Gendarmes au sud de la Méditerranée ?
N’en déplaise aux rêveurs romantiques, les relations entre les États ont toujours été régies par des rapports de forces. Les communiqués officiels auront beau essayer d’enjoliver la réalité, c’est toujours la loi du plus fort qui s’impose. Mais les choses ne sont pas aussi simples. En l’absence d’une communication libre, chacun présente la réalité sous un angle qui l’avantage et trompe ainsi sa population. Déjà dans l’antiquité, en 1274 av. J-C, Ramsès II, qui en réalité avait perdu la bataille de Qadesh en Syrie contre les Hittites, a réussi grâce à la propagande officielle, à faire croire aux égyptiens qu’il en était le vainqueur. Trois milles ans plus tard, la désinformation est encore le sport favori des régimes autocratiques. Évidemment des mécanismes de défense s’installent. Les plus jeunes ne le réalisent pas mais pendant cinquante ans le décodage des informations officielles, était le sport favori des Tunisiens. Il fallait savoir lire entre les lignes et deviner les non-dits.
Un accord immoral
La communication officielle autour de « l’accord stratégique » signé le 16 juillet entre l’Union Européenne (UE) et la Tunisie nous a rappelé de tristes périodes de notre passé récent. Disons le d’emblée, loin d’être un accord d’”égal à égal” selon la terminologie en vogue ces jours-ci, celui-ci entérine un peu plus le statut de sujétion du pays à ses voisins européens qui en réalité n’ont de “partenaires” que le nom. Les Tunisiens ? Ils sont traités dans cet accord comme des sujets. Ils sont et resteront les premiers à payer le prix d’un mémorandum qu’aucun officiel n’a pris la peine de leur présenter ni expliquer, ce qui est fondamentalement immoral !
Que sait-on de cet accord et que peut-il bien valoir ? Giorgia Meloni, Présidente du Conseil italien, flanquée d’Ursula von der Leyen, Présidente de la Commission européenne ainsi que Mark Rutte, Premier Ministre néerlandais ont distillé les informations au compte-gouttes lors de leur virée à Carthage. Ceci n’a pas empêché les journaleux et autres propagandistes chez nous de parler d’accord historique et d’édifier des légendes qu’on ignore tout ou presque de ce qu’il contient. De l’aveu même du premier ministre néerlandais la dernière version de ce texte n’a pas été communiquée aux représentants des États. Et l’on apprend, ces jours-ci, via la presse étrangère, que la France et l’Allemagne, excusez du peu, ont été exclues des négociations. Au sein même de l’UE, douze pays membres dont l’Autriche, la Belgique ou encore la Grèce critiquent ouvertement cette approche qu’ils qualifient de droitière et farfelue.
Pourtant, notre « amie » Giorgia Meloni - qui a le mérite de “dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas” selon notre Président - n’y est pas allée par quatre chemins en déclarant que l’accord obtenu est « une nouvelle étape importante pour traiter la crise migratoire de façon intégrée » et c’est de toute évidence l’unique et seule motivation de cette mobilisation. Mme Ursula von der Leyen précise, de son côté, que la Tunisie va obtenir, en échange, une aide de 105 millions d’euros. Un accord présenté comme “gagnant-gagnant” mais dont on peine à voir ce que Tunis va véritablement en tirer tant le cahier des charges européen semble plus fourni que les dotations financières qui l’accompagnent.
Sur la question migratoire, les autorités tunisiennes auront beau crier sur tous les toits qu’elles ne garderaient que leurs frontières, elles ne sont pas crédibles, simplement parce qu’à partir du moment où on garde ses propres frontières, on garde automatiquement celles des autres aussi.
Comme les informations se font rares pour ne pas dire inexistantes côté tunisien, c’est sur le site de la Commission Européenne que l’on apprend que le texte de l’accord prévoit - en plus de la “lutte contre la migration irrégulière”, “ le retour et la réadmission depuis l'UE des nationaux tunisiens en situation irrégulière.” Rien qu’en 2022, ce sont 18 000 ressortissants tunisiens qui sont arrivés illégalement sur le sol italien. Combien de nos compatriotes la Tunisie s’est-elle engagée à “reprendre” et comment compte-t-elle les réinsérer sur le sol national ? Questions rhétoriques évidemment.
Et tout cela, pour quoi au final ? Faire d’une néofasciste déclarée et fière de l’être l’avocate de la Tunisie auprès du FMI et des USA ? La couleuvre est un peu trop grosse.
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Une confusion entretenue
Le caractère immoral du chantage aux visas dans cet accord n’est plus à démontrer. Un aspect de cet accord est particulièrement choquant. La hiérarchisation de la liberté de circulation des peuples. C'est simplement inadmissible au moment où le monde est devenu un village que certains aient le droit de circuler librement partout dans le monde alors que d'autres sont assignés à un visa dés qu'ils mettent les pieds en dehors de leur pays d'origine.
Avec l’accord entre la Tunisie et l’UE les illusions d'un avenir prospère où la libre circulation des hommes, des savoirs, des marchandises sera la règle...ont été perdues. C'est l'accord de la peur des autres, des potentiels envahisseurs, bref des gens du sud.
Des détails choquent. De façon cynique, la délivrance de visas aux citoyens tunisiens désirant aller en Europe a été associée à des subventions et une ligne de crédit, ridicules par ailleurs. La Tunisie est rémunérée en fonction de son engagement à contrôler l'immigration illégale de ses citoyens et des autres.
Corréler le taux de visas délivrés par l’UE aux citoyens du sud aux engagements de la Tunisie à empêcher les immigrants de traverser la Méditerranée est choquant. Cela enracine l'idée que tout citoyen qui désire voyager en Europe, quelqu'en soit le motif, études, tourisme, affaires...est un immigrant clandestin en puissance et cela ne semble pas déranger outre mesure nos représentants. En contradiction avec toute les déclarations officielles et grandiloquentes des tunisiens et en toute logique avec l’esprit des puissances dominantes, l’accord signé organise et renforce les départs des “matières grises” du Sud. Il contribue ainsi à déstabiliser davantage des pays qui n’ont aucun moyen de retenir des compétences dont ils ont grandement besoin.
Dans cet accord la question de l’immigration, thématique de choix pour les xénophobes au nord comme au sud, est traitée superficiellement. Une insulte pour l'avenir de ces pays. Rééquilibrer les échanges pour établir une relation équitable ne semble pas préoccuper les signataires de l'accord.
Cet accord est immoral car il fait de l'immigration l’axe principal des relations entre le sud et le nord. Le peu que nous savons de cet accord, nous renvoie à la dure réalité, plus que jamais, seuls les intérêts dictent les échanges entre les États. Malheureusement il est le contre-exemple de ce qui aurait du être fait car il ne pourra que creuser les disparités entre les peuples et pérenniser les drames actuels. C’est enfin une manipulation de l'opinion publique car il associe l’immigration illégale à l’octroi de crédits et de visas aux citoyens du sud. il alimente ainsi les idées de la droite extrême.
Chez nous la présentation qui en est faite par des médias au service du pouvoir est révoltante. Elle est infantilisante. Elle est irrespectueuse pour les citoyens car elle tente de nous faire croire que les vexations et les tracasseries envers les personnes qui souhaitent visiter l’Europe vont cesser à condition qu’on lutte sérieusement contre l’immigration clandestine. En réalité, nous nous faisons payer pour jouer un rôle peu glorieux, celui de gendarmes du sud.
Mais nous le savons tous, tout cela est vain car rien ne pourra arrêter les humains de bouger.