Faites confiance aux patients ! Quelle nouveauté pour quelle transformation ?

Faites confiance aux patients ! Quelle nouveauté pour quelle transformation ?

« Faites confiance aux patients ! Leur expérience va transformer nos services de santé. Apprendre à recueillir et analyser cette expérience devient un enjeu stratégique pour répondre aux besoins des personnes et orienter les priorités des professionnels. »

Qu’est-ce qui se cache derrière le slogan prometteur et méritant de l’institut français expérience patient ? Pour y répondre, l’institut a organisé le 4 octobre 2018 une rencontre à l’auditorium de cardiologie de la Pitié Salpétrière, sur le thème :

« L’expérience patient made in USA, un exemple à suivre ? »

Pour compléter son diaporama en ligne, et diffuser son appel "faites confiance aux patients", je propose de mettre en perspective les exposés et retours de la salle en quatre étapes :

  1. partir de la définition de l’expérience patient, pour mieux la comprendre et préciser : expérience patient, de quoi parlons-nous ?
  2. éclairer la dynamique internationale en route : quelle est donc la nouveauté de l'expérience patient ?
  3. observer comment elle se déploie aux US, notamment à la Cleveland Clinic, 2ème meilleur hôpital du pays : patient first, medical second
  4. voir ce que nous disent ces modèles américain issus d’une culture médicale
  • de business, où "another day is another dollar " (chanson phare aux US),
  • et de proximité, autour du friendly partnership qui se noue avec le "good doctor" (série télé américaine très populaire).
  • pour nous demander que retenir de ces expériences issues d'un autre modèle (communication, logistique ou soins repensés ?) avec en appui le lancement du baromètre de l'institut français de l'expérience patient, et une surprise en chanson de voice of health 3.0.

Entrons donc dans cette logique et dynamique des petites et grandes choses pour un système de santé moins angoissant face à l'hospitalisation, moins condescendant dans l'asymétrie soignant/soigné, notamment dans les maladies chroniques, plus à l'écoute et donc réactif, plus pratique, avec des technologies innovantes...

1. Expérience patient : de quoi parlons-nous ?

"Aujourd’hui, notre système de santé est devenu inadapté : il ne répond plus aux attentes des patients et nourrit le mécontentement des professionnels de santé. Il est marqué par de profondes rigidités d’organisation et est confronté à des tensions financières croissantes", nous dit la réforme "ma Santé 2022", annoncée le mardi 18 septembre 2018 par le président de la République. Cette réforme propose un engagement collectif et une transformation en profondeur autour de 3 engagements prioritaires : 

–     Placer le patient au coeur du système et faire de la qualité de sa prise en charge la boussole de la réforme. Dans cette optique et avec la mise en place des parcours de soins, ce n’est plus au patient de faire le lien entre les différents professionnels de santé, mais c’est aux soignants de se coordonner.

–     Organiser l’articulation entre médecine de ville, médico-social et hôpital pour mieux répondre aux besoins de soins en proximité 

–     Repenser les métiers et la formation des professionnels de santé.

Ecouter l’expérience patient pour mieux les soigner et prendre soin d’eux... , il semble qu’on ne peut a priori qu’adhérer à cette évidence de base, au point de s’étonner qu’il faille l’institutionnaliser pour la rendre effective, et que l'Etat ait besoin de la mettre au coeur de sa stratégie de transformation du système de santé.

Est-ce à dire que depuis la nuit des temps on soignerait sans écouter le malade, sans l’écouter d’abord ? Comment pourrait-on soigner et organiser les services de soin sans s’inquiéter et s’appuyer sur l’expérience patient ? Plutôt que de répondre à de telles questions piégées, je pense à ces quelques témoignages.

