Histoire d’un marathon
J’ai couru mon premier marathon à 42 ans. N’y voyez aucun lien avec cette distance mythique, non, c’est simplement à ce moment que l’opportunité s’est présentée.
Ce jour-là, 35000 personnes se sont élancées dans cette épreuve avec certainement autant de façons de la vivre et de s’approprier l’expérience. Voici la mienne.
Six mois plus tôt
A l’époque j’étais déjà rompu au semi-marathon, lorsqu’un un soir de Septembre, mon partenaire de course à pied me dit entre deux foulées « Alain, on va faire le marathon de Paris ». Je crois que j’ai failli m’arrêter net, mais finalement, j’ai continué à courir et à l’écouter …
Dans ma tête, les points d’exclamation et d’interrogation s’entrechoquaient, entre excitation et panique. Quel challenge ! En suis-je capable ? Ce serait génial ! Comment s’y prendre ?
La tempête calmée, ne restait qu’un bruit de fond mêlant tout ce que l’on savait déjà sur l’épreuve : entre le semi et le marathon, rien n’est linéaire, on entre dans une zone paradoxale et chaotique où le corps règle ses comptes. Toutes les péripéties et erreurs sans conséquences sur une autre distance peuvent ici se payer très cher.
En résumé, nous avions comme objectif une distance inaccessible à l’entrainement, un effort impossible à appréhender, mais du temps devant nous.
Finalement, quel autre choix que simplement se préparer le mieux possible et tout découvrir le jour « J », en étant capable d’encaisser, de s’adapter et de garder le cap ?
Le pied sur le manège :
Le moment de s’inscrire est arrivé dans la foulée, si j’ose dire. Une action anodine en apparence, mais avec de grandes conséquences. Car, je me suis senti moralement engagé dans un pari fou, du genre dont on sourit intérieurement en se demandant ce qui nous est passé par la tête.
J’avais mis le pied sur le manège !
A partir de là, j’étais embarqué, il n’y avait plus que la marche avant et cette étrange sensation d’être entrainé.
La partie immergée de l’iceberg :
L’entrainement, justement ! Véritable formation du corps et du mental. Construire patiemment ses chances de finir l’épreuve en bon état. Finir en bon état ! Quatre mots en forme de boussole, presque une obsession.
Un plan de 3-4 mois récupéré sur un site spécialisé, à appliquer méthodiquement, patiemment, comme on monte un meuble en kit. Menu endurance et résistance physique, la vitesse ce n’était pas pour cette fois. Il faudrait avant tout courir longtemps, très longtemps….
Une épreuve début avril signifie une préparation pendant tout l’hiver, pas idéal à priori, mais vraiment pas le choix. Et puis, après tout, c’est bon pour forger le mental. A ce stade, tout allié est bon à prendre !
Je me souviens très bien de ces séances, 4 à 5 fois par semaine, le plus souvent la nuit, après la journée de travail, sous le vent, la pluie, le froid, la neige même. J’ai un truc pour ça, qui marche bien : ne surtout pas réfléchir ! Ne pas donner l’occasion aux prétextes ou aux excuses de prendre le dessus. Non, l’action pure ! Enfiler sa tenue, mettre ses baskets, s’hydrater, sortir, se mettre à courir, c’est tout.
Sorties longues, séances de fractionné, courses en côte, alternativement, de semaine en semaine, suivre le plan, invariablement, comme on fait ses gammes. Les premiers temps, le corps résiste, se demande ce qu’il se passe et tente de nous décourager par tous les moyens : douleurs, sensations ingrates, essoufflements, tout y passe.
Nous répondons "détermination et résilience", sans faillir, jusqu’à ce que les premiers signaux positifs apparaissent, enfin, au bout d’un mois et demi d’efforts, comme une première récompense. Le souffle, les jambes, la récupération, les ingrédients sont là, la mayonnaise commence à prendre, la confiance s’affirme. Nous sommes encore loin du but, mais sur la bonne voie.
Les séances les plus dures nous attendent pourtant, mais un sentiment de sérénité nous transporte désormais, la fin de l’hiver se profile, l’échéance approche, nous serons au rendez-vous.
