Hors-ma-loi

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En ces temps exceptionnels de repli sur soi, qui laissent davantage de place aux divagations de l'esprit, je m'interroge de plus en plus sur la gestion de mon propre confinement... Est-ce que je le respecte réellement ? Est-ce que je pourrais faire mieux, et sortir encore moins ? Quelles sont les limites à ne pas dépasser ? Comment gérer son propre bien-être tout en assurant la sécurité des autres ?

Puis ces questions ont finalement évoluées vers une véritable mise en abyme de ma propre réflexion. Je me suis demandée pourquoi j'en étais arrivée à ces interrogations-là, pourquoi je ressentais de la culpabilité, voire presque de la honte, vis-à-vis de la façon dont je vis mon confinement, alors même que je respecte les directives données par le gouvernement ?

Aujourd'hui, selon l'article 3 du décret du 23 mars 2020, nous sommes autorisés à nous rendre au travail, à faire une heure de jogging par jour, à sortir pour faire nos courses, à promener notre chien, à commander à manger via des services de livraison, à se promener seul ou avec les membres de son foyer pendant une heure. Aujourd'hui, je cours deux fois trente minutes hebdomadaire, et je fais mes courses une fois par semaine pendant une heure. Voilà à quoi se résument les sorties hors de mon petit studio parisien. Je m’attelle à respecter les directives d'un gouvernement qui constitue la voie obligatoire à suivre, car après tout qui suis-je pour juger de la pertinence de ces règles ? Moi qui ai la chance de vivre de loin les tragédies engendrées par le coronavirus.

Pourtant on voit de plus en plus émerger sur les réseaux sociaux et à la télé, des vidéos ou des textes de personnels soignants déplorant tantôt les mesures prises par l’État, considérées comme insuffisantes, tantôt l'attitude des civils eux-mêmes lorsqu'ils sortent de chez eux, que ce soit ou non dans le cadre des restrictions mises en place. Bien qu'ils n'y soient pas habilités, ne sont-ils pas les plus légitimes à émettre un avis sur le comportement à adopter face à un virus ? La contradiction qui s'installe aujourd'hui entre les mesures gouvernementales et l'opinion des travailleurs de la santé qui affrontent le Covid-19 chaque jour semble finalement n'être que le reflet de fractures plus anciennes entre l’État et le peuple. Mais alors on peut se poser légitimement la question : les mesures de confinement sont-elles réellement prises en corrélation avec les professionnels de la santé ? Aujourd'hui, je me permets d'en douter.

Outre le décalage affiché entre la plupart des soignants et les autorisations données par l'attestation de déplacement dérogatoire, l'incohérence des mesures se trouve au sein même de l'application de ces dernières. En effet, la police qui est là pour faire respecter les lois dictées par le gouvernement a parfois tendance à créer ses propres restrictions, rendant encore plus flous les droits dont nous sommes dotés. Interdiction de sortir pour acheter des protections hygiéniques, de rentrer dans un supermarché avec son bébé quand on vit seule, ou encore d'aller dans un magasin à quatre kilomètres de voiture même si c'est le plus proche de notre domicile, voilà le lot de certains citoyens qui n'avaient pourtant aucunement l'intention de créer une situation dangereuse.

Mais si d'un côté des arrestations ont lieu fréquemment pour des sorties qui semblaient pourtant de première nécessité, qu'en est-il des actes quotidiens discutables qui rentrent malgré tout dans le cadre des autorisations ? Qu'en est-il de la personne qui achète dix paquets de papiers toilettes quand un seul suffirait ? De celui qui sort trois fois dans la même journée pour aller acheter une baguette ? Qu'en est-il du gouvernement qui autorise les gens à se rendre au travail chaque jour au sein d'entreprises non indispensables ?

Finalement, par l'incohérence de ces diverses situations, la parole de l’État perd de sa valeur et chaque citoyen finit par avoir sa propre opinion de ce qu'il est bon ou non de faire. Il n'y a plus d'unité, plus de cadre. Il existe autant d'individus que de points de vue, transformant le confinement en royaume du libre arbitre et de la solitude. Coupable aux yeux du voisin, innocent aux yeux du gouvernement. C'est de cette confusion qu'est peu à peu né en moi ce sentiment de culpabilité. Pourtant, si nous sommes tous d'accord pour qualifier d'indécents et d'irresponsables les actes des personnes qui ne prennent même pas la peine de respecter le confinement mis en place, peut-on pour autant juger de manière égale ceux qui ne font que jouir sans abus des quelques libertés qui leurs sont accordées ? Les regards inquisiteurs de certains passants lorsque je sors courir me disent le contraire.

Alors qui a raison ? Qui a tort ? Si je respecte les consignes du décret, est-ce suffisant pour assurer la fin de la propagation ou faut-il s'imposer à soi-même des règles plus restrictives encore ? Je m'endors ce soir avec mes fidèles compagnons de confinement : ma peur de ne pas supporter l'enfermement, ma reconnaissance et ma solidarité envers ceux qui font tout pour nous sauver, mon envie de bien faire les choses pour moi et pour eux, et avec tout ça la montagne de questions sans réponses qui trottent inlassablement dans ma tête, et que je fais aujourd'hui trotter aussi sur le papier...

Marina Escartin

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