Huit leçons à retenir du management de crise à l’hôpital
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Huit leçons à retenir du management de crise à l’hôpital

A l’heure où la cellule de crise de l’APHP vit son dernier meeting, où la circulation du SARS  COV 2  semble enfin maitrisé, dans un pays redevenu zone verte, (en métropole), mais aussi à l’heure où les entreprises font face à la crise économique et à une difficulté du retour au travail présentiel, il peut être instructif d’analyser les bonnes pratiques sous un angle souvent ignoré à l’hôpital : le management.

Leçon N°1 : Une mission claire, même dans l’incertitude donne du sens. 

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à l'hôpital :

Vaincre l’épidémie est devenu un supra but commun. Quand l’objectif est clair, quand le travail prend tout son sens, on peut aussi observer un engagement massif. Paradoxalement l’épidémie a « libéré » le travail, redonnant la priorité au soin. La mission agit comme un puissant révélateur de motivation quand elle résonne avec les valeurs et la mission individuelle de chacun. 

Et en entreprise ?

==> Quand on se questionne sur la mobilisation de ses équipes, il est essentiel de travailler sur le sens et la raison d’être. Quelle raison d’être pour chacun dans ce monde post confinement ? Quel est le sens de l’entreprise à l’heure où « le travail essentiel » a été réduit à sa plus simple expression. Pour ceux qui n’ont pas structuré leur mission au niveau des valeurs et du sens au-delà du simple objectif économique, il est crucial de l’inscrire à l’ordre du jour du prochain Comex. 

==> C’est peut-être aussi l’occasion pour de nombreux individus de réévaluer leur propre alignement avec leur fonction, leur métier, leur entreprise. Permettre à chacun de faire un « bilan de sens », se faire accompagner le cas échéant ne peut que renforcer la motivation et l’engagement de ceux qui le souhaitent, ou à défaut éviter de continuer l’aventure avec ceux qui ne s’y reconnaissent plus et risquent de freiner le potentiel de reprise. 



Leçon N°2 : l’émotion est au cœur de l’engagement et source de résilience. 

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Si la peur a été un puissant catalyseur pour respecter le confinement, il a aussi fallu du courage à tous les soignants en première ligne pour « aller au front ». Au-delà de la peur, beaucoup de soignants ont pu s’appuyer sur leur vocation, pour trouver la force et le courage, et même le plaisir de soigner. Même applaudis à 20h, les médecins, infirmiers et aides-soignants ne se sont pas pris pour des héros, ils ont en grande majorité accepté leur vulnérabilité, que certains ont payé au prix fort. 

 ==>Reconnaitre la peur c’est permettre de la dépasser. Le courage se trouve derrière la peur, l’énergie du changement derrière la colère, la joie existe aussi quand la tristesse trouve à s’exprimer.  L’émotion est contagieuse, mais chacun a sa palette, il est essentiel de respecter les émotions et le vécu de chacun pour maintenir l’engagement. Ecouter et donner une place aux émotions est essentiel pour favoriser la résilience. 

Selon un sondage opinion way  du 21 avril 2020, 44% des salariés étaient en situation de détresse psychologique pendant le confinement et 25% ont déclaré que leur motivation professionnelle s’était dégradée. Seuls 45% des télétravailleurs ont pu s’isoler, pour les autres le télétravail a demandé des aménagements parfois couteux sur le plan émotionnel. ==>Pour repartir tous ensemble, il importe de prévoir un sas, un temps de « partage de vécu », tenant compte de la manière dont chacun a vécu le confinement et les premières phases du déconfinement.

Leçon N°3 : l'organisation apprenante

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Le pouvoir a été donné au terrain pour s’auto-organiser, sans limiter les ressources humaines. Si le déni collectif a précédé la vague COVID, on peut cependant saluer dès le début mars, la capacité de l’hôpital à se dimensionner pour faire face à la vague. Tous les postes (ou presque) ont été doublés, et de multiples lits ont été armés pour devenir des lits de réanimation. Nombreux sont les médecins, infirmiers, aides-soignants qui ont été déplacés. Tous ont accepté de sortir de leur zone de confort pour prendre en charge de nouveaux patients, ou plus de patients dans de nouveaux bâtiments, avec de nouveaux collègues, de nouvelles machines, hors de tous repères. 

L’hôpital est par essence une organisation apprenante, le parcours médical entraine chacun à se stretcher en permanence pour acquérir de nouvelles compétences, se confronter à d’autres approches. Cette capacité d’apprentissage, cette flexibilité cognitive a été un facteur de succès. 

Pendant le Covid, de nombreux protocoles de tests ont été lancés (et pas que sur l’hydroxychloroquine), les équipes médicales ont travaillé sur le mode test and learn pour faire bénéficier le plus grand nombre des avancées thérapeutiques. 

==>Pendant le confinement, pour beaucoup, l’innovation et la créativité ont été en berne : difficile de se projeter dans un monde où tout est à l’arrêt!

