Hausse des taux : inflation peut-être, ajustement pour les actifs sûrement

Hausse des taux : inflation peut-être, ajustement pour les actifs sûrement

POUR LES INVESTISSEURS, L'ÉPIDÉMIE EST PASSÉE AU SECOND PLAN

L'actualité financière du moment c'est le nouveau record de Wall Street mercredi et en même temps la remontée rapide et aigüe des taux d'intérêt. Le paradoxe s'est un peu corrigé en fin de semaine avec une consolidation des actions, mais les Bourses chères anticipent sur le rebond économique (et donc des profits) quand les taux d'intérêt (un peu) relevés font de même.

Le changement de pied est encore à confirmer sur le plan des fondamentaux de l'environnement monétaire et financier. Mais la hiérarchie des préoccupations des marchés financiers est actée : contrairement à notre ressenti quotidien surmédiatisé, l'épidémie est passée au second plan ou même plus loin. Malgré le retard de l'Union Européenne, elle s'infléchit fortement dans le monde et les investisseurs prennent désormais en compte une vie économique « avec » la Covid.

LE RENDEMENT DU T BOND AMÉRICAIN 10 ANS A MONTÉ DE 1 % EN 7 MOIS

C'est le thermomètre purement financier qui s’affole désormais : les taux d'intérêt offerts par les titres du Trésor américain à 10 ans sont passés jeudi à pratiquement 1,5 %. Au début du mois d'août dernier ils étaient inférieurs à 0,50 %. La hausse s'accélère : début janvier les T Bonds 10 ans offraient 0,9 % et, il y a 15 jours, encore 1,1 %.

C'est bien sûr l'anticipation d'une forte reprise économique qui pousse à cette reconstitution partielle de taux réels. Les investisseurs prennent en compte le scénario d'une accélération de la croissance américaine au second semestre. La hausse des taux américains s'opère avec le rétablissement d'une hiérarchie en fonction de la durée sur les échéances moyennes – 5 à 10 ans. Cette « repentification de la courbe » met en évidence le déroulé attendu du cycle, avec une forte reprise à partir de cet été avant une normalisation sur plusieurs années, et des perspectives de règlement de la crise sanitaire pouvant amener la Réserve Fédérale à arrêter voire inverser un jour ses injections de monnaie (le fameux allègement des doses ou tapering).

Des éléments techniques amplifient la hausse actuelle mais peuvent durer en raison des stratégies de portefeuille qui, d'une certaine façon rendent le mouvement autoréalisateur (risque dit de duration). Les obligations souveraines européennes ont suivi le mouvement de façon atténuée, même si, le passage un moment au-dessus de zéro du rendement de l'OAT française à 10 ans est un symbole.

Cette hausse prend un peu par surprise, surtout par la rapidité et, aussi, par son ampleur. Amplifiée, elle remettrait en cause pas mal des scénarios de portefeuille. Pour approcher la probabilité, il y a deux grands facteurs : la réalité d'une reflation et la gestion des banques centrales.

UN REGAIN D'INFLATION QUI NE SERA PAS TRANSITOIRE

La reflation de l'économie américaine peut s'analyser indépendamment des tensions qui sont attendues au bilan du 1er semestre de cette année et même à partir de l'été. Les effets de base jouent mécaniquement. Pour prendre simplement l’énergie, le baril WTI s'échange aujourd’hui à 63 dollars, ce qui est 30 % de plus qu'il y a un an et 45 % de plus qu'il y a six mois. Les métaux ou les produits chimiques font mieux.

Les 2 ,2 %- 2,3 % et jusqu'à 3 % de dérive des prix américains anticipés pour l'ensemble de cette année sont largement la conséquence de ces facteurs conjoncturels. En revanche, ce qui est attendu du côté des économistes, c'est seulement une remontée de 0,5 % maximum de l'inflation sous-jacente.

Ce qui a changé depuis la mi-février, c'est l'attente d'une très nette progression de la croissance nominale américaine dès le second semestre. À partir de là, les pressions déflationnistes qui ont tenu les prix depuis finalement plus de 20 ans pourraient ne plus empêcher les évolutions classiques ou en tout cas les contrer pour une part plus réduite. Le principal des agents déflationnistes qu’est la Chine limite progressivement ce rôle au gré du recentrage de son économie sur l'interne alors que d'autres pays à main d'oeuvre à bas coût et, en particulier ses propres sous-traitants ne peuvent pas prendre le relais.

