Financement des médias français : le moment de la consolidation ?
Ce 23 octobre, le Sénat a adopté à la quasi-unanimité (339 voix pour et une contre) la proposition de loi organique qui doit permettre d’éviter la « budgétisation » du financement de l’audiovisuel public en lui affectant un « montant déterminé » du produit de la TVA. L’Assemblée nationale rendra le texte définitif si elle l’adopte dans les mêmes termes le 19 novembre. Comme l’évoquait en séance la ministre de la Culture Rachida Dati, ce montant, qui sera arrêté lors de l’examen de la Loi de finances, ne sera pas soumis au risque de régulation en cours d’exercice et rapprochera l’audiovisuel public français des « ressources financières durables et prévisibles » prescrites par le Règlement européen sur la liberté des médias (EMFA).
France Télévisions, Radio France, Arte, France Médias Monde et l’INA en seront naturellement les premiers bénéficiaires. Mais c’est au-delà l’ensemble de la filière qui se trouvera confortée. Sur les 6 Mds€ qui font vivre la télévision gratuite, le financement public (la redevance jusqu’en 2022, et le prélèvement sur la TVA depuis) pèse pour près de 45%.
Sa remise en cause – telle que l’avait proposée le Rassemblement national pendant la dernière campagne législative – entrainerait le secteur dans une crise systémique qui frapperait les diffuseurs privés (TF1, M6…) et plus encore la production audiovisuelle et cinématographique, soit 150 000 emplois, selon une étude publiée à l’été 2023 par le CNC[1].
Intervenant lors de la discussion de la proposition de loi de la sénatrice socialiste Sylvie Robert sur l’indépendance des médias, la ministre a également invité à une « approche globale » du sujet, intégrant la dimension économique. Sans indépendance financière, pas de médias indépendants, parce que pas de médias tout court, est-on tenté de paraphraser. S’agissant de la presse écrite, Rachida Dati a d’ores et déjà indiqué que le texte destiné à donner une suite aux Etats généraux de l’information s’attacherait à rendre plus efficace la loi de 2019 sur les droits voisins, et la façon pour les éditeurs d’en être mieux rémunérés par les plateformes.
En l’état du sujet – la reprise d’extraits d’articles par les moteurs de recherche et par les portails – les solutions législatives semblent déjà sur la table, tant les propositions des parlementaires sur le sujet (la proposition de loi déposée dès le mois de février par l’ex-député Laurent Esquenet-Goxes, celle de Violette Spillebout et de Jérémie Patrier-Leitus au nom du groupe de travail de la majorité présidentielle, voire celle de la socialiste Sylvie Robert) apparaissent convergentes : préciser la liste des éléments à fournir par les plateformes dans le cadre de la négociation, encadrer la durée de cette dernière et, en cas de désaccord persistant, confier à l’Autorité de la concurrence le niveau de la rémunération.
Souhaitons que le projet de loi intègre aussi les spécificités qu’apporte la montée de l’IA. La capacité des éditeurs à se protéger efficacement contre les « fouilles » non autorisées dans leurs fonds éditoriaux, ou le fait que leur exploitation ne prend plus forcément la forme de simples extraits.
Espérons aussi que la ministre sera attentive à la proposition n°7 des Etats généraux de l’information, tendant à instaurer une « responsabilité démocratique » des entreprises. Autrement dit, concrètement, l’obligation pour ces dernières de compléter leurs rapports RSE en y ajoutant la part (pas le montant) de leurs budgets de publicité qu’ils ont investie dans les médias d’information (presse, radio, télévision et « pure players » digitaux) et celle qu’ils ont dépensée sur les plateformes numériques. La proposition n’impose pas de « fléchage » en valeur, et évite ainsi le travers « autoritariste ». Ne doutons pas pour autant, si l’on se réfère à d’autres mécanismes de name and praise tels que l’index égalité, de sa capacité à susciter la réflexion chez des annonceurs… qui sont aussi, avant tout, des entreprises. L’instauration de cette « responsabilité démocratique » contribuerait certainement à réconcilier la main droite – celle des cadres dirigeants en quête d’une information de qualité pour guider leurs décisions, et de médias reconnus pour y délivrer parfois leurs messages – et la main gauche – celle qui pousse parfois à sacrifier la brand safety pour gagner quelques dixièmes de taux de clic dans des environnements incertains.
Au nom du devoir d’exemplarité, le groupe de travail n°3 des Etats Généraux de l’Information se montre un peu plus volontariste s’agissant des campagnes de communication que finance l’Etat, en recommandant « qu’au moins 50 % de ces dépenses restent orientées vers les producteurs d’information (sur leurs supports traditionnels comme numériques) ».
Faut-il le regretter ?