nous rendre compte de ce que nous sommes. Plus qu’un peuple, plus que des femmes, plus que des hommes, plus qu’un territoire, plus qu’une langue, plus qu’une histoire, nous sommes un projet. Nous sommes un désir. Nous sommes une volonté.
Je suis revenu en France en aout 2014 après avoir passé dix ans aux Etats-Unis dans la peau d’un étranger, celui que les autres voient comme venant d’ailleurs avec son accent, son vocabulaire limité, ses manières différentes même si loin de toutes les légendes, le regard des américains, les inconnus comme les amis, fut toujours bienveillant, curieux. Ainsi à Swan Valley, (200 habitants) dans l’Idaho, un soir de juillet 2014, un soudard dans un saloon me lâcha au bout de quinze minutes de conversation que son auteur préféré était Tocqueville.
Et il m’aura fallu moins d’une seconde pour retomber en amour devant Paris, cette ville-métonymie comme tout et partie de la France. Je me surprends encore dans des conversations à entendre des amis partager ce même attachement magnétique qu’ils n’osent pas exprimer. Et je me demande ce qui nous retient de nous raconter ce qui nous rassemble, ce qui nous rapproche et ce que nous pouvons offrir au monde.
Aujourd’hui, plus que jamais, ma place est parmi les miens, parmi mes compatriotes, parmi ces visiteurs, touristes ou immigrants, le regard balayant cette beauté et cette histoire dont nous sommes les gardiens et les héritiers mais aussi les architectes et inventeurs, ce destin que nous écrirons ensemble en nous engueulant, en nous admirant, en nous acceptant avec la certitude que nous unissent ces valeurs de liberté, de fraternité et d’égalité.
Vive la France!
Managing Director Middle East & Egypt at Dufry - Avolta Group. We make travelers happier 😀🟣
9 ansJe ne lis presque jamais ni ne commente les post non-professionnels sur Linkedin mais je suis heureux de faire un exception aujourd'hui. Merci, et vive la France!
Directeur du développement commercial et stratégie
9 ans:)
Incredible Jo 😊
Experienced global sales/BD manager, ads, ecommerce, retail media
9 ansWell done, my friend! Je n'ai pas ta prose mais je suis a 200% solidaire. Beaucoup de ces traits bien français que tu as si bien decrits me manquent ici aux USA!
Head of Marketing & Communication TCS France
9 ansTres émouvant - et de surcroît très bien écrit. Merci Jobic.