Dans le film Médecin de campagne, le médecin explique à sa remplaçante assistante que 80% du diagnostic est donné par le patient, qu’il convient d’écouter jusqu’au bout. Dans une conférence du médecin de la prison de Fleury Mérogis, retracée dans mon article l’épreuve au cœur de la vie, la traverser et l’accompagner, le docteur Anne Lecu explique qu’il faudrait pouvoir se taire plus de 17 secondes face à un malade. Un autre médecin, alors qu'elle m’interrogeait sur mon accompagnement du e-patient au volant de sa e-santé, m'a expliqué en s'en désolant que dans ses consultations de génétique, elle ne connaissait que deux catégories de patients: celui qui s’en remet trop au médecin, et lui demande de tout décider pour lui et à sa place, celui qui croit savoir mieux que le médecin.

En réalité, faut-il choisir entre les compétences et le savoir de l’un et l’expérience de malade de l’autre ? Médecin et patient n’ont-ils pas chacun une expérience et compétence différente à combiner et articuler ? Pour y voir clair, il convient donc de bien définir de quoi on parle.

L’expérience patient, c’est l’ensemble des interactions d’une organisation de santé avec un patient et ses proches susceptibles d’influencer leur perception tout au long de leur parcours de santé. Ces interactions sont façonnées à la fois par la politique conduite par l’établissement et par l’histoire et la culture de chacun des patients accueillis*.

 (*): définition inspirée par le Beryl Institute

Cette définition systémique correspond aux retours de la salle lors de la conférence organisée par l'institut français expérience patient, avec un public intéressé par le coté global de la démarche expérience patient dans tous les aspects de la vie d’un établissement, ( mobilier, décors artistiques, logistique, accueil, formation des soignants...)

Heureusement, l’expérience patient n’est pas absente de notre système de soins français : des choses sont faites dans des établissements ou par la Haute Autorité de Santé. Je retiendrai les exemples cités le 4 octobre

–     « associons nos savoirs » mobilise à la fois les secteurs de la santé et de l’accompagnement social, dans la lignée de la Déclaration de Vancouver de 2015, qui posait les bases d’une participation citoyenne à la formation professionnelle,

–     le « conseil des enfants » de Gustave Roussy, démarche primée par Unicancer, donne une place d'acteur à part entière aux enfants pour participer à l'amélioration de la prise en charge globale et ressentir une satisfaction plus importante vis-à-vis des soins

–     les indicateurs satisfaction mis en place par la Haute Autorité de Santé : IQSS 2018 - e-Satis +48h MCO mesure la satisfaction et l’expérience des patients hospitalisés plus de 48h.

2. Quelle est donc la nouveauté de la dynamique expérience patient ?

Pour répondre à cet enjeu repéré au niveau international, posons-nous ces questions :

Sommes-nous prêts à améliorer la qualité grâce à l’expérience et aux compétences des patients ?
Sommes-nous prêts à les considérer comme parties prenantes du système de santé, à l’image de toutes les entreprises, qui depuis les excès et déboires de la financiarisation de l’économie et des entreprises, passent progressivement et inéluctablement d’une logique purement actionnaire (shareholders) à une logique plus partenariale (stakeholders) ? 

Humainement, la réponse s'impose: la condescendance qui a pu prévaloir et continue de prévaloir pour certains professionnels de santé n’est plus de mise. Les patients sont des sujets à part entière, et en tant qu’usagers de santé ils ont des droits et devoirs, inscrits dans la loi depuis 2002. Ce changement de paradigme reste pourtant parfois lent à accepter : lors de sa formation à l’université des patients Pierre et Marie Curie, une patiente experte, présidente et co-fondatrice d’une association pour les femmes vivant avec le VIH, et actuellement représentante des malades et usages du système de santé, a entendu lors de son arrivée quelques commentaires qui l'ont étonnée: « on ne va pas s’asseoir sur les mêmeS bancs que des personnes qui n’ont pas fait 5 ans de psychologie ou 9 ans de médecine. » (NB J'éclairerai ce nouveau partenariat médecin-patient au congrès Med connect du 16 octobre prochain)

Pour répondre à ces médecins sachants (dans tout métier, il existe des sachants et des écoutants, ne jetons la pierre à aucun métier), il convient d'aller plus loin en vérifiant les arguments scientifiques de l'expérience patient, et de constater qu’au-delà de l’enjeu démocratique évident, il y a là un enjeu de santé : de plus en plus d'articles, nous dit le président de l'institut français expérience patient, montrent que cette expérience améliore les résultats des soins.

