Fiscalité : Arrêt TA, Détermination de la Responsabilité des Administrateurs
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Fiscalité : Arrêt TA, Détermination de la Responsabilité des Administrateurs

Arrêt de la Chambre administrative du 19 juillet 2019, ATA/1150/2019

Conformément à la jurisprudence TF, une personne chargée de l'administration ou de la liquidation d’une société répond de tous les impôts dus par la société avant son entrée en fonction, charge à cette personne de prouver qu'elle a pris tous les soins commandés par les circonstances pour éviter de devoir s'en acquitter. En revanche, une responsabilité pour des dettes fiscales nées postérieurement à la fin de l'activité au sein de la société n'est pas possible, un tel raisonnement revenant à priver l’intéressé de la possibilité de se libérer de toute responsabilité.

Dans ce cadre, la Chambre administrative a analysé cette responsabilité en trois étapes. Premièrement, elle a déterminé le montant des reprises fiscales dont le recourant devait répondre. Elle a ensuite déterminé le montant du produit de liquidation de la société, la responsabilité solidaire ne pouvant excéder ce montant. Finalement, elle a déduit du montant des reprises, la provision pour impôts inscrite au bilan.

I. Etat de faits

Le 25 mars 2004, A achetait le capital-actions ainsi qu'une créance envers la Société à B. La Société était propriétaire de quinze parcelles comprenant douze immeubles d'habitation. Le 30 mars 2004, A a été inscrit comme administrateur unique de la Société.

En 2004, la société a vendu treize des quinze immeubles dont elle était propriétaire.

Le 20 octobre 2004, A a revendu à et B la totalité du capital-actions de la Société. Celle-ci possédait encore deux immeubles, l'un d'une valeur de CHF 5'374'767.80 à Gland (VD), l'autre de CHF 90'000.- à Genève. Le compte d’exploitation comportait une provision pour impôts de CHF 1'736'040.-. Le même jour, A a démissionné de son mandat d'administrateur et a reçu décharge pour son travail.

En outre, représentée par son nouvel administrateur, la Société a vendu son immeuble de Gland à la société D, représentée par son administrateur unique, également avocat de B, pour un montant de CHF 3'070'000.-. Sur cette transaction, la Société a enregistré une perte de CHF 2'304'767.80. La Société a vendu son dernier immeuble le 26 août 2005 pour un prix de CHF 120'000.-.

Le 15 février 2006, l’AFC-GE a ouvert des procédures en rappel d'impôt et en soustraction d'impôt pour l'ICC et l'IFD 2000 à 2004 à l'encontre de la Société. 

Le 23 novembre 2007, l’AFC-GE a adressé des bordereaux rectificatifs pour l'année 2004 en liant avec la vente de la parcelle de Gland (réévaluation de la valeur de la parcelle à CHF 8'430'000.-), à un actif fictif de CHF 1'000'000.-, à l'annonce d'un loyer insuffisant de CHF 211'000.- et à des frais non justifiés pour CHF 1'349'811.-. 

Le 4 novembre 2009, la Société a été liquidée, celle-ci n'ayant plus d'administrateur ni d'adresse. Le 24 novembre 2009, la faillite a été suspendue faute d'actifs. La Société a été radiée d'office du registre du commerce le 14 juin 2010.

Le 25 août 2009, l'AFC-GE a tenu A solidairement responsable du paiement des créances consécutives à la liquidation de la Société, à concurrence du produit de la liquidation, soit de CHF 4'888'547.20.

L'affaire est montée jusqu'au Tribunal fédéral qui, par arrêt du 10 décembre 2018, a annulé les arrêts de la chambre administrative en ce qui concerne la dette fiscale 2004 et a renvoyé la cause à celle-ci pour nouvelle décision au sens des considérants.

II. En droit

a. Montant des reprises fiscales dont le recourant répond

En premier lieu, il convient de déterminer, conformément à l’arrêt de renvoi, quelles sont les reprises fiscales dont le recourant répond.

