Focus réforme des obligations : l'exception d'inexécution
L’exception d’inexécution : consolidation et innovation
L'ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats regroupe l'ensemble des règles relatives à l'inexécution contractuelle en une seule section, divisée en cinq sous-sections respectivement consacrées aux différentes sanctions de l'inexécution, et présentées à l'article 1217 du Code civil.
La sous-section 1 est consacrée à l'exception d'inexécution qui va nous intéresser et qui fait son entrée dans le Code civil.
I. Une codification attendue de la jurisprudence
Le Code civil ne comportait, jusqu’à présent, aucunes dispositions générales relatives à l’exception d’inexécution. Pour autant, certains cas particuliers étaient prévus notamment concernant le contrat de vente à l’article 1612 du Code civil. Ce dernier prévoit que « le vendeur n'est pas tenu de délivrer la chose, si l'acheteur n'en paye pas le prix, et que le vendeur ne lui ait pas accordé un délai pour le paiement ».
Il était cependant important d’intégrer des dispositions communes afin d’encadrer ce mécanisme connu depuis longtemps en jurisprudence.
C’est à l'article 1219 que va ainsi être codifié ce principe jurisprudentiel d’exception d’inexécution qui dispose qu’une partie peut refuser d’exécuter son obligation, alors que celle-ci est exigible, sous deux conditions :
· L’autre contractant n’exécute pas son obligation ;
· L’inexécution présente un caractère suffisamment grave ; ce caractère « grave » devant être apprécié par les juges.
Cette exigence de gravité assure que l’exception d’inexécution ne puisse être opposée comme moyen de pression sur le débiteur que de façon proportionnée et permet d’éviter un usage abusif.
Cette codification par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 est donc conforme au droit positif.
II. Une innovation à encadrer
La vraie innovation de la réforme concernant l’exception d’inexécution apparait à l'article 1220 du Code civil qui introduit l’exception d’inexécution par anticipation. Ce texte consacre une faculté de suspension par anticipation de son obligation par le créancier avant toute inexécution avérée de la part de son cocontractant. Pour faire usage de ce droit, deux conditions doivent être réunies :
· Il doit être d’ores et déjà manifeste que le cocontractant ne s’exécutera pas à l’échéance ;
· Les conséquences de l’inexécution doivent être suffisamment graves pour la partie qui invoque cette exception d’inexécution par anticipation.
Cette faculté nouvelle pour un contractant va notamment permettre de limiter le préjudice résultant d’une inexécution contractuelle, et va constituer un moyen de pression efficace pour inciter le débiteur à s’exécuter. Par ailleurs, la décision de suspension doit être notifiée dans les meilleurs délais à l’autre partie.
Cette innovation soulève cependant plusieurs interrogations :
La première question soulevée concerne la preuve du caractère « manifeste » de la future inexécution. En effet, faute de décision jurisprudentielle à ce jour, ce texte devra être manié avec prudence car un contractant invoquant l’exception d’inexécution par anticipation pourra se retrouver fautif de ne pas avoir exécuté ses propres obligations si les juges venaient à considérer que la supposée future inexécution n’était pas manifeste.
La seconde question porte sur le peu de détails qu’apporte le texte concernant les modalités de la notification de la suspension par le contractant qui s’en prévaut. Effectivement, doit encore être précisé le caractère motivé ou non de cette notification ainsi que le moment où celle-ci doit intervenir (avant ou après la suspension ?). Il revient à la jurisprudence d’apporter une réponse à ces interrogations.