Les missions ne se reprennent pas exactement là où elles avaient été laissées ou suivies à distance, A l’heure de la reprise, il faut pouvoir stimuler et encourager chacun à défricher un nouveau territoire ou développer de nouvelles compétences, via le compagnonnage, le mentoring, la formation (hard and soft skills) ou le coaching. 

==>L’organisation apprend aussi en intégrant de nouvelles ressources : jeunes (ou moins jeunes) diplômés, stagiaires…ou en lançant de nouvelles initiatives, la reprise passera par le réamorçage de nouveaux projets. 

Leçon N°4 : la coopération, la solidarité et la mutualisation des ressources. 

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En temps normal à l'hôpital, les services sont parfois très cloisonnés et on peut observer aussi des rivalités et de grandes disparités entre les territoires, le public et le privé. 

La vague COVID a été un exemple de la capacité de tous à coopérer avec une solidarité cross fonction, mais aussi entre le public et le privé, entre l’administration et le terrain. 

La mutualisation des moyens logistiques disponibles (respirateurs, ECMO..) mais également la mise en place d’une cellule de « bed managers » en Ile de France, puis dans d’autres départements grâce aux transferts organisés par le SAMU de patients très précaires a permis de prendre en charge tous les patients de façon optimale. 

==>Et l’entreprise post Covid peut de la même manière renforcer les coopérations préexistantes, bâtir sur la solidarité qui s’est mise en place pendant le confinement et travailler sur un maillage plus large pour « dé-siloter ». Ceci est d’autant plus crucial que la peur des conséquences économiques et le confinement peuvent avoir entrainé un repli pour certaines entités. 

==> Les prévisions économiques sont sombres, le PIB devrait chuter de 7,4% avant de repartir à la hausse en 2021, la rentrée s’annonce tendue entre guerre des prix, et annonces de plans de départ volontaires ou de licenciement. Dans ce contexte, le risque principal est de basculer dans un contrôle excessif de son activité de base, en limitant les interfaces pour maintenir une illusion de confort. Le rôle du dirigeant dans ce contexte économique est d’encourager les coopérations, malgré le travail à distance. 

==> L’unité de lieu et de temps reste un must pour coopérer. Pour éviter le syndrome de la cabane, il faut l’encourager.



Leçon N°5 : la capacité à faire équipe, à faire confiance

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Dans cet environnement COVID, la vulnérabilité est un état partagé, l’incertitude règne et pourtant il est essentiel d’agir de façon concertée et efficace. Avec discipline, mais aussi audace et parfois créativité pour faire face aux ruptures, il a fallu pour des individus qui ne se connaissaient pas la veille prendre en charge ensemble des patients multi-défaillants. Chacun a joué son rôle : médecin, infirmier, aide-soignant, mais aussi logisticien, psychologue, administrateur. 

Les guérisons des patients qui ont eu le COVID en réanimation sont d’abord à mettre au crédit des équipes qui ont su s’organiser pour travailler ensemble dans la confiance avec exigence, mais aussi indulgence et droit à l’erreur. L’ordre et la discipline, héritage d’une organisation très hiérarchique ont permis ici de structurer ces prises en charge, mais il y a eu aussi une volonté de part et d’autre de travailler en collectif et de permettre le test and learn.

Les transmissions, l’adaptation, mais aussi le droit au questionnement dans ce temps très particulier où la connaissance de l’évolution des patients s’est faite en temps réel, ont permis à tous de travailler avec efficacité. Au bénéfice premier des patients qui ont guéri, il faut ajouter le bénéfice secondaire du sentiment du travail bien fait qui, à l’inverse du travail empêché constitue un élément clé de réalisation personnelle. 

Pour les équipes, ce temps d’audace collective et de solidarité, a permis aussi de manifester de la reconnaissance pour les rôles essentiels mais parfois invisibles ou peu valorisés dans notre société. Dans notre service, la place de Koumba, femme de ménage, le rôle essentiel d’Eric, logisticien ont été salués et reconnus par tous. 

==>Et en entreprise ? la confiance ne se décrète pas, elle se vit, il est primordial d’accompagner les managers, clarifier leur rôle, leur marge de manœuvre mais aussi les aider à être au service du développement des compétences de leurs collaborateurs à travers une confiance manifeste… même en télétravail. 

==>Si en temps de crise le mode de management "command and control" peut être efficace, il est périmé en post crise, démobilisant  et déresponsabilisant, il doit laisser la place à un mode de management plus participatif qui met aussi l’accent sur le développement du lien et de la qualité de la relation. 

==>Au-delà des règles sanitaires et protocoles de sécurité physique, il faut aussi réfléchir à un cadre qui permette la sécurité  psychologique (la prise d’initiative, la  capacité à  demander de l’aide/challenger, le droit à l’erreur, le respect des différences, sans risque de jugement ou  de dénigrement). 


Leçon N°6 : la communication 

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Chaque jour, Martin Hirsh, Directeur Général de l’APHP envoyait un message à tout le personnel pour créer une communauté et tenir chacun informé des différentes initiatives (COVIDOM, COVIPRO…) ainsi que de l’évolution de la crise.  

