Fonds commercial : amortissement ou dépréciation

Dans les comptes sociaux, il est un poste à l’actif du bilan souvent mal compris. Sans substance physique et non identifiable, le fonds commercial est une immobilisation qui ne peut pas faire l’objet d’une transaction, ni à titre gratuit, ni à titre onéreux.

Contrairement au fonds de commerce qui peut faire l’objet d’une cession, d’un apport, d’une donation ou d’une licitation, le fonds commercial n’est que le fruit d’un calcul.

Lors d’une opération translatif du droit de propriété d’un fonds de commerce, le Code Civil et le Code de Commerce imposent la rédaction d’un acte écrit contenant le prix convenu ainsi qu’une description des biens corporels ou incorporels identifiables cédés ou apportés. Pour chaque bien identifiable, des prix distincts sont à prévoir dans l’acte (L. 141-5 du Code de Commerce).

Le Code de Commerce (R. 123-186) et le Plan Comptable Général (212-3)[1] disposent que le montant correspondant à la différence entre le prix total (ou la valeur totale) et la somme des prix (ou valeurs) de chaque actif identifiable sera inscrite dans le compte Fonds commercial (compte 207).

La technique imposée par ces textes constitue donc une exception (règle spéciale) aux définitions générales fixées aux articles 211-5, 211-6 et 212-1 du Plan Comptable Général.

L’exception devant être interprétée strictement, la présence d’un poste fonds commercial au bilan n’est possible qu’en cas d’acquisition du fonds de commerce (par une personne physique ou une personne morale) ou en cas d’apport en nature (à une personne morale).

C’est pourquoi, on dit que le fonds de commerce créé n’est jamais inscrit au bilan. Il s’agit là d’une exagération dans la mesure où les actifs corporels composant le fonds de commerce figurent au bilan (notion de production immobilisée).

Ce fonds commercial n’est défini ni par le Code de Commerce ni par le Plan Comptable Général. On trouve dans les commentaires infra-réglementaires au Plan Comptable Général des précisions indiquant qu’il inclut les éléments incorporels du fonds de commerce acquis qui ne font pas l’objet d’une évaluation et d’une comptabilisation séparée au bilan et qui concourent au maintien et au développement du potentiel d’activité de l’entité, qu’il est composé principalement de la clientèle, de l’achalandage, de l’enseigne, du nom commercial et plus largement des parts de marché et qu’il constitue la partie pivot du fonds de commerce.

Parce qu’il n’est que rarement difficile de justifier le contraire, le Plan Comptable Général pose le principe que le fonds commercial n’a pas de durée de vie définie et qu’en conséquence il n’est pas amortissable. Ce principe souffre de rares exceptions lorsque les conditions d’exploitation par l’entité sont à durée limitée pour des raisons physiques, techniques, juridiques ou économiques. Dans ce cas, le fonds commercial doit être amorti sur la durée d’utilisation prévisible, à défaut sur une durée de dix ans.

 Le fonds commercial fait donc l’objet d’un test de dépréciation, soit chaque année, en l’absence d’amortissement, soit lorsqu’il existe des indices de perte de valeur, en présence d’un amortissement (règle générale).

Par mesure de simplification, le Plan Comptable Général prévoit que les petites entreprises au sens du Code de Commerce (art. L. 123-16 et D. 123-200), c’est-à-dire celles qui ne dépassent pas deux des trois seuils : six millions d’euros de total bilan, douze millions de chiffre d’affaires et cinquante salariés, peuvent sur option choisir d’amortir sur une durée de dix ans leur fonds commercial pour éviter d’avoir à réaliser un test de dépréciation.

Bien évidemment, la prise d’une telle décision de gestion entrainera des conséquences sur le résultat comptable et sur la situation des capitaux propres pendant la période d’amortissement mais aussi au cours de l’exercice de cession en cas de revente du fonds de commerce.

Nous n’avons pas trouvé de statistiques sur cette pratique. Il est donc difficile de mesurer la part des petites entreprises qui ont choisi cette option comptable.

 Sur le plan fiscal, le législateur a inscrit dans le Code Général des Impôts le principe selon lequel la dotation aux amortissements du fonds commercial n’est pas déductible du résultat imposable [Art. 39 1° : (…) ne sont pas admis en déduction les amortissements des fonds commerciaux.] [2]

Il y a donc maintenant une divergence entre la comptabilité et la fiscalité.

Lorsque l’entreprise doit pratiquer ou choisi de pratiquer l’amortissement du fonds commercial, cette dotation constatée sur le plan comptable doit être réintégrée pour la détermination du résultat fiscal.

Seule la dotation pour dépréciation du fonds commercial est admise en déduction sous réserve de satisfaire plusieurs conditions cumulatives :

·        Le fonds de commerce (dans son ensemble) doit avoir subi une perte de valeur effective par rapport à la valeur figurant au bilan

·        La dépréciation doit cerner l’ensemble du fonds de commerce et non des biens pris individuellement

·        La dotation doit être constatée au cours de l’exercice durant lequel la baisse de valeur a eu lieu

·        La dotation doit être calculée par rapport à la valeur probable de réalisation du bien à la clôture de l’exercice

·        Le montant de la dépréciation ne peut pas être supérieur à la valeur comptable du fonds de commerce

·        La dépréciation doit être correctement comptabilisée en comptabilité

Ce non-alignement entre la comptabilité et la fiscalité peut être mal compris ou mal entendu par les chefs d’entreprise.

