Formations médiations comparées.
J'ai publié le Dictionnaire de la médiation, au service de la qualité relationnelle et de l'entente" (ESF Sciences Humaines). Je vais présenter ici un comparatif de conceptions méthodologiques et techniques de la médiation. De mon observation dans le cadre de mes recherches (CREISIR), il y a "médiations traditionnelles" (pratiques de "médiations d'autorité") et "médiation professionnelle" (concept que j'ai initié reposant sur l'usage de la Raison).
Lors d'un séjour en Côte d'Ivoire, lundi 23 avril 2018, j'ai eu l'occasion de participer à un atelier sur la médiation à l’école catholique de Côte d’Ivoire, animé par Jacques Salzer (formateur en médiation à l'IFOMENE, CMAP...) et Elodie Télémaque (avocate et médiatrice, formatrice IFOMENE, CMAP...). Il s'agissait de atelier de révision et d'échanges d'expériences. Le public : avocats et magistrats. Coût : 30.000 FCFA.
D'une manière générale, il existe un vocabulaire commun, certes limité, qui peut donner l'impression de similitudes. Pourtant, les fondamentaux ne sont pas les mêmes, ni les postures, ni les processus, ni les techniques.
- La formation IFOMENE est associée à une conception liée au cadre du contrat et du contrat social. La toile de fond : le droit, la morale et un important référentiel psychosocial (personne toxique, entreprise pathogène...). Cette formation suit une conception "gestionnaire des conflits" et de l'adversité. Notez bien cette conception "gestionnaire" parce qu'elle est le pivot de cette affaire.
- La formation EPMN est spécifiquement dans le champ éthique et de l'appropriation de processus et de techniques d'ingénierie relationnelle. Elle suite une conception résolutoire des conflits et de promotion de l'altérité. Elle consiste dans un transfert de référentiel sur ce qui dégrade la relation et de repères qui participent de la qualité relationnelle (notamment au travail QRT). Elle est entière dédiée à la recherche de l'Entente et de l'Entente Sociale.
Objectif de l'atelier observé
Pour les participants de faire le point sur leur pratique et de recevoir un complément technique.
- 25 personnes présentes, issues des deux premières sessions de la formation de l'IFOMENE en Côte d'Ivoire.
Déroulement de l'atelier observé
- Accueil des participants (les organisateurs ont fait remarquer ma présence)
- Présentation de l’objectif : apporter un complément de formation, pas de préparation de contenu, mais des réponses aux besoins qui seront exprimés
- Incitation de chacun à proposer une situation ou un thème de questionnement et mettre cela en partage
- Questionnements sur l’absence de solution, la pratique de la co-médiation, la confidentialité, la clôture de la médiation, la médiation navette, les tentatives de contrôle de la médiation par l’une des parties, la relation financière au centre de médiation, la notion d’accord sur le désaccord, la définition de l’aparté, la gestion des éclats de voix en médiation, la manière d’empêcher une personne de quitter la médiation, le rapport aux acteurs cachés ou au tiers présents en médiation, la mauvaise foi, les techniques verbales et le non-verbal, la tarification de la médiation, les prestations des médiateurs
Réponses aux premiers questionnements
- Théâtralisation de situations sur le modèle du « forum théâtre » (deux à trois minutes de jeux par situation, appel à ceux qui peuvent faire mieux) suivi de réponses, démonstration ou théorisation par les formateurs
- Pause croissants, jus de bissap (très bon), orange, gingembre (excellentissime), café, thé
- Reprise de la théâtralisation sur le même modèle que précédemment
- Réponses aux derniers questionnements
- Applaudissement
- Remise d’un certificat de participation à l’atelier
POSTURES ET CONCEPTIONS GÉNÉRALES
- La recherche de perfectionnement est associée à l’idée que les formateurs ne savent pas mieux que les participants en raison du fait que la médiation est fondée en grande partie sur l’intuition, le bon sens, la sensibilité, l’intuition, le feeling… par rapport à la situation
- Il peut y avoir des relations pathogènes, voire pathologiques entre les parents
- Un conflit peut être une polémique
- En cas de co-médiation, attention au risque de « conflit méthodologique » entre les co-médiateur
- La neutralité est synonyme de l’impartialité
- La neutralité n’est pas l’empathie
LES TECHNIQUES :
Introduction de la médiation par informations et explications : rappel au cadre, principes moraux (respects, temps de parole...)