Comment faire alors pour en tenir compte ? S’appuyer sur les patients suppose une remise en cause des pratiques pour les faire évoluer.

3. Patient first, medical second. L'expérience patient aux US peut-elle être un exemple à suivre ?

L’etablissement de Cleveland est immense : 1400 lits, un budget de 8-9 milliards de dollars, plusieurs antennes... Sa perspective patient est centrée sur 5 attitudes (se sentir bienvenu, apaisé, rassuré, pris en compte et connecté), j'enfonce certes des portes ouvertes en disant cela, voyons donc sur quels axes cela se concrétise :

–     l'ace du personnel : son bien-être, son attitude, sa formation, du CIO jusqu’à la femme de ménage, avec des espaces de travail partagés, sans bureau attitré pour les médecins et le personnel, un management par l'exemple dit management HEART (hear empathize, apologize, respond, thank), une attention particulière aux effets du tout numérique, qui peut oter aux soignants le sens de leur travail, etc...

–     l'axe du partenariat patients familles, notamment pour aménager les endroits où ils vont attendre,

–     l'axe du parcours patient du domicile au domicile.

o  l'aider à se retrouver et patienter en arrivant à l’hôpital. Fini les signalétiques, et même le guichet d’accueil, si difficiles à mettre en œuvre dans nos grands établissements de santé : des concierges sont là pour accueillir le patient en face à face, lui donner une puce de géolocalisation qui va le guider, et permettre à l’hopital de savoir combien de temps il attend, afin d’aller le voir quand il attend trop

o le faire sortir de sa chambre pour favoriser une reprise de vie chez soi plus rapide : bibliothèque, lieu de repas...

o  lui donner la possibilité de lire et récupérer son compte rendu médical en direct : une dictée vocale permet au médecin d’avoir un compte-rendu en ligne, sur un écran partagé pour lui et le patient, informé de ce qui est écrit sur lui et pour lui

o  permettre au médecin qui va dans sa chambre d'avoir toutes les informations patients sur tablette avant son entrée.

Le beryl institut, partant pour sa part du constat de la dégradation de la réaction des soignants au cours du tour soignant, mais aussi, soyons francs, de la dégradation des notes et dotations financières (les établissements américains sont notés en ligne de 1 à 5), a voulu limiter le burn out des soignants en réduisant leur frustration après un échange patient difficile, et mesurer les effets sur l’expérience patient. Parfois, souvent même, les idées les plus simples sont les meilleures : dans les verbatim retour des formations déployées au niveau du management et des soignants, il apparaît que rester professionnel, c’est de faire des mini pauses quand le soignant en a besoin. Encore faut-il le dire et le rendre possible, ce que permet une démarche globale de transformation d’un établissement.

4. Au final, que penser et retenir de ces expériences issues d’une autre culture ? Communication, logistique ou soins repensés ?

Les retours et expériences partagées par la salle ont pointé

–     le côté global de démarches déjà en route en France, démarches à décliner selon la culture de notre pays mais aussi de chaque organisation de santé concernée : il n'y a pas de modèle préconçu valable partout et pour tout le monde.

–     le fait que se centrer sur l'expérience patient est bénéfique pour les patients et pour les professionnels

–     l'importance de ne pas seulement penser l'expérience patient en termes d'expérience usager, ou en opération de communication interne pour les établissements, mais aussi dans la décision médicale : plus que de noter la "gentille conversation" des patients avec les soignants, il convient de prendre en compte la pertinence des soins selon les patients, point crucial non évoqué ce 4 octobre.

L'Institut français de l'expérience patient lance son baromètre

Soyons à la fois patients, constructifs et proactifs.

