I comme Intérieur
I comme Intérieur
Le printemps a fleuri en vase clos cette année. Posés sur des consoles, des tables ou des commodes qui dévoilent, sans pudeur, des intérieurs confinés mais ouverts à tous les vents. Que disent de nous ces nouveaux Espèces d’Espaces dont George Perec aurait dressé une géniale classification? Le bureau, pour qui en possède un, est le meuble roi et la pièce maîtresse de ce nouvel échiquier. Les chambres ne sont plus privées, si c’est là qu’il est possible de s’isoler pour s’ouvrir au monde. Le salon devient salle de sport ou de cours, à pratiquer à plusieurs. La cuisine, si elle est assez grande fait office de communs. Lieu de retraite solitaire, les toilettes seules garantissent encore l’intimité. Mais vite fait, car derrière la porte, les autres attendent.
Dès lors qu’il faut au même endroit, faire l’école et l’amour, travailler et cuisiner, se réunir en s’isolant, que peut-on montrer, que doit-on encore cacher? S’installe une acceptation forcée et presque enjouée, accompagnée d’une mise en scène de chez-soi, ce miroir impossible à critiquer sous peine de se renier soi-même. Le désordre devient un sympathique signe de vitalité de la famille, les bibliothèques fournies signalent la culture, les moulures l’aisance, la lumière, le confort. Chaque détail parle... La distance déjà diminuée entre nos vies professionnelles et privées n’a plus que l’épaisseur d’un écran, traversé parfois par de familiers intrus en pyjama. Les fenêtres sur le monde se sont retournées, mobiles et fouineuses, à toute heure. Attirantes comme un «trou noir» dit Mona Chollet dans son Chez-soi, Une odyssée de l’espace domestique, un manuel de survie utile ces jours-ci. Par-là, on peut sortir dans l’espace public, mais ce canal est désormais ouvert dans l’autre sens, aux collègues pourtant jamais conviés à la maison, à la chaîne hiérarchique subitement aplatie par un sort commun. La foule domestique et extérieure est envahissante. Elle entre partout et souvent sans frapper. Les caves, zone blanche des villes connaîtront peut-être un nouvel engouement. Ou le refuge dans le refuge, à l’abri des ondes, du son et de la vue. Le printemps c’est aussi le temps des cabanes. L’hiver qui vient, celui des i..gloos.