Faut-il stopper le développement des stations de ski ?
Stéphane Durand - Synergies et Développements - Revoluence - Reezom

Faut-il stopper le développement des stations de ski ?

Derrière ce titre provocateur dont l’unique objectif avoué est de capter votre attention, se cache un questionnement profond sur nos systèmes de gouvernance. De ceux qui nous amènent à prendre des décisions relatives à l’avenir du ski et bien d’autres sujets tels que la mobilité et ses infrastructures de transport, l’urbanisme, l’industrie, la santé, la gestion de l’eau, l’économie, les lois… Bref, tout sujet pour lequel les décisions sont prises dans un périmètre que je qualifierais de généralement « non pertinent ».


Invité à intervenir dans le cadre de la biennale de la redirection écologique organisée par la Ville de Grenoble le 9 juin 2023, j’ai cherché à illustrer, dans le temps court qui m’était imparti, les enjeux associés à la manière dont nous définissons nos systèmes de gouvernance.

La table ronde à laquelle je contribuais aux côtés de Fiona Mille , Martine Gruffaz, Emmanuel Bonnet et Olivier Erard , étant dédiée au sujet complexe de la redirection des territoires de montagne, j’ai choisi d’illustrer le sujet de la gouvernance à travers l’exemple des stations de ski. J’aurais pu faire le même travail avec le transport aérien par exemple ou sur un grand projet qui fait actuellement (et depuis 30 ans) polémique, le chantier Lyon Turin Ferroviaire.

Ce travail de préparation a donné lieu à 4 diapos que je vous livre ici.

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Une de nos représentations d'une station de ski


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Pour pouvoir fonctionner, une station de ski a besoin de ressources diverses, génère des flux considérables et impacte l'organisation de la vie d'un territoire bien plus vaste que celui de la station ou de la vallée. La création d'un pôle d'attraction économique tel que la station de ski, ouvre des opportunités qui elles même ont des impacts considérables, bien souvent à la fois "positifs" et aussi "négatifs". Par exemple, la création d'infrastructure de mobilité pour les besoins des stations de ski (par exemple 3e voie sur l'A43 en amont de Chambéry depuis Lyon), crée de nouvelles opportunités de mobilité qui augmentent les flux toute l'année, "justifie" l'éloignement des services à la population comme les hôpitaux par exemple, aspire les consommateurs vers de grandes zones commerciales au détriment du commerce de proximité qui s'effrite ce qui "justifie" à nouveau, l'augmentation de capacité des infrastructures pour palier à l'absence de services locaux dans les territoires.


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Dans cette représentation du trafic routier, nous pouvons observer sans aucun doute, les impacts des flux touristiques lors de la saisons hivernale dans les Alpes. Or, une infrastructure de transport n'est pas "élastique". Pour pouvoir faire passer les flux de "saison haute", principalements concentrés sur 3-4 week-end lors des congés de février, avec une activité haute pendant globalement 1,5 à 2 mois les weekend sur la même saison, il est nécessaire d'voir des infrastructures de taille suffisante en permanance.


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Sans commentaire et à disposition pour en discuter !

Mon propos était relatif à la nécessité de définir nos systèmes de gouvernance en considérant les impacts holistiques, systémiques et dynamiques de décisions qui préemptent des ressources conséquentes et modèlent l’organisation de nos systèmes socioéconomiques. Ces « modélisations » de la réalité sont évidemment partielles et partiales. Leur enjeu premier étant pédagogique, celui de la prise de conscience qu’une « station de ski » peut être représentée dans une réalité bien plus complexe que celle que les images du marketing nous amènent à penser.


Faut-il stopper le développement des stations de ski ?

Je ne sais pas répondre à cette question autrement que « ça dépend »

Et le « ça dépend », doit être discuté entre toutes les parties prenantes qui ont à « gagner » et « à perdre » au regard des propositions de développement qui sont formulées. Au final, l’enjeu est que tout le monde puisse y gagner.

Or, le combat se fait généralement sur des « solutions », issues de son propre référentiel idéologique. Nous avons besoin de remonter aux besoins de chacun, de les partager en transparence et honnêteté pour imaginer des solutions adaptées à court, moyen, long et très long terme dans une vision holistique, systémique et dynamique, tout en étant intégrées aux enveloppes culturelles du collectif dans sa plus grande diversité et en conscience des niveaux d'enjeux (cf travaux d' Eric Plottu sur les niveaux logiques des enjeux de rentabilité, stratégiques et identitaires). 1)


Qu’il s’agisse par exemple, de l’avenir des activités économiques et pratiques sportives en montagne, des choix en matière d’agriculture, de la gestion de la ressource en eau, de l’avenir des activités que nous savons aujourd’hui néfastes pour le vivant dans sa plus grande diversité, le traitement de ce sujet est source de conflits sociaux et de crispations au sein des territoires. Les tenants du « pour » et du « contre », se déchirent et en arrivent à rompre toute forme de dialogue rendant la bifurcation difficile, voire de moins en moins probable.

Depuis quelque temps, je rencontre des personnes impliquées dans des projets de « développement » et qui souffrent des tensions relationnelles qui résultent d’affrontements « sauvages », de paradigmes.

  • Des élus qui ne comprennent pas pourquoi des collectifs d’opposants s’opposent et obtiennent gain de cause des tribunaux alors que les projets qu’ils portent leur semblent indispensables au développement du territoire au sein desquels ils ont remporté les élections.
  • Des collectifs de défense des intérêts du vivant et des communs qui regrettent un dialogue impossible avec les porteurs des grands projets et mobilisent de plus en plus d’énergie à « combattre la machine administrative » et se sentent contraints d’adopter des postures de plus en plus radicales et des modes d’action regrettables.
  • Des cadres dirigeants au sein de collectivités qui souffrent de cette position intenable, entre le marteau et l’enclume, comprenant les arguments des opposants tout en devant loyauté à leurs élus qui ne comprennent pas ce qui se passe.
  • Des entrepreneurs qui étouffent devant les injonctions paradoxales que l’administration pose, développer des emplois et du PIB tout en réduisant leurs impacts négatifs sur leurs écosystèmes dans le paradigme libéral au sein duquel, la liberté d’entreprendre est une valeur motrice.