La vie en 4 heures chrono :
Le grand jour est arrivé, nous sommes au départ, impressionnés par la foule et l’organisation, mais avec le sentiment d’être prêts, « al dente » même, petit clin d’œil plein d’espoir envers les quantités de pâtes ingurgitées cette dernière semaine.
Nous attendons d’être libérés, dans le sas des « objectif 4h ». Et enfin, c’est notre tour. Premières foulées… Que les sucres lents soient avec nous !
Comment décrire les 4 heures et 19 minutes suivantes ?
Une expérience unique, un effort insoupçonnable, une récompense pour le travail accompli, certes, mais l’impression la plus marquante est une simulation de vieillissement accéléré du corps et du mental, le sentiment d’avoir appuyé sur la touche « avance ultra rapide ». C’est peut-être ça la réalité augmentée !
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Cela commence par une longue mise en bouche en terrain connu. Une confortable et rassurante routine s’installe, les ravitaillements défilent tous les 5 kilomètres, le physique supporte bien le choc, l’équilibre est parfait, jusque-là tout va bien, comme on dit.
Mais pas d’emballement, je sais que ce n’est que la salle d’attente avant le grand rendez-vous.
Les premiers nuages paraissent bien peu inquiétants et prennent la forme de sensations d’inconfort diffuses, mais quoi de plus normal après plus de 2 heures ?
J’ai compris plus tard que nous venions d’entrer dans la zone du « verre à moitié vide ou à moitié plein », quand le coût de ce qu’il reste à accomplir nous parait prêt à submerger ce qui a déjà été fait, ce moment de bascule où le mental doit choisir son camp.
Quand est-ce qu’on est avalé par l’épreuve ?
Difficile à dire, pourtant il y a eu un moment où tout a semblé différent, l’environnement, la perspective avaient inexorablement changé. Nous y étions donc, le marathon, ce pourquoi nous nous étions tant préparés, la grande lessiveuse !
Désormais, les kilomètres ne défilaient plus, ils m’impactaient avec toujours plus de force, les distances semblaient s’allonger, l’énergie peinait à se renouveler, mon physique déclinait, les questions et les doutes affluaient. Je me retrouvais dans la position fragile de l’équilibriste qui tutoie ses limites, redoutant de les voir apparaitre au prochain coin de rue.
Je pensais être épuisé, pourtant j’avançais toujours. Il y avait donc encore un peu d’essence dans la machine, un réservoir secret peut être ? Je devais absolument m’accrocher à cette veilleuse de secours inconnue, l’alimenter en permanence, la couver pour qu’elle ne s’éteigne pas.
Chaque kilomètre est alors devenu un défi, avec son histoire et sa motivation propre, un effet d’optique pour me pousser à les franchir, l’un après l’autre. Et quand je n’ai plus eu d’histoire, je me suis accroché à ce qui me restait encore, la respiration, la prochaine foulée, une pancarte sur le bas-côté, …"kilomètre 40"…
J’ai senti mes dents se desserrer, peut-être même que je souriais, car j’y étais, je sortais du brouillard, la même impression qu’à la fin de l’hiver pendant la préparation, le sentiment que plus rien ne pourrait m’empêcher d’être au rendez-vous.
Curieux tout de même, comment un simple changement de perspective, tel ce chiffre sur une pancarte, peut vous transformer et vous extraire instantanément d’une situation qui semblait sans issue.
Un bref regard échangé avec mon complice de route, nul besoin de parler, nous avions compris. Il ne restait plus qu’à profiter de ce moment rare, celui d’avoir réussi à faire quelque chose dont je ne me croyais pas capable.
Dernier rond-point, dernière ligne droite, dernière foulée !
Je suis épuisé, la sensation d’être un vieillard, mais par-dessus tout, heureux. Je suis un vieillard heureux !
Un état transitoire certes, car d’ici quelques jours le corps aura rembobiné le film, réparé tous les dommages, mais il ne pourra pas effacer l’empreinte de cette expérience.
