Gaston Lagaffe au prisme du droit du travail
Gaston Lagaffe a été embauché par les éditions DUPUIS en 1957, sans contrat écrit et sans définition de fonctions :
Extrait de dialogue entre Spirou et Gaston [i] :
Qui êtes-vous ? Gaston
Qu’est-ce que vous faites ici ? J’attends
Vous attendez quoi ? J’sais pas… j’attends
Qui vous a envoyé ? On m’a dit de venir…
Qui ? Sais plus ...
De venir pour faire quoi ? Pour travailler…
Travailler comment ? Sais pas… on m’a engagé…
Renvoyé en 1977 suite à l’introduction d’une vache dans les bureaux de la rédaction du journal, son lieu de travail, il a été réintégré à la demande des lecteurs.
Il était toujours en poste en 1996 : 39 ans de service et un dossier disciplinaire quasiment vide :
- une sanction (interdiction d’utiliser l’électricité suite à une surconsommation pour ses inventions)
- un licenciement annulé
Et pourtant, les griefs à son encontre sont nombreux et auraient justifié, à maintes reprises, la rupture de la relation contractuelle :
- non exécution du travail demandé (courrier non trié, salarié allergique au mot « effort » …) et perturbation du travail des autres salariés (Lebrac, le dessinateur, retrouvera une tondeuse à gazon sur sa planche à dessin)
- manquement réitéré à l’obligation de veiller à sa sécurité et à celle des autres (on ne compte pas le nombre de fois où un membre de la direction se retrouve à l’hôpital !)
- dénigrement de la politique de la société (utilisation des avions de chasse contenus dans le journal « Spirou » pour tirer des pétards sur son supérieur hiérarchique : « Ceux qui fourrent de ces bidules guerriers plein leurs illustrés, faut bien de temps qu’on leur rappelle à quoi servent ces merveilles …»)
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- manquement à son obligation de loyauté (insertion d’un transistor dans un téléphone pour faire croire qu’il travaille ou transformation du chauffe-eau en vue d’incinérer les courriers des lecteurs auxquels il doit répondre)
- atteinte à la santé mentale de ses supérieurs successifs (épuisement professionnel de Fantasio et de Prunelle)
Pourquoi une telle clémence face à cette longue liste de griefs ?
La réponse se trouve peut-être dans[ii] :
- sa « bonne volonté » désarçonnante. Il prend de nombreuses initiatives comme :
- gonfler les ballons publicitaires pour vérifier s’ils sont en bon état …
- ranger les ouvrages de la rédaction sous forme de labyrinthe
- mettre en place un système anti-incendie qui ruinera tout espoir de conclusion de contrats avec DE MESMAEKER …
- la candeur qu’il apporte (après avoir nourri les animaux recueillis dans son bureau … particularité du bureau de Lagaffe…, il se dit qu’avec tous ces efforts, son employeur ne pourra lui refuser une augmentation).
Ou tout simplement dans le contentement inavoué de son employeur d’augmenter sa publicité et le nombre de tirages de son journal grâce à son salarié, employé sans mission, lequel aurait d’ailleurs pu se plaindre de cette absence de définition, de son manque de formation, de l’utilisation de son image, de ses conditions de travail (victime de plusieurs accidents du travail)…
Au final, une relation originale et équilibrée ?
Surtout, s’interroger sur l’exemplarité de Gaston Lagaffe sous l’angle du droit disciplinaire n’est-ce pas dénaturer l’œuvre de Franquin qui disait « dessiner Gaston uniquement pour le plaisir de dessiner et faire rire les autres » ?
Cet été, pourquoi ne pas se laisser guider par l’insouciance insufflée par Franquin.
Bonnes lectures 😊
[i] Ouvrage « Gaston au-delà de Lagaffe » 2016 Bibliothèque Centre Pompidou
[ii] Vous pourrez trouver d’autres réponses dans le faux-procès de Gaston Lagaffe qui s’est tenu sur la Grande scène de Livre Paris 2018
DRH
3 ansExcellent Edith 👋