Ces difficultés, souffrances et gaspillages associés ont pour cause essentielle, la manière dont nous les approchons et nous décidons.


Notre approche « cartésienne » des sujets, viscéralement ancrée dans nos processus cognitifs, nous amène à croire que nous pouvons et réfléchir dans des périmètres restreints.

En période d’abondance, même si fondamentalement cette manière de penser est erronée, nos systèmes socio-économico-naturels s’en accommodent.

Lorsque l’accès aux ressources devient plus compliqué, lorsque les externalités néfastes ne passent plus inaperçues, à chaque fois qu’un acteur « gagne », d’autres « perdent ». La tension devient de plus en plus palpable. La peur de perdre et le réflexe de préservation deviennent les moteurs du radicalisme qui touche l’ensemble des parties prenantes, impliquées et impactées.


Pour une pédagogie de la pensée complexe (réellement) appliquée, dans le quotidien (et pas seulement dans le marketing...)

Plus de 25 ans que je travaille sur le sujet des situations complexes et je n’ai aujourd’hui pas trouvé d’autres solutions plus efficaces que mobiliser l’intelligence collective et faire travailler les collectifs avec une approche holistique, systémique et expérientielle pour débloquer des situations et développer des solutions adaptées et efficaces dans le temps court, long et très long. Monter en conscience les acteurs et développer des représentations "augmentées" de la réalité qui, si elles restent incomplètes au regard de la complexité du réel, sont précieuses pour sortir de l'ornière et de l’immobilisme qui en résulte qui, paradoxalement, nous emmène dans le mur.

Seulement, si « systémique » et « complexité » sont devenus des mots à la mode, tout comme « résilience » ou « transformation », en réalité, pas grand monde sait de quoi il en retourne.

La pédagogie de la pensée complexe est une discipline particulièrement ardue. Je saisis toutes les opportunités pour « tester des trucs et astuces pédagogiques ». Les quelques modestes illustrations que j’ai créés pour l’occasion semblent avoir « bien fonctionné » sur l’auditoire de la biennale de la redirection écologique du 9 juin dernier.

Certes, il vous manque 10 minutes de commentaires pour pouvoir apprécier la proposition cependant… Qu’en pensez-vous ? Avez-vous des trucs et astuces à partager pour accélérer l’intégration du paradigme de la pensée complexe et de l’approche systémique dans nos systèmes de pensée ?


"Le monde que nous avons créé est le résultat de notre niveau de réflexion, mais les problèmes qu'il engendre ne sauraient être résolus à ce même niveau."

Cette citation, que l'on prête à Albert Einstein, traduit bien la taille de l'enjeu, la hauteur de la marche à franchir et la voie, certes incertaine, inconfortable pour beaucoup d'entre-nous et semée d'embuche que nous devons emprunter pour relever les défis qui s'offrent à nous, tant sur le plan écologique, social qu’économique.

Nous avons besoin de toute une ingénierie pour accélérer la transformation de nos sociétés et, nécessairement, de nos fondations culturelles qui dictent notre manière d'adresser les sujets et d'imaginer des solutions. Cette ingénierie est émergente. Quelques acteurs, dont nous faisons parti, travaillent sans relâche sur ce sujet depuis plus de 25-30 ans. Nous ne sommes cependant pas assez nombreux, mettons en synergie nos talents.

Je terminerais par cette citation de Mark Twain déclamée dans un contexte bien différent...

"Ils ne savaient pas que c'était impossible, alors ils l'on fait".

Alors... faisons le !


Merci à la Ville de Grenoble et notamment Antoine BACK , Xavier Perrin ainsi que l'équipe d'Origens Medialab, Alexandre Monnin , Diego Landivar et Emmanuel Bonnet organisateur des événements si importants de la redirection écologique qui est une redirection éminemment sociétale, voire civilisationnelle et mythologique à opérer.

Xavier Devaux

Professeur à L'ENPC pour le MS DT, Consultant SMART Building, Architecte en SI complexe, Scrum Master, Membre de la SBA et Contributeur à la SBA Academy.

11 mois

Je cite "si « systémique » et « complexité » sont devenus des mots à la mode, tout comme « résilience » ou « transformation », en réalité, pas grand monde sait de quoi il en retourne. " Vous avez hélas bien raison et vous en avez aussi bien identifié une cause importante : ==> Les sujets ne sont pas traités à la bonne échelle, pour principalement 2 raisons. - une 1ere raison est la méconnaissance ou l'ignorance. Faire prendre conscience de la bonne échelle suffit à débloquer la situation et donc à trouver une bonne solution. - une 2ième raison est le refus ou l'incapacité d'élargir l'échelle. Il faut alors d'abord lever ce refus ou cette incapacité avant de pouvoir débloquer la situation et trouver une bonne solution. C'est un cas malheureusement très fréquent et particulièrement long et difficile à traiter . Ce qui est certain, c'est que traiter le sujet au bon niveau est un prérequis à la determination et mise en place de bonnes solutions.

Florian HISSELLI

Adaptation au changement climatique et transformation des territoires

1 ans

Merci Stéphane pour cette synthèse très juste des chantiers à mener. Un article à relire pour rappel utile ;)

Stephane Durand

Accompagnement et accélération des transformations sociétales, prospective managériale et sociétale

1 ans

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