Le contexte politique poussera l'inflation américaine sans ce coussin amortisseur. Le plan de relance en phase de finalisation au Congrès va être un dopant dont les effets multiplicateurs sont révisés à la hausse. Les transferts de richesse prévus par l'Administration Biden et qui ne bénéficient finalement d'un consensus assez large expliquent cet effet de levier. Le moteur d’un passage d’une inflation des actifs produits par la gestion monétaire, à une inflation des biens et services produite par la nouvelle stratégie budgétaire et fiscale va être activé.

Les tensions sur les prix qui seront perceptibles cette année ne semblent pas devoir être « transitoires » pour employer le vocabulaire de Jerome Powell, le patron de la Réserve Fédérale. Les anticipations d'inflation sont entrées dans les cours et sont aussi poussées par les programmes d'émission de la Fed qui limite les émissions d'obligations indexées sur l'inflation au profit des taux fixes.

LA FED VA MAINTENIR SES INJECTIONS ET DES TAUX TRÈS BAS

Ce n'est pourtant pas vraiment l’inflation constatée ou même celle qui va être enregistrée au premier semestre de cette année qui a lancé le mouvement de taux. La dynamique ne vient pas des anticipations. Elle est ailleurs : c'est surtout une dynamique de marché.

D'une certaine manière, la Réserve Fédérale américaine a lancé le mouvement il y a six mois : son patron a annoncé lors du forum (virtuel) de Jackson Hole que l'objectif de 2 % d'inflation devait se concevoir sur le long terme et que le niveau pourrait être sensiblement supérieur en période de croissance comme il a été inférieur à d'autres périodes. La priorité absolue donnée à l'emploi sur la dérive monétaire n'est pas une première pour le banquier central américain mais, d'une certaine façon, tourne le dos à pratiquement 40 ans de politique déflationniste.

Face aux anticipations ou aux inquiétudes des investisseurs actuelles, M. Powell ne change pas de discours. Présentant cette semaine la politique monétaire devant les deux chambres du parlement, il est resté dans le registre analytique quand il a estimé que « de nombreux facteurs contribuent à ce qui est en train de se passer sur les marchés ».

Il ne modifie pas sa stratégie pour autant et n'envisage pas plus de la modifier. Le président de la Fed a réitéré ses engagements : les achats d'actifs vont rester à leur niveau très élevé (120 milliards de dollar par mois) au moins jusqu'au printemps 2022 ; les taux directeurs vont rester proches de zéro « pendant une période prolongée ».

L'objectif de baisse du chômage reste la priorité plus que jamais. Il semble que les inquiétudes sur une surchauffe de l'économie grâce aux plans de relance ne soient pas dans son périmètre d'action.

Ainsi, la Fed sera durablement présente pour tenir les taux dans leurs niveaux quasi nuls pour les taux directeurs, et, pour les rendements obligataires, orientés de façon à financer le Trésor à des niveaux toujours inférieurs à la croissance nominale pour plusieurs années. La nécessité d'une réduction des achats de titres et, encore moins celle de la baisse du bilan de la banque centrale ne sont pas niées, mais le terme n'est pas fixé ni même projeté.

UNE PHASE NOUVELLE POUR LES VALORISATIONS ; EN VUE LE SECTEUR FINANCIER, TOUJOURS LES MATIÈRES PREMIÈRES ET LES VALEURS MOYENNES

Si la Réserve Fédérale et, par conséquent la Banque Centrale Européenne, vont rester à la manoeuvre pour tenir la liquidité monétaire et les taux d'intérêt, on doit considérer que les six derniers mois de tensions sur les marchés obligataires ouvrent une phase nouvelle pour les marchés financiers.

Sans doute les risques de spirale d'inflation et même de surchauffe de l'économie américaine restent contenus. Mais des actifs ont atteint des niveaux record et parfois déraisonnables ces dernières années sur la base de taux nuls. Le symbole est évidement le bitcoin, mais les géants du numérique et l'ensemble de valeurs de croissance de la cote américaine ont des valorisations qui reposent sur le refinancement gratuit : avec un taux nul ou négatif, on peut accepter en théorie des niveaux infinis pour le prix.

Les taux réels peuvent rester négatifs, mais les taux nominaux vont rééquilibrer les valorisations. On en a déjà une illustration avec les secteurs bancaires, avec, bien sûr toujours et encore les matières premières, mais aussi avec la classe des valeurs moyennes. Plus sensibles au cycle, plus concentrées aussi, elles présentent un rapport entre les perspectives de croissance, les ratios d’évaluation et de rendements des dividendes, qui justifient d'en accroître l'exposition dans les portefeuilles.


CHRONIQUE HEBDOMADAIRE DE 26 Février 2021 - Par Hubert Tassin pour Gaspal Gestion


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