Google Maps, la carte et le territoire

Google Maps, la carte et le territoire

« Google Maps nous ment. » « Ne vous laissez pas berner ».

Quelques jours avant sa mort en décembre dernier, Jean-Christophe Victor, l’homme de l’émission « Dessous des cartes » d’Arte, expert en géopolitique, lance une dernière alerte sur ce qui est certainement une des manipulations les plus invisibles du géant de Mountain View.

Vous organisez des vacances à l’étranger ? Google Maps. Vous cherchez un restaurant ? Google Maps. Vous avez besoin d’un itinéraire ? Google Maps. Tous les jours des centaines de millions de personnes utilisent les cartes de Google, et à aucun instant elles ne se demandent si elles sont fiables. Après tout, pourquoi seraient -elles fausses ? C’est Google quand même !!! Et Google ne veut que nous rendre service. Gratuitement. Ne soyons pas naïfs ! Rien n’est gratuit. Si c’est gratuit sur Internet, c’est que vous êtes le produit. Nous utilisons tous (plus de 95% en France), autant que nous sommes, les services de Google. Le moteur de recherche, Gmail, Google Maps, Google Documents, etc. À tel point que la majorité des internautes associent Google à Internet, voire à un service quasi public n’ayant pour seul objectif que de nous assister dans notre quotidien.

Mais ne soyons pas dupe, Google est une entreprise privée, et aucun de ses services n’est neutre en soi. Plus Gmail est performant, plus vous l’utilisez et plus Google sait de choses sur vous. Avec qui vous discutez, à quelle fréquence, sur quel sujet, d’où, vos sentiments. Vos documents stockés sur ses serveurs ? Des données professionnelles et personnelles très intéressantes lorsqu’on les couple avec vos e-mails. Vos recherches via son moteur de recherche ? Vos centres d’intérêt, vos coups de coeur et coups de gueule, vos maladies et petits bobos quotidiens. Bref, une mine d’or pour cartographier votre vie et délimiter votre territoire. Il en est de même pour notre planète. Google veut la cartographier et délimiter les territoires. Mais ces territoires ne sont pas ceux définis par les frontières reconnues internationalement.

Google ne reconnaît que les territoires commerciaux favorables à ses activités. La recomposition des frontières officieuses facilite les négociations avec certains états au mépris des accords internationaux et de la carte de référence, celle des Nations Unies. À l’issu de la seconde guerre mondiale, la carte de notre monde fut en effet recomposée. Certains états se sont créés, d’autres ont disparu, et dans cet équilibre fragile, les états ont dû se mettre d’accord sur une référence cartographique commune délimitant les frontières officielles et permettant de résoudre les litiges potentiels autour de territoires revendiqués par diverses parties. Une cartographie officielle permet de réduire les tensions géopolitiques. L’orchestre des états doit jouer la même partition faute de quoi la cacophonie s’installe. Tibet, Cachemire, Ukraine, autant de violations récentes de cette cartographie et des accords internationaux propres à déstabiliser des pays voire des régions entières. C’est pourquoi, dès 1946, 198 états décident de reconnaître la carte des Nations unies comme la référence internationale officielle. Quel rapport avec Google Maps ? Google a décidé de s’en affranchir afin de favoriser son activité.

Vous avez bien lu, Google Maps ne respecte pas la carte des Nations Unies alors même qu’il représente désormais pour la majorité des individus la référence internationale. Les frontières de la Chine, l’Inde ou la Russie ? Si vous faites une recherche hors de ces pays, vous consulterez la version officielle pour nous, occidentaux. La même recherche depuis leurs territoires donne une toute autre carte. Les territoires qu’ils revendiquent sont comme par magie intégrés aux leurs. Comme le précisait Jean-Christophe Victor, « Pour le Sahara occidental par exemple. Un pays seulement le reconnaît comme étant marocain, c’est le Maroc. Et donc, ce qui est produit comme carte par Google pour le Maroc, c’est évidemment l’intégration du Sahara occidental à l’état marocain. Mais ailleurs, non. » Ces « oublis » ne se limitent pas aux seuls frontières, mais aussi à certains lieux stratégiques. Les bases de l’OTAN sont glitchées, alors que les camps nord-coréens sont précisément cartographiés par exemple. Le siège de Google X, le laboratoire de recherche et d’innovation dirigé par Sergei Brin, n’est comme par magie pas visible sur Google Maps. De même, Google Maps ignore de grandes parts des pays africains, se contentant des plus grandes routes. Le reste n’étant que de peu d’intérêt puisqu’il ne s’agit pas d’itinéraire ni de zone commerciale.

Comment sont définies ces frontières discutées ou discutables ? Une équipe d’une centaine de personnes dans le monde seulement, principalement aux Etats-Unis et à Zurich, décide de façon collégiale de la stratégie à adopter en fonction des litiges possibles. Il n’y a donc ni chef ni référent principal pour Google Maps. L’enjeu commercial s’affranchit du droit international et de toute considération géopolitique tant que cela ne contraint pas l’activité. L’idéologie libertarienne de Google prend ici tout son sens. L’État n’est que contrainte, les territoires physiques de simples lignes mouvantes que l’on peut déplacer au gré des opportunités commerciales. Pour Google, le monde est un marché, celui de nos vies et de nos territoires réduits à de simples données qui n’appartiennent à personne. Alors repensez-y à deux fois avant de vous fier les yeux fermés à Google et ses services gratuits.


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