  • L'institut lance un baromètre pour mesurer l'évolution de la dynamique en France, analyser l'appropriation des leviers de l’amélioration de l’expérience patient par les professionnels, élaborer des recommandations pour accélérer la mise en pratique.
  • L'institut nous propose de relayer le message "faites confiance aux patients".

C'est pour moi chose faire avec cet article, ou encore celui sur les remèdes pour sortir la psychiatrie de son état d'urgence, où j'annonce notamment la création de l'association "Connexions familiales", que j'ai l'honneur de présider, et ses modules de formation pour les proches aidants à partir de novembre 2018 (lire en préambule Une 1ère en France en psychoéducation familiale des TPL (Troubles de la Personnalité Limite) : Connexions Familiales©

The voice of health 3.0

Pour finir, une surprise en d'un médecin qui partage son expérience en chanson.

Alors : faites-vous confiance aux patients ? Voulez-vous faire confiance aux patients (et soignants !) et comment ? Comment voulons-nous tous rendre effective la médecine des 4 P (préventive, personnalisée, participative et prédictive -lire à ce sujet " de la prédictivité numérique à la lisibilité de nos vies : Michel Ange revisité "- ?

A vous de le dire et partager ! Merci d'avance de vos retours et partage.

Muriel Rosset, 06 33 70 31 24

Coach e-patient (engagé, éduqué, empowered), formatrice en qualité de vie globale (santé + qualité de vie au travail + qualité de vie hors travail). Chaleureusement

 

 

Mohamed Ali Aras Arasmed

Formateur infirmier à l ' Institut Supérieur de Sciences de la santé ( I S S S )

6 ans

C’est un travail de réflexion très riche et constrictive qui mérite d’être vu sous plusieurs angles avec aucuns conflits d’intérêt S’appuyer sur les patients ne suppose pas une remise en cause des pratiques pour les faire évoluer. Au contraire le fait de se centrer sur l'expérience patient est bénéfique pour les patients et pour les professionnels Dans cette situation la question qui se pose est relative à la compétence. Tant qu’on n’arrive pas à mobiliser et combiner l’expérience du patient comme une ressources externe au professionnels , l’amélioration de la qualité de prise en charge global et continue restera toujours en question ? Concernant la coordination le patient est bien placé pour dire à quel niveau y a eu un problème dans sa prise en charge. Puis que la prise en charge doit être globale et continue. "que deux catégories de malade : celui qui s’en remet trop au médecin, et lui demande de tout décider pour lui et à sa place, celui qui croit savoir ce qui est bon pour lui, au point de sans cesse (et donc trop, selon elle) questionner voire remettre en question le savoir du médecin."  Un bon médecin  c' est quelque' un qui sait dire  non à sait  qu’il ne connait pas. Et un bon infirmier c' est quelque' un qui sait dire non à sait qu’il ne connait pas.  Pareille  pour le patient. Le meilleur juge de la classe c' est l' enseignant Et le meilleur juge de système de santé seront les patients et les professionnels . Donc faisons tous ensemble pour améliorer en s' appuyant sur l' expériences des patient « Tout ce qui est fait pour moi, sans moi, est fait contre moi », disaient Gandhi et Nelson Mandela.

Frédéric SOLER

CSDS au CHU de Nîmes & Vice président de l'Association Nationale des Cadres de Santé (ANCIM)

6 ans

Le patient a des savoirs sur sa maladie. Alors faisons le participer à sa guérison.

Dominique Bériot

Spécialisé dans l'approche systémique du changement et du management dans les organisations. (+29000 abonnés et 73 articles)

6 ans

J'apprécie ce travail de réflexion en profondeur sur des problématiques importantes comme la contribution des patients à l'amélioration générale du système de santé. Mais à condition de ne pas vouloir atteindre trop vite le stade de "patients experts". Il s'agit pour moi d'approfondir le champ des réflexions sur la nature de ses contributions, sans tomber dans l'angélisme ! Enfin, j'ai trouvé la chanson du médecin sur la fin de vie extrêmement pertinente, d'actualité et moderne dans sa conception.  Merci à tous ceux qui nous aident à avancer sur ce chemin.

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