Présumé capable
J’ai en tout couru 4 marathons, préparation identique, tous terminés, pourtant aucun ne s’est déroulé de la même façon.
Les leçons que j’en ai tirées sont cependant constantes :
Cette expérience m’a profondément marqué et beaucoup appris sur moi-même, probablement transformé aussi.
Mais elle a surtout conforté en moi une approche dans la façon d’appréhender les projets importants tant personnellement que professionnellement, une méthode que j’applique encore aujourd’hui et que je résumerais en ces quelques lignes de conduite :
Et pour finir ce témoignage, face à un défi, une situation ou un projet qui nous paraissent inaccessibles, pourquoi ne pas tout simplement se voir en « présumé capable » ?
Cela peut tout changer…
Membre active de Tremplin Cadres HdF
2 sem.Quel bel article. Le rythme des mots au rythme des foulées. J'ai été embarquée. Il y a 3 ans je ne courrais pas. J'ai appris à courir d'abord 30 minutes, puis 45 minutes. Ca me motive à renfiler les baskets... et apprendre à courir un 10 km... Belle journée
Directeur
8 moisMerci Alain pour ce beau temoignage
Animal social & Brand manager
8 moisBravo Alain pour ce beau partage d’expérience ! 💥
Services Généraux, Communication, Administration.
8 moisBravo Alain et merci pour ce nouveau témoignage de ta part. Suis impressionné par le récit, presque haletant, que tu nous proposes de cette formidable expérience. Mais j'en retiens aussi et surtout les conclusions humaines que tu mets en avant, avec notamment ce "présumé capable" que je veux faire mien. 😀 "𝙅’𝙖𝙞 𝙪𝙣 𝙩𝙧𝙪𝙘 𝙥𝙤𝙪𝙧 𝙘̧𝙖, 𝙦𝙪𝙞 𝙢𝙖𝙧𝙘𝙝𝙚 𝙗𝙞𝙚𝙣 : 𝙣𝙚 𝙨𝙪𝙧𝙩𝙤𝙪𝙩 𝙥𝙖𝙨 𝙧𝙚́𝙛𝙡𝙚́𝙘𝙝𝙞𝙧 ! 𝙉𝙚 𝙥𝙖𝙨 𝙙𝙤𝙣𝙣𝙚𝙧 𝙡’𝙤𝙘𝙘𝙖𝙨𝙞𝙤𝙣 𝙖𝙪𝙭 𝙥𝙧𝙚́𝙩𝙚𝙭𝙩𝙚𝙨 𝙤𝙪 𝙖𝙪𝙭 𝙚𝙭𝙘𝙪𝙨𝙚𝙨 𝙙𝙚 𝙥𝙧𝙚𝙣𝙙𝙧𝙚 𝙡𝙚 𝙙𝙚𝙨𝙨𝙪𝙨. 𝙉𝙤𝙣, 𝙡’𝙖𝙘𝙩𝙞𝙤𝙣 𝙥𝙪𝙧𝙚 ! 𝙀𝙣𝙛𝙞𝙡𝙚𝙧 𝙨𝙖 𝙩𝙚𝙣𝙪𝙚, 𝙢𝙚𝙩𝙩𝙧𝙚 𝙨𝙚𝙨 𝙗𝙖𝙨𝙠𝙚𝙩𝙨, 𝙨’𝙝𝙮𝙙𝙧𝙖𝙩𝙚𝙧, 𝙨𝙤𝙧𝙩𝙞𝙧, 𝙨𝙚 𝙢𝙚𝙩𝙩𝙧𝙚 𝙖̀ 𝙘𝙤𝙪𝙧𝙞𝙧, 𝙘’𝙚𝙨𝙩 𝙩𝙤𝙪𝙩."
Élu local, Adjoint au Maire de Croix, délégué aux Finances, Informatique, Marchés Publics et Assurances. Vice-Président Tremplin Cadres HdF
8 moisBel article mon cher Alain. Merci pour ce partage d’expérience de ton dépassement de soi. À la lecture, on souffre avec toi et on finit avec toi… Une belle leçon d’humilité, bravo!