La personne chargée de l'administration ou de la liquidation d’une société répond de tous les impôts dus par la société avant son entrée en fonction, charge à cette personne de prouver qu'elle a pris tous les soins commandés par les circonstances pour éviter de devoir s'en acquitter. En revanche, une responsabilité pour des dettes fiscales nées postérieurement à la fin de l'activité au sein de la société n'est pas possible, un tel raisonnement revenant à priver l’intéressé de la possibilité de se libérer de toute responsabilité au sens de l'art. 55 al. 1 i.f. LIFD (arrêt 2C_607/2017 consid. 5.4.1 rendu dans la présente cause).

En l’espèce, la dette fiscale de la Société issue du rappel d’impôt pour l’année 2004 se monte à CHF 1'192'660.50 pour l’IFD et à CHF 1'923'951.20 pour l’ICC, montants auxquels s’ajoutent les intérêts courant trente jours après le 23 novembre 2007, date d’échéance figurant sur les bordereaux rectificatifs. Il convient, conformément à l’arrêt de renvoi, de vérifier si les reprises liées à l’actif fictif de Prilly, au loyer vaudois insuffisant et aux frais non justifiés sont issues de la période antérieure au 20 octobre 2014, dont le recourant répond.

Il ressort des faits que les reprises liées au frais non justifiés relatifs à la période allant du 1er janvier au 20 octobre 2004 se montent à CHF 1'178'318.-.

La parcelle de Prilly figurait, le 31 décembre 2003, au bilan de la société pour une valeur de CHF 3'300'000.-. Le 30 juillet 2004, elle a été vendue pour le montant de CHF 3'680'000.-. L’estimation fiscale de la parcelle au 6 août 2004 se montait à CHF 3'300'000.-. Dans le décompte de reprise par B au 1er janvier 2004, la parcelle est évaluée à CHF 3'330'000.-. À teneur du bilan « pro forma » au 30 juin 2004, l’immeuble figurerait à l’actif de la société avec une valeur de CHF 3'330'000.-. Selon le bilan au 30 septembre 2004, la parcelle figurait, pour l’année 2003, avec un actif de CHF 3'330'000.-. Ce n’est que dans les comptes au 31 décembre 2004, notamment dans le compte de pertes et profits, que ledit actif est comptabilisé, au 1er janvier 2014, à CHF 4'300'000.-. Dans la mesure où le bilan au 31 décembre 2003, le décompte de reprise au 1er janvier 2004 et le bilan au 30 septembre 2004 font état de la valeur de l’immeuble de CHF 3'300'000.- ou de CHF 3'330'000.-, la mise au bilan, dans les comptes au 31 décembre 2004, d’un montant de CHF 4'300'000.- pour ce même immeuble ne saurait être imputée au recourant. En effet, les éléments précités laissent à penser qu’il a correctement comptabilisé la valeur de l’immeuble en question. À défaut d’éléments concrets permettant de retenir que le recourant a pu influencer la manière dont le bilan et le compte de pertes et profits au 31 décembre 2004 ont été établis, il ne saurait répondre de la dette fiscale se rapportant à cette reprise. Partant, la somme de CHF 1'000'000.- retenue à titre de reprise devra être écartée.

Selon le rapport établi par l’administration fiscale du canton de Vaud le 17 juillet 2006, produit par l’AFC-GE après l’arrêt de renvoi, aucun loyer n’avait été perçu en 2003 pour l’immeuble sis à Gland dont la Société était propriétaire et le loyer perçu en 2004, de CHF 38'621.-, était insuffisant. La section « immobilier » de l’administration vaudoise avait estimé le loyer annuel qui aurait pu être perçu à CHF 300'000.- par année. L’immeuble ayant été vendu le 20 octobre 2004, il convenait de ne retenir à titre de reprise que le montant du loyer qui aurait dû être perçu jusqu’à cette date et d’en déduire le loyer effectivement versé. Il ressort, en outre, dudit rapport qu’à fin 2004, la Société ne détenait plus de biens immobiliers dans le canton de Vaud et qu’elle avait son siège dans le canton de Genève. Les bordereaux IFD et ICC 2004 tiennent compte de la reprise pour loyer insuffisant de CHF 211'000.- (CHF 300'000.- au pro rata temporis jusqu’au 20 octobre 2004, déduction faite du loyer perçu). Si, certes, comme le relève le recourant, ces bordereaux ont été contestés, la réclamation formée par la Société a été rejetée par décisions du 2 mars 2009. En particulier, l’argument de la Société selon lequel un recours était pendant devant les autorités vaudoises concernant le loyer insuffisant n’a pas été retenu. Partant, la reprise de CHF 211'000.- pour loyer insuffisant était justifiée et, au vu de la période concernée, engage la responsabilité du recourant.

