Génocide Arménien - 1895 - Témoignage de Mme Carlier

L'Illustration N° 3125 du 17/01/1903

Sur la proposition de M. Delcassé, ministre des Affaires étrangères, la croix de la Légion d'honneur vient d'être décernée à Mme Carlier, veuve de l’ancien vice- consul de France à Sivas.

Pour connaître et apprécier les motifs de cette haute distinction. il faut se reporter à un épisode des massacres qui, pendant l'hiver 1895-1896, ensanglantèrent  l’ancienne capitale de l'Arménie. « Nous avons été admirablement défendus », écrivaient les missionnaires, à la suite de ces lamentables événements. Oui, admirablement, mais à quel prix ! Mme Carlier nous le dit en des pages que publie la Revue des Deux Mondes du 15 janvier, récit d'une simplicité touchante où elle raconte l'héroïsme obscur du vice-consul, son mari.

Il y eut à Sivas des journées terribles, par exemple celle du 12 novembre.

Le Consulat est plein de réfugiés Arméniens réclamant protection. A 100 mètres de là, deux mille chrétiens se sont réfugiés dans une église : les missions sont également menacées. M. Carlier prend aussitôt les mesures les plus décisives. Seulement, il n'a que deux soldats en tout, ses deux cawas, l'un, un Circassien athlétique, Méhemet, est chargé de défendre tout seul l'église. Avec l'autre cawas, Panayoti, un Grec, vrai type de d'Artagnan, M. Carlier va visiter les missions passant au milieu des cadavres. Et que reste-t-il pour défendre les réfugiés du Consulat ? Une jeune femme de vingt-deux ans, son bébé et une jeune bonne française. Attaquées, ces deux femmes tirent intrépidement sur les Turcs, tandis que les Arméniens, dont pas un n'ose toucher une arme, se cramponnent, éperdus, aux jupes des deux femmes.

Grâce à M. Carlier, les massacres durent peu, le pillage est arrêté, les incendies sont éteints; mais, pendant une nuit glaciale — le thermomètre marquait 25 degrés au-dessous de zéro ! — le malheureux consul a contracté le germe d'un mal fatal qui l'emportera deux ans plus tard.

Du moins son chef. M. Cambon, l'ambassadeur d'alors, pourra citer M. Carlier comme un modèle de courage et de décision, et proclamera publiquement que si, dans le villayet comptant le plus grand nombre de chrétiens de toute l'Arménie, il y a eu moins de victimes que partout ailleurs, ce beau résultat est l'œuvre personnelle de M. Carlier... » Et de sa femme qui l'assistait... » a ajouté l'ambassadeur. Mais cela, nous le savons par le livre Jaune, non par le Journal de la femme d'un consul de France, car Mme Cartier n'a d'yeux que pour son mari.

Au premier rang dans l'action, la vaillante compagne du consul s'efface dans le récit des actes héroïques auxquels elle s'est si étroitement associée. On ne peut que féliciter le gouvernement d'avoir su lui rendre publiquement justice en faisant violence à sa modestie.

Emilie Carlier - Journal de la femme d'un consul de France en Arménie. 1903. 158 pages. Réédition en cours. Disponibilité le 18 mai 2015.
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