Finalement, la clause Molière est-elle régulière dans les contrats publics?
Alors que l'affaire semblait entendue, une récente décision rendue par le Tribunal administratif de Nantes rebat les cartes d'un débat politique aux prises avec le droit des contrats publics.
Rendons hommage aux cinq actes du théâtre classique: cette décision est probablement le troisième acte.
Premier acte: La vision politique
Tout a commencé il y a environ un an lorsque Laurent Wauquiez, Président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, présentait les "grands principes et les engagements de la région pour soutenir les entreprises locales dans le secteur du bâtiment", en reconnaissant clairement qu'il "rus[ait] avec le code des marchés publics" (par ailleurs abrogé au moment du discours, mais c'est un autre débat) pour mettre en place une "préférence locale" dans l'attribution des marchés, allant de pair avec une interdiction d'emploi de travailleurs détachés par les entreprises locales.
Progressivement, plusieurs collectivités ont étendu cette préférence locale, appelée "clause Molière" au motif que pour lutter contre le travail détaché et protéger l'emploi local, les titulaires de marchés de travaux doivent mettre à disposition de leurs ouvriers des traducteurs sur les chantiers "pour garantir la compréhension et l'usage du français par tous les travailleurs", si l'on en croit la délibération prise ensuite par la Région Hauts-de-France, ainsi qu'informer la collectivité de leur intention de faire appel à des travailleurs détachés, et des pénalités seront réclamées en cas de non-réception de la déclaration de détachement.
Deuxième acte: Les oppositions entre juristes
La doctrine juridique s'est rapidement emparée du sujet, et un auteur considérait, à raison, dès juillet 2016 que les infractions de discrimination ou de favoritisme ne pouvaient être constituées à l'égard de la clause Molière, mais surtout que si un candidat évincé d'un marché public voulait contester le rejet de son offre, il devrait démontrer au juge (1) que cette clause est à l'origine de son éviction et le lèse mais surtout (2) qu'elle consiste en un vice insusceptible de régularisation, impliquant que le contrat ne puisse se poursuivre en l'état.
"Les chances de voir annuler le contrat semblent maigres", estimait ainsi à juste titre le Professeur Benoît FLEURY ( Commande publique : clause Molière versus #TeamJuncker, JCP A, 25 juillet 2016).
Or quelques mois plus tard, le Gouvernement publiait une instruction (consultable ici), relative aux délibérations et actes des collectivités territoriales imposant l'usage du français dans les conditions d'exécution des marchés.
Pas moins de quatre (!) ministres (Economie et Finances, Travail, Collectivités territoriales, Intérieur) mettaient les choses au clair: excédant la volonté du législateur, la clause Molière (1) porte atteinte à la libre prestation des services qui implique qu’une entreprise d’un Etat membre puisse exercer librement son activité dans un autre Etat membre, (2) alors qu'en parallèle, les mesures visant à protéger les travailleurs ne doivent pas engendrer de discriminations directes ou indirectes à l’égard des travailleurs d’autres Etats membres.
En d’autres termes, pour les quatre Ministres signataires de l'instruction, les critères de sélection d’un marché public ne doivent jamais aboutir à une discrimination fondée sur la nationalité. L'affaire était entendue, la clause Molière était illégale.
C'était sans compter sur la récente décision rendue par le Tribunal administratif de Nantes.
Troisième acte: L'orthodoxie juridique rétablie
Les grandes décisions viennent aussi de magistrats délégués aux référés affectés à des juridictions du premier degré.
Justement, le tribunal administratif de Nantes a rejeté le 10 juillet 2017 la demande en référé du Préfet de la Région Pays de la Loire, qui demandait que soit retirée la clause Molière d'un marché public de la Région, au visa de l'instruction ministérielle.
Conformément à l'instruction, cette disposition était vue comme discriminatoire par les services de l'Etat et comme portant atteinte au principe d'égal accès à la commande publique, instituant une discrimination indirecte.
Dans son ordonnance, le juge des référés a considéré que les clauses en question "n'apparaissent pas disproportionnées", en raison "de leur double objectif de protection sociale des salariés et de sécurité des travailleurs et visiteurs sur le chantier".
Le juge en déduit qu'il ne ressort pas de l'instruction "qu'elles s'appliqueraient de manière discriminatoire", mais attention, l'ordonnance vise une "clause d'interprétariat", qui n'est peut-être pas tout à fait celle visée par l'instruction ministérielle.
En l'état actuel des choses et du droit le plus récent, la clause Molière n'est finalement pas si illégale que les Ministres ont voulu le penser, à tout le moins si elle est une clause d'interprétariat.
"Le plus souvent l'apparence déçoit, il ne faut pas toujours juger sur ce qu'on voit" Molière, Le Tartuffe, 1664
-------------------------------- FIN DE L'ACTE TROIS --------------------------------
Que les lecteurs n'en veuillent pas à leur auteur, l'ouvrage est encore en cours de rédaction.
Il prévoit néanmoins que les actes 4 et 5 seront probablement les suivants:
Quatrième acte: Le Conseil d'Etat à la rescousse
Cinquième acte: Le jugement divin par la Loi
L'auteur ne manquera évidemment pas de compléter ultérieurement son propos.
Professeur de droit international. Président de la Société québécoise de droit international. Arbitre, médiateur et consultant en droit international/droit du sport.
7 ansÀ relier avec les obligations internationales en termes de marchés publics dans le cadre de l OMC qui prohibent très largement l a préférence locale.