Le médiateur attend que les « médiés vident leur sac pour reprendre la main »
- Reformulation : « Si j’ai bien compris… »
- Questions : « Qu’est-ce qui est important pour vous, je vous écoute… », « comment allez-vous faire ? » , « comment ré »agissez-vous face à cela ? », « avez-vous entendu ce qui vient d’être dit ? » et toutes les questions QQOCQCP (qui, quoi, où, comment, quand, combien, pourquoi)
- Questions sur la motivation relative aux enjeux et intérêts
- Utilisation des mains pour bloquer une personne dans ses élans et manifestations intempestives, éventuellement le médiateur se lève pour faire écran entre les participants
- En cas de mauvaise foi, tenter de faire dire la vérité, et en cas d’échec la médiation « n’est pas en bonne voie, voire compromise ».
Suggestion de nouveauté dans les prestations de médiateur
- Outre les interventions sur les situations conflictuelles, suggestions de pouvoir vendre aux entreprises des services que JS a observé dans des pratiques d’autres médiateurs (sans citer la CPMN) de vendre des abonnements médiation à des entreprises.
Observations / différences
Selon ce que je constate – et qui est observable aussi dans les vidéos de l’Institut Catholique et les formations des courants des médiations d’autorité (cf. fictions intellectuelles) – les fondamentaux sur ce qu’est un conflit creusent immédiatement un écart entre nos enseignements et les pratiques qui en découlent.
RÉFÉRENTIEL PÉDAGOGIQUE
- Pour les intervenants la médiation est une affaire d’intuition, de sensibilité, de feeling et les formateurs doivent prendre cela en considération
- EPMN-CPMN : Les formateurs en médiation professionnels maîtrisent des processus et des techniques, leur référentiel est la méthode, la logique, la technicité. Ils sont engagés dans la transmission de la discipline qui incite tous à la rigueur. L’instrumentation est de l’ingénierie relationnelle.
QU’EST-CE QU’UN CONFLIT ?
- Pour ces intervenants, un conflit est associé à une volonté, un choix, une détermination intentionnelle ; un conflit est aussi une polémique, un désaccord
- EPMN-CPMN, le conflit est enseigné comme la conséquence d’une ignorance de savoir conduire autrement un projet relationnel
QU’EST-CE QUE LA CONFIDENTIALITÉ ?
- Pour les intervenants : La confidentialité impose au médiateur de ne pas révéler à une partie une information qui lui aurait été confiée (confidence, confession) par une autre ; elle porte aussi sur la relation à des tiers, dans les limites imposées par la loi
- EPMN-CPMN : La confidentialité est au regard de toute personne extérieure à la médiation, sans limite de condition. Le médiateur professionnel ne saurait véhiculer des paroles conflictuelles comme étant des actes possibles.
NEUTRALITÉ / IMPARTIALITÉ
- Pour les intervenants, les concepts sont des synonymes
- EPMN-CPMN : la neutralité est rigoureusement relative à la solution et l’impartialité relative aux parties (avec leurs enjeux et leurs intérêts)
L’EMPATHIE
- Pour les intervenants : l’empathie est une pratique combinant du verbal et du non-verbal montrant à l’interlocuteur qu’il a été compris par le médiateur, celui-ci restant « neutre » ; la technique est dans « si je comprends bien… », « je sens que… »
- EPMN-CPMN : C’est une approche où une personne identifie des similitudes d’expérience avec une autre personne qu’elle considère comme un « alter-ego », or l’autre est différent et le médiateur peut très bien ne pas avoir de référence expérientielle, ce qui le conduit à pratiquer « l’altérocentrage » (posture de distanciation en altérité) : « Vous dites que… Ce que vous dites… ce que vous recherchez… ce que vous imaginez, ce que vous pensez. » associée à la restitution de sens « parce que, peut-être pour vous… »
RELATIONS PATHOGÈNES
- Les intervenants considèrent que des organisations peuvent être pathogènes, et qu'il existe des personnalités toxiques (référentiel RPS);
- EPMN-CPMN : les personnes ne « savent pas » et l’ignorance ne peut pas être considérée comme une maladie ou comme pouvant engendrer une « maladie psychologique ». La maladie psychologique est une représentation du « courant psychosocial ». Au temps où la religion faisait autorité la démoniatisation n’était pas non plus une réalité. On n’est pas malade de ce qu’on ne sait pas, on est ignorant. Le référentiel est celui de la QRT, que j'ai développé.