Toutes les réanimations de France se sont connectées quotidiennement à un call qui leur a permis de mutualiser leurs connaissances, de bénéficier en temps réel du partage d’expérience des collègues plus touchés ou plus en avance sur l’épidémie. 

Tous les jours, l’hôpital qui fonctionne H24 assure des temps de transmission d’information mais aussi de partage sur les orientations thérapeutiques, ces temps qui sont autant d’occasion d’apprendre et de se confronter à d’autres points de vue pour prendre des décisions les plus justes. 

Malgré la surcharge de travail, l’épidémie a été une occasion aussi de développer les feedbacks entre équipes. J’ai  ainsi pu  lire le feedback positif du SAMU qui a assuré le transport de plusieurs patients dans l’ouest, qui remerciait l’équipe pour la bonne préparation et donnait des nouvelles avec photos du transfert. 

==>Dans la reprise, on s’assure d’avoir toujours des temps de partage, pas seulement formels, mais de favoriser le temps convivial, en prenant des nouvelles de la vie de chacun et en cherchant les infos de la machine à café ou radio moquette sans la pause ou les couloirs. L’information est le niveau 1 de la communication, on s’assure que les infos sont partagées. 

==>On en profite aussi pour affuter son écoute empathique , développer les feedbacks  et manifester la reconnaissance à tous ceux qui sont moins exposés mais tout autant indispensables. 


Leçon N°7 : la présence incarnée du décideur

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Jamais très loin, le chef de service s’est montré très présent, attentif et bienveillant. Au cœur de la réa avec un mot pour chacun, ou dans les réunions de transmissions biquotidiennes, il partageait les informations importantes, questionnait pour anticiper les besoins, les enjeux, les ruptures de stock. Il a assuré par sa présence un rôle clé de protection des équipes et de transmission, en assumant toute la charge morale des décisions importantes. 

==> Le confinement n’est plus, les managers doivent montrer l’exemple en se montrant présents au maximum. Redéfinir le nouvel équilibre entre télétravail et présentiel nécessité  réflexion et concertation, chaque manager peut travailler à développer sa présence et son attention à chacun de ses collaborateurs. 

==> La prise de décision reste un exercice difficile en temps de crise, parfois un exercice solitaire. Pour que les décisions soient comprises, respectées et partagées, les équipes valorisent les dirigeants qui savent se montrer présents et à l’écoute des enjeux réels et mouvants du terrain. 

Leçon N°8 : Préserver ses ressources

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Soigner en temps de COVID, c’est travailler sous pression. Dès début mars comme les équipes ont été doublées, les temps de repos entre les gardes ont également été doublés. A chaque fois que ça a été possible, l’organisation prévoyait qu’ils puissent se reposer physiquement et mentalement. 

==>Le confinement n’a pas été un temps de pause, la charge morale, mentale et parfois logistique a été élevée. Hors des lieux sanctuarisés, le télé-travail a pu devenir plus intense encore que le travail en présentiel. 

==>Le déconfinement et l’inquiétude économique rajoutent du stress et invitent à une activité parfois sans limite « pour rattraper ». Il est de la responsabilité des dirigeants de montrer l’exemple et de s’assurer que les collaborateurs parviennent eux aussi à mettre des limites. 

==>La résilience nécessaire à la reprise de la créativité et de la croissance ne s’obtient pas en maintenant un niveau de stress et d’activité trop intense, malgré l’inconnu et la pression des actionnaires, il faut pouvoir lâcher du lest.


Conclusion

Ces leçons ne se veulent pas péremptoires, il y a eu aussi beaucoup de limites pendant ces 2 mois, on voit apparaitre les conséquences du manque de prise de recul, des troubles post traumatiques, une fatigue excessive qui relève parfois du sacrifice, mais j’ai choisi volontairement d’insister sur ce qui méritait d’être souligné, d’autant plus que la formation médicale omet souvent le développement des soft skils qu’ils ont pour beaucoup à acquérir sur le terrain. Ils excellent sur certains  soft skills en lien avec leur métier : résoudre des problèmes, gérer la complexité, mais il reste à apporter de l’aide sur la durée pour d’autres, en entreprise comme à l’hôpital : esprit d’équipe, empathie, assertivité, confiance/estime de soi, capacité à questionner, communiquer….). 

Je voulais par cet article témoigner de mon admiration pour l’engagement et la gestion de cette crise de tous les hommes et les femmes du service de réanimation polyvalente d’Avicenne, dirigée par le Pr Yves Cohen. 

Isabel Sanuy

J'adore les projets Retail internationaux et je couvre vos besoins d'intérim de haut profil, avec 20 ans d'expérience !

4 ans
Maï Truong

Executive Coaching - Alignement et Leadership - Efficacité collective - Bien être au travail - Gestion de la multi-culture - Evolution de carrière

4 ans

Merci Anne pour cet article, ce partage et bravo encore pour ton action durant toute cette période !

Merci Anne pour cette analyse de bonnes pratiques à réviser pour bien redémarrer !! À bientôt j’espère

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