Fascinants despotes
On sait qu’une hirondelle ne fait pas le printemps. On sait aussi que lorsque le temps tourne à l’orage, les hirondelles volent bas et l’on peut voir qu’en ce moment il n’y en a pas qu’une. Quelles sont celles qui me préoccupent ? Leurs noms reviennent dans la presse et sur les réseaux sociaux : Bolsonaro, Salvini, Orban, Erdogan, Duterte… et d’autres, très connus ou moins connus, sans compter tous les candidats du même acabit qui dans de nombreux pays s’efforcent de s’emparer des leviers du pouvoir
La recrudescence de ces tendances de sombre mémoire doit-elle être vue comme le présage d’un nouveau séisme de l’Histoire ?
Bien entendu, la montée de régimes durs a déjà été observée entre des périodes de difficultés économiques et de guerre. Pourtant, les temps ont changé. Les aveuglements d’hier ont été lourdement payés, les connaissances ont été vulgarisées, le foisonnement des idées n’a jamais été aussi actif, les peuples devraient logiquement être mieux armés pour les éviter et raisonner de façon moins sommaire.
Il fut un temps où nos pays occidentaux étaient dévolus à une œuvre « civilisatrice », ce qui voulait dire qu’ils prétendaient être les civilisés par rapport à ceux qui ne l’étaient pas. Les espèces animales étaient classés en catégories bien différenciées entre les « nuisibles » et les « utiles ». Les principes de l’éducation avaient quelque chose de binaire, ce qui n’étant pas sans influence sur une façon de se positionner dans le domaine politique qui a d’ailleurs gardé les traces d’un raisonnement déficient. On le retrouve chaque fois qu’il se cantonne dans une appréciation selon une graduation portée par un seul axe de la gauche vers la droite, sans percevoir que l’espace des options et des perceptions politiques est multidimensionnel.
Le constat des résultats décevants des idéologies simplistes, les progrès accomplis dans la perception du vivant, de la complexité des écosystèmes, des curiosités du fonctionnement du cerveau, des phénomènes de psychologie sociale, tout un ensemble d’avancées ont permis d’introduire une notion de relativité dans les approches rationnelles de notre existence et de modifier sensiblement les principes éducatifs.
Pourtant, cette évolution a de temps à autre été mal ressentie par les nostalgiques de la pensée simple qui ne peuvent trouver de repères que dans un univers où le bien et le mal, l’acceptable et l’inacceptable, le faisable et l’infaisable sont fixés dans des limites tracées au cordeau. Dans ce mode de pensée, tout ce qui est mauvais serait conduit à être finalement traité par l’élimination.
Tant que tout va suffisamment bien, les joutes entre ces tendances alimentent les chamailleries, orientent les choix partisans, débouchent sur des orientations politiques qui ont valu des alternances répétées autour d’une médiane sans donner lieu à des évolutions vraiment dramatiques. Les gens semblaient avoir oublié malgré les leçons du passé, que l’humain était toujours capable de l’impensable.
Il en va autrement quand le ressenti d’identité s’en mêle, quand l’équité des situations économiques est gravement altérée, quand le sentiment d’impuissance désespère les citoyens qui ne comprennent plus le fonctionnement des institutions. C’est ce qui se produit en cas de crise.
Et actuellement, la crise est double : elle concerne une évolution sans précédent de la relation au travail, à l’utilité sociale et à sa rémunération, et elle concerne une recomposition de l’environnement social, de son arrière-plan culturel, de ses valeurs philosophiques et religieuses.
Elle est aggravée par la prise de conscience du réchauffement climatique, alors que les remèdes évoqués pour y faire face - autant que faire se peut - sont ressentis comme amenant une aggravation de l’inconfort, de l’insécurité économique et des injustices.
La conséquence rapide de cette situation est l’incertitude qui fait naître la peur, une peur savamment exploitée par ceux qui, par le biais de la communication, espèrent peigner les difficultés dans un sens qui leur est favorable.
Cette évolution se dessine non seulement dans notre giron national, mais sur le plan mondial où des contextes divers aboutissent à des phénomènes du même ordre. Et cela lui donne un tour plus angoissant encore.
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La marche à suivre pour conjurer coûte que coûte le futur redouté diffère complètement en fonction des positionnements, et des factions hostiles se constituent au sein des populations, et les échanges entre semblables sur les réseaux sociaux poussent à une forme de radicalisation, en particulier chez les plus inquiets.
Pour les uns, la démarche de sagesse consiste à tirer parti des analyses scientifiques et des progrès technologiques, de jouer la coopération internationale pour trouver en concertation avec d’autres partenaires des solutions à des situations identifiées comme prioritaires. L’eau, l’énergie…
Pour d’autres, que seul un retour au passé pourrait rassurer – puisque le futur n’est pas rassurant – la démarche consiste à envisager le repli, la fermeture des frontières, l’intolérance vis à vis des attitudes non conformes à des normes préétablies, la protection musclée par la force de l’État.
Pour les grands groupes financiers et les multinationales, rien ne compte sauf le profit, pas question de se priver des ressources sous quelque prétexte que ce soit, et s’il y a une question à régler, c’est celle du nombre excessif de terriens car beaucoup ne présentent que des problèmes et aucune perspective de profit. On sait que les liens incestueux tissés jadis avec le côté sombre n’ont rien fait dans la philanthropie.
La question est maintenant de se demander pourquoi la sagesse l’emporterait, simplement par le faitf que l’humain est doté d’intelligence.
C’est ici qu’intervient son côté trop souvent oublié et que l’éthologie révèle pourtant sur les espèces génétiquement proches. Un groupe qui se sent menacé s’engage derrière son chef. L’individu qui se sent menacé rêve de puissance, il s’identifie à celui qui respire la force et inspire la terreur. Il entretient la fascination de ses admirateurs et admiratrices, pour qui il serait le seul en situation de terroriser – étymologiquement : de défendre son territoire. Les échos qui nous reviennent tristement du Brésil nous laissent comprendre que le tyran qui se profile est perçu comme une "bouée de sauvetage". La confusion semble donc totale.
L’Histoire révèle pourtant sans ambiguïté que le chef a un incommensurable pouvoir de nuisance, et ce, d’autant plus qu’il se trouve de ses sujets pour lui obéir, jusqu’au sujet le plus subalterne qui y perdra peut-être la vie.
Il est frappant de constater que des Tyranneaux d’aujourd’hui comme Trump, Duterte ou Bolsonaro arrivent à tirer parti des caractères de férocité ou de désinvolture qu’ils affichent fièrement alors qu’en temps normal, une telle conduite les auraient écartés définitivement de la vie politique. Quand le chef a pris le statut du « protecteur du groupe », il ne souffre apparemment d’aucune limitation. Il devient despote, il ose tout et c’est à cela qu’on le reconnaît.
Il fera alliance avec la grande industrie – celle des groupes militaro-industriels en particulier – et disposera donc d’un colossal potentiel de destruction. Par ailleurs, une partie significative du peuple lui sera dévouée corps et âme.
Face à cela, quel résistance opposer ? J’en vois deux : la désobéissance et la dérision. Bien sûr, l’une comme l’autre pratiquée à titre individuel ne se solderait que par un martyr de plus tant ces « armes » sont redoutées par les despotes. Dans ce qui risque d'arriver, comme ce qui arriva dans le passé beaucoup plus mourront des suites de leur obéissance que du fait de leur opposition.
Les moyens de communication étant ce qu’ils sont aujourd’hui, ils peuvent être mis en œuvre tant que c’est possible, c’est à dire avant que la tyrannie ne dispose d’un contrôle étendu. Après, il sera trop tard.