LA MÉDIATION NAVETTE
- La démonstration a été faite à l'identique que ce qui est montré par Molière dans sa pièce de l’Avare, que j'ai nommé la méthode de « maître Jacques ». Le médiateur va de l'un à l'autre en considérant qu'il est positionné en juge de ce qui est pertinent à dire à l'un et à l'autre. Il se fait arbitre de la morale, des convenances et du savoir-vivre : « J’essaie de faire avancer positivement les choses. Je ne dis pas tout. Je ne dis que ce qui fait avancer selon ce que je pense. »
- EPMN-CPMN : la navette du médiateur vise la mise en place d’une réunion des parties. La conduite visant la formalisation d’un accord est possible en navette lorsqu’il est clair que le référentiel « qualité relationnelle » est inutile parce qu’il n’y a pas de relation ou qu’il n’y aura plus de relation. Dès lors que le règlement des aspects techniques du différend peut suffire (litige de la consommation, opposition d’intérêts entre concurrents, et parfois voisinage…) selon les déclarations unanimes des parties, la navette peut réussir. Il s’agit moins d’une médiation que d’une négociation ou simplement d’un marchandage.
LA CO-MÉDIATION
- Jacques Salzer indique que la co-médiation est de nature à rendre compliqué les interventions des médiateurs. Il parle même de conflit de processus possible (ce qui fait encore une différence, puisqu'il ne saurait y avoir de conflit de processus ; ce serait les médiateurs en tant que personnes qui ne parviendraient pas à s'accorder). Toutefois, il indique que c'est une pratique, d'autant que la co-médiation est considérée comme moyen d'intervention par les centres de formation CMAP, IFOMENE, ANM, etc... (les associations qui se réfèrent au "code national de la médiation). Un exemple est donné quand des parties sont issues de communautés différentes (politique, ethnie, religion...).
- EPMN-CPMN : la co-médiation est l'association de deux limites de compétences. Deux incompétences n'ont jamais fait une compétence. Si le médiateur ne parvient pas à se faire reconnaître dans la conduite des entretiens individuels, il rencontre une limite de compétence. A lui d'y travailler, de se faire remplacer. Dans tous les cas, un seul médiateur doit diriger l'intervention. La co-médiation est envisageable dans le cas où les parties sont très éloignées. Il s'agit ici d'une co-médiation distancielle. Il convient cependant que les deux médiateurs maîtrisent le processus structuré (entretien individuel + animation de la réunion).
DIVERS ASPECTS TECHNIQUES
Parmi les grandes différences identifiées
A l’EPMN l’enseignement :
- est de ne pas utiliser, en tout cas le moins possible (et de préférence pas du tout, j’insiste) la formulation questionnante, opter pour l’altérocentrage ;
- ne peut pas inscrire les mimiques et le gestuel dans les pratiques ; les intonations sont importantes dans le volume (parler pour être entendu) et c’est suffisant, sans question, sans affirmation catégorique
- pas d’interposition physique comme proposé par les intervenants ; c’est trop risqué et c’est surtout la démonstration d’un manque de maîtrise des techniques d’implication.
Ce qui est vu à l'EPMN et qui est prépondérant dans la formation "médiation professionnelle" : l’identification des courants de pensée, le paradigme du Contrat social et le paradigme de l'Entente Sociale, la gestion de l'adversité et la promotion de l'altérité ; la définition d’une relation, d’un conflit, d’un litige ; les techniques d'ingénierie relationnelle : le processus structuré d’implication, l’altérocentrage, la diversification du langage, les surenchères S3, les reconnaissances et les légitimités R3 L3, les issues ADR, la conduite de projet relationnel, les issues RAR, le processus BIP, les fondamentaux PIC+ et PIC-, la restitution de sens, la QRT, etc.
Assistante polyvalente
3 ansJe remercie Jean-Louis Lascoux pour cette publication qui me donne envie de porter un témoignage. Il me paraît essentiel, en tant que médiateur professionnel, de connaître les pratiques de confrères formés par d'autres écoles que l'EPMN. Cela permet de clarifier, d'abord en soi, la qualité de l'implication que l'on engage dans l'exercice de la profession de médiateur professionnel. L'éthique et le cadre structuré, dans lesquels tous les concepts enseignés s'inscrivent, permettent au médiateur professionnel de pratiquer un accompagnement dans l'altérité et une transmission pédagogique dans l'aide à la structuration rationnelle de la pensée. Cette pratique représente pour moi une discipline intérieure qui conduit à la liberté de penser. Par la vision rationnelle et la contribution qui en découle, elle me permet de mettre de la qualité dans mes relations et dans ma manière de vivre en général. Etre médiateur professionnel est avant tout partager cet art de vivre, en m'appuyant sur les outils et techniques de l'ingénierie relationnelle.