En effet, il y a aura des situations où l’on[3] va devoir expliquer aux chefs d’entreprise que le résultat comptable (donc le résultat distribuable et la situation des capitaux propres) est amputé d’une charge irréversible (car la dotation pour amortissement et la dotation pour dépréciation du fonds commercial ne peuvent pas faire l’objet d’une reprise, art. 214-19 du Plan Comptable Général) et qu’ils devront tout de même payer l’impôt sur les sociétés ou l’impôt sur les revenus.

 D’où la nécessité d’une étude d’impacts

C’est pourquoi, le législateur a mis en place une mesure temporaire à titre expérimental. Ainsi, les entreprises qui acquièrent un fonds de commerce entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2025 peuvent déduire du résultat imposable le montant de la dotation aux amortissement pratiquée sur le fonds commercial à condition qu’elles réalisent ce choix sur le plan comptable.

Sont concernées les petites entreprises (entrepreneur individuel et sociétés) qui utilisent l’option prévue par le Plan Comptable Général mais aussi les autres entreprises lorsqu’elles estiment que le fonds commercial répond aux conditions d’amortissement prévues par le Plan Comptable Général (limite prévisible de l’exploitation du fonds).

Cela va permettre un alignement entre la comptabilité et la fiscalité.

 Conséquences de la mesure temporaire

Pour ceux qui sont en perpétuelle recherche de moyens pour réduire leur résultat imposable et le poids de l’impôt, il est certain que l’option de l’amortissement du fonds commercial aura un intérêt au moins à court terme. En effet, le résultat sera diminué chaque année d’un dixième[4] de la valeur du fonds commercial.

Cependant, il ne faut pas oublier que cette charge va réduire le montant du résultat distribuable de manière définitive. En effet, comme déjà cité plus haut, outre le fait que la dotation aux amortissements ne fait pas l’objet d’une reprise tant que le fonds de commerce n’est pas cédé, le Plan Comptable Général[5] interdit de procéder à la réévaluation du fonds commercial et à l’inscription du fonds commercial créé.

On peut comprendre que la mesure permet de simplifier le traitement comptable et de bénéficier d’une économie fiscale (par réduction de l’impôt sur les sociétés ou de l’impôt sur les revenus), cependant, on constatera que cela ne contribuera pas à améliorer les capitaux propres des entreprises.

L’option pour l’amortissement est une décision de gestion opposable à l’administration[6]. Ainsi, il ne sera pas possible de changer d’avis au cours des dix années. Par contre, l’option peut être faite fonds commercial par fonds commercial. Ainsi, une entreprise qui fait l’acquisition de plusieurs fonds de commerce n’est pas tenue par l’option qu’elle a faite antérieurement.

Enfin, les conséquences à la sortie sont également à prendre en considération. Dans les entreprises relevant de l’impôt sur les revenus, on change la nature de la plus-value qui serait constatée lors de la revente. En effet, lorsque le fonds commercial sera amorti, la plus-value sera une plus-value sur les actifs amortissables et non plus une plus-value sur les actifs non amortissables.

Cela signifie qu’en cas de cession du fonds de commerce ou d’apport à une société après deux années de détention, la plus-value sur le fonds commercial sera une plus-value à court terme à hauteur des amortissements pratiqués (résultat BIC de droit commun) et une plus-value à long terme au-delà (imposition au taux proportionnel de 12,8 % et aux prélèvements sociaux de 17,2 %) et non plus totalement à long terme.

Il est important de noter que, pour l’instant, le législateur n’a pas modifié les mesures d’exonération des plus-values professionnelles en vigueur[7]. Ces régimes continuent donc d’être applicables.

La combinaison de ces mesures avec la déductibilité de l’amortissement du fonds commercial peut constituer un avantage fiscal très important en faveur des chefs d’entreprise.

Certains, par jalousie, diront qu’il s’agit d’une niche ! Je ne le pense pas. C’est tout simplement une mesure permettant de favoriser la reprise d’entreprises à un moment où le nombre de celles à céder sans trouver repreneur est encore important.

D’ailleurs, pour éviter les effets d’aubaines, le législateur a limité le champs d’application de la déductibilité de la dotation aux amortissements au réelle transmission d’entreprise. Ainsi, si le cédant d’un fonds de commerce est associé d’une personne morale qui acquière le fonds, la dotation aux amortissements n’est pas déductible.[8]

En conclusion, à chaque opération d’acquisition d’un fonds de commerce, le chef d’entreprise, avec l’aide de son expert-comptable, devra faire un choix : amortissement ou non. Pour cela, la construction de documents prévisionnels sera indispensable pour mesurer toutes les conséquences des options possibles.

 Vincent LEPÈVE

Expert-comptable, Commissaire aux comptes

Expert judiciaire près la Cour d’Appel de Douai

Maître de conférence associé, Université de Picardie (IAE d’Amiens)

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[1] Règlement ANC n° 2014-03

[2] Texte issu de la Loi de Finances pour 2022 (n° 2021-1900 du 30 décembre 2021, art. 23)

[3] Les experts-comptables

[4] Au prorata temporis, le cas échéant

[5] Art. 212-3 3

[6] https://bofip.impots.gouv.fr/bofip/5796-PGP.html/identifiant=BOI-BIC-BASE-40-10-20120912

[7] Dispositifs prévus aux articles 151 septies, 151 septies A et 238 quindecies du Code Général des Impôts

[8] Loi de Finances rectificative n° 2022-1157 du 16 août 2022, art. 7

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