En conclusion, les reprises imputables au recourant jusqu’au 20 octobre 2004 se montent à CHF 1'389'319.- (CHF 1'178'319.- de frais non justifiés + CHF 211'000.- de loyer insuffisant). Ces reprises devront être ajoutées au bénéfice imposable, avant reprise, de CHF 3'040'526.-, de sorte que le bénéfice imposable déterminant pour établir l’ICC et l’IFD dont le recourant répond est de CHF 4'429'845.- (CHF 3'040'526.- + CHF 1'389'319.-). Le capital imposable de CHF 3'517'587.- ressort tant de la taxation ordinaire que de la taxation après rappel pour l’année fiscale 2004, toutes deux entrées en force.

b. Montant du produit de liquidation

Il convient encore de déterminer le produit de liquidation.

En effet, la responsabilité solidaire est limitée au produit de la liquidation (art. 55 al. 1 LIFD). C'est l'entier du patrimoine de la société au début de la liquidation, c'est-à-dire au moment où les actifs de la société sont vendus et que les actionnaires, respectivement les personnes qui leur sont proches perçoivent le produit des ventes, qui est déterminant pour fixer le produit de la liquidation. En cas – comme en l’espèce – de liquidation de fait d’une société, celle-ci débute en principe lorsque les actifs sociaux sont réalisés (arrêt 2C_607/2017 consid. 5.3). Le Tribunal fédéral a retenu que le processus de liquidation de la société avait in casu démarré en mars 2004 (consid. 5.3.1) et qu’il convenait de se fonder sur le bilan au 31 décembre 2003 (consid. 5.3.2).

Après renvoi de la cause, l’intimée a déterminé le produit net de la liquidation en se fondant sur le bénéfice net de la Société au 31 décembre 2003, des reprises imputables au recourant et du bénéfice net au 30 septembre 2004, afin de tenir compte des réserves latentes. Alternativement, l’intimée a pris en compte uniquement le bénéfice net au 31 décembre 2003 et les reprises imputables au recourant en 2004. Cette méthode porterait le produit net de la liquidation à CHF 1'866'379.- (CHF 477'060.- + CHF 1'389'319.-). Le recourant ne critique pas cette manière de faire et ne se prononce pas sur la méthode à suivre, mais fait valoir qu’il conviendrait de supprimer toutes les reprises. La question des reprises venant d’être examinée, il est renvoyé aux développements y relatifs.

S’agissant de la manière de déterminer le produit net de la liquidation, il convient de se fonder, outre sur le bénéfice net de la Société au 31 décembre 2003 – comme indiqué par le Tribunal fédéral dans son arrêt – et les reprises, sur le bénéfice net au 30 septembre 2004. En effet, après la démission du recourant, il y a encore eu une vente d’immeuble, à savoir de l’immeuble de Gland, dont toutefois le recourant n’a pas à répondre, comme l’a retenu le Tribunal fédéral.

Par ailleurs, les bénéfices engrangés au 30 septembre 2004 proviennent précisément des opérations de liquidation de fait effectuées par le recourant, qui engagent sa responsabilité. Partant, en tenant compte des reprises telles que définies ci-dessus (consid. 5 supra), du bénéfice net au 31 décembre 2003 et au 30 septembre 2004, le produit net de liquidation se monte à CHF 8'049'697.88 (CHF 6'183'318.88.- bénéfice net au 30 septembre 2004 + CHF 1'389'319.- reprises + CHF 477'060.- bénéfice net au 31 décembre 2003).

Ce montant fixe la limite de la somme pour laquelle le recourant peut être recherché.

c. Effet de la provision pour impôts

Se pose encore la question de savoir si la provision pour impôts de CHF 1'736'040.- que le recourant a fait inscrire au bilan 2004 lui permet de se libérer de toute responsabilité.

