« France Travail » et Mission Locale : Comment le culte de l’innovation ignore le progrès ?
Comme à chaque nouvelle politique de l’emploi, les gouvernements interrogent l’organisation du « service public de l’emploi » et donc le service apporté au public jeune. Une intention louable s’il elle n’intervenait pas presque à chaque nouveau gouvernement.
Comme à chaque fois dans cette situation, le ministère de tutelle souhaite réinventer l’eau chaude tout en semblant avant tout, vouloir laisser une trace marquante et innovante. Comme si l’innovation était par essence même un gage de performance et de progrès.
Comme à chaque fois (et donc encore en 2023), le Ministère du Travail, du Plein emploi et de l'Insertion a décidé d’innover en oubliant soigneusement de se documenter en compulsant les rapports divers et variés qui auraient pu (ou dû) les guider.
Comme à chaque fois, c’est celui qui parle le plus fort, où qui a l’oreille du ministère (ou de la DGEFP) qui impose son point de vue à savoir « Pôle Emploi ».
C’est ainsi qu’arrive à grands pas « #FranceTravail ». Confiant à l’opérateur « France Travail » la coordination de l’accompagnement des jeunes alors même que le rapport de l’IGAS de 2016 reconnaissait la meilleure performance des « #MissionLocale ».
Mais « France Travail » c’est aussi la confirmation de doublons et de confusions en confiant à la fois à « Pôle Emploi » et aux « Mission Locale » l’accompagnement des Jeunes (sur plusieurs dispositifs). Ceci en allant contre les recommandations du Rapport Sénatorial de 2017 :
A vouloir courir après la chimère du « guichet unique », « France Travail » va acter des doubles accompagnements, de la confusion pour le public jeune et pire : de la concurrence entre opérateurs ; puisque depuis de nombreuses années les « Mission locale » sont évaluées sur leur performances (ce qui est bien légitime) dont le nombre de suivis.
Toutefois, le pire n’est peut-être pas là. Car le « diable se cache dans les détails ». En effet, conscient des grands risques de doublons, le ministère a décidé que la répartition des jeunes entre « Pôle Emploi » et « Mission Locale » se ferait via un algorithme. Symbole ultime de l’innovation sociale, c’est donc un programme qui décidera si un jeune sera accompagné par l’un ou l’autre des opérateurs. Niant au passage le choix du jeune à se déterminer lui-même en choisissant ce qui lui conviendrait le mieux. Et niant également les compétences des professionnels de l’accompagnement.
Bien entendu, les « Mission Locale » seront toujours au cœur de l’accompagnement des jeunes, mais uniquement de ceux dit « les plus en difficultés », en oubliant que le COVID est passé par là rendant précaires et fragiles de nouvelles catégories de jeunes (étudiants décrocheurs, travailleurs précaires en transition, jeunes diplômés…) qui ne pourront pas bénéficier d’un « accompagnement global » (santé, logement…).
Alors donnons nous rendez-vous dans 2 ou 3 ans pour réinterroger l’organisation du « service public de l’emploi » et refaire de l’innovation 3.0. Peut-être avec une IA pour accompagner les jeunes ?
Rapport de l’IGAS (2016) sur le modèle économique des missions locales pour l’insertion professionnelle et sociale des jeunes
Ancrées dans le tissu économique local et s’appuyant sur leur connexion avec les élus locaux qui définissent leurs orientations, les missions locales sont financées par l’Etat, les collectivités territoriales, Pôle Emploi et l’Union européenne. Tirant parti de leur maillage territorial dense et de la flexibilité que leur confère leur statut, principalement associatif, les 445 missions locales obtiennent des résultats honorables en matière d’accès à l’emploi des jeunes au regard des résultats atteints par d’autres structures intervenant dans le secteur de l’insertion sociale et professionnelle. En effet, un jeune sur deux est en emploi ou en formation à l’issue d’un parcours d’accompagnement national, un résultat comparable à celui obtenu par Pôle Emploi pour l’accompagnement des jeunes demandeurs d’emploi, alors que les publics accueillis en missions locales rencontrent généralement des difficultés économiques et sociales supérieures. Il y a toutefois lieu de souligner que la prescription d’emplois aidés, comme pour d’autres acteurs du service public de l’emploi, concourt de façon importante à ce résultat.
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Rapport sénatorial d'information n° 575 (2016-2017) de MM. François PATRIAT et Jean-Claude REQUIER, fait au nom de la commission des finances, déposé le 7 juin 2017
AVANT-PROPOS
« Mesdames, Messieurs,
Dans la continuité des travaux qu'ils ont menés en 2015 sur les écoles de la deuxième chance, vos rapporteurs spéciaux ont souhaité s'intéresser à un autre dispositif destiné à l'insertion des jeunes en établissant un bilan de l'action du réseau des missions locales, entités issues du rapport « Schwartz » sur l'insertion professionnelle et sociale des jeunes de 1981. […]. Fortes d'un réseau couvrant la quasi-totalité du territoire, les missions locales sont, à l'heure actuelle, les seules structures en mesure de proposer aux jeunes de 16 à 25 ans un « accompagnement global », c'est-à-dire couvrant un champ extrêmement large de problématiques : santé, logement, insertion sociale et professionnelle, formation, etc.
Depuis 2012 et l'objectif assumé par la majorité d'alors de faire de la jeunesse la priorité du précédent quinquennat, le rôle des missions locales s'est considérablement accru, l'État leur ayant confié le portage de différents dispositifs nationaux et, en particulier, de la Garantie jeunes.
Après plus de trente-cinq ans d'existence, les missions locales, qui accueillent plus de 1,4 million de jeunes chaque année, en progression constante depuis 2007, se sont donc imposées comme des acteurs incontournables de l'insertion sociale et professionnelle des jeunes. Malgré un public accueilli présentant d'importantes difficultés, les résultats qu'elles enregistrent apparaissent positifs, près d'un jeune sur deux s'étant vu proposer un emploi ou une formation.
Pourtant, en dépit d'indéniables atouts, les missions locales font face à d'importants défis en matière de financement, de gouvernance ou encore de positionnement.
Vos rapporteurs spéciaux estiment que quatre axes d'amélioration devraient être poursuivis :
1. sécuriser les financements en améliorant le dialogue entre financeurs au niveau local ;
2. procéder à une nouvelle clarification de la répartition des compétences entre Pôle emploi et les missions locales ;
3. renforcer le suivi de l'activité des missions locales et envisager la mise en place d'un véritable pilotage par la performance tout en prévoyant une simplification des démarches administratives liées à la mise en oeuvre de la Garantie jeunes ;
4. poursuivre la rationalisation du réseau en renforçant l'échelon régional et en envisageant des mutualisations. »