Le Tribunal fédéral a retenu que, dès lors que la procédure de rappel d’impôt avait été initiée en 2006, la provision constituée en 2004 se rapportait au paiement de l’impôt 2004 avant reprise. L’arrêt cantonal ne permettait toutefois pas de savoir si une taxation ordinaire avait eu lieu pour 2004 et si la provision avait servi au paiement de la dette issue de cette taxation. Par ailleurs, "dans l'éventualité où cette provision n'avait pas servi à acquitter une dette fiscale découlant de la procédure de taxation ordinaire pour l'année 2004, il convenait de déduire le montant de la provision de la dette issue de la procédure de rappel d’impôt. La constitution d'une provision pour impôt devait être considérée comme étant une mesure visant à réduire la responsabilité du recourant, ce d'autant plus que si la société ne s’était pas acquittée des impôts de l'année 2004, celui-ci ne pouvait pas en être tenu responsable, ayant démissionné de son poste d'administrateur avant la fin de cette année et n'ayant de ce fait plus eu aucune activité de liquidateur de fait dès ce moment (consid. 5.5.2 in fine)".

Il ressort du dossier que des bordereaux provisoires établis en 2005 ont fixé l’IFD 2004 à CHF 4'420.- et l’ICC 2004 à CHF 730'291.45. Ces bordereaux n’ont pas été contestés. La dette fiscale issue de la procédure de rappel d’impôt a été fixée le 23 novembre 2007 à CHF 1'192'660.50 pour l’IFD et à CHF 1'923'951.20 pour l’ICC. La société ne s’est pas acquittée de sa dette fiscale ordinaire pour l’année 2004. L’intimée relève à juste titre que la provision n’a pas été constituée par des réserves de liquidités dans les actifs circulants et que lesdites liquidités ont été placées dans le compte courant actionnaire, qui a présenté un solde débiteur de CHF 4'922'866.13.

La chambre de céans étant toutefois liée par les considérants en droit de l’arrêt de renvoi, elle ne peut, contrairement à ce que souhaiterait l’intimée, s’écarter du raisonnement du Tribunal fédéral. Partant, la provision sera déduite de la dette fiscale issue du rappel d’impôt.

Par ailleurs, il n’y a pas lieu de procéder à la déduction de la provision avant le calcul des intérêts dus sur la dette fiscale imputée au recourant. En effet, il ressort du dossier que la provision n’a pas servi au paiement de la dette d’impôt. D’ailleurs, faute de liquidités constituées à cet effet, la Société n’a pas été en mesure de procéder à des acomptes. Ainsi, la provision permet uniquement de réduire la responsabilité du recourant à concurrence de son montant ; elle ne saurait toutefois porter des intérêts. 

d. Conclusions

En conclusion, le recours a été partiellement admis.

La Chambre administrative a considéré qu'il convenait de déterminer l’ICC et l’IFD 2004 imputables au recourant en retenant un bénéfice imposable de CHF 4'429'845.- et un capital imposable de CHF 3'517'587.-. L’ICC et l’IFD portaient intérêt à compter du 23 décembre 2007, soit trente jours après les bordereaux de rappel d’impôts du 23 novembre 2007. Du montant ainsi obtenu, il convenait de déduire la provision de CHF 1'732'040.-. L’éventuel découvert en résultant correspondra au montant dû par le recourant, pour autant qu’il ne dépassait pas la somme de CHF 8'049'697.88.



Dominique Alain Freymond

President at Fondation du Château de Grandson

5 ans

Merci de partager un exemple précis et concret ! Administrateur est un métier avec de VRAIES responsabilités ! #academiedesadministrateurs #ACAD #formationgouvernance

Simona Genini

Avvocato, LL. M. International Tax Law, Tep e deputata al Gran Consiglio

5 ans

Bonjour, notre Cour cantonal avait déjà rendu des arrêts en la matière. Un confirmé par le TF. Voilà les références (www.sentenze.ti.ch: cause Cdt du 16.8.2012, nr. 80.2011.70, Cdt du 17.6.2015, nr. 80.2014.325, Cdt du 24.52017, nr. 80.2016.66)                               

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