“Il est plus facile quand on est à Vitré d’aller à Paris que de rejoindre la commune qui est 10km à côté”

“Il est plus facile quand on est à Vitré d’aller à Paris que de rejoindre la commune qui est 10km à côté”

Pour présenter la plateforme de mobilité Pays de Vitré, Loïc Desmoulin a accepté de répondre à quelques questions pour Place Des Mobilités . L’occasion de discuter de l’ambition sociale et inclusive de la plateforme des problématiques rencontrées sur ce territoire rural. 


PDM :  Pouvez-vous vous présenter, la plateforme de mobilité et le territoire Pays de Vitré ? 

L.D. : Je suis Loic Desmoulin, coordinateur de la plateforme de mobilité Pays de Vitré, Porte de Bretagne Mobi’zh. Ce projet a démarré en 2019 et est coporté entre l’association Tremplin, gestionnaire notamment d’une résidence habitat jeunes, et la Mission Locale - Porte de Bretagne. Au début, nous étions deux avec des volumes horaires marginaux puis maintenant nous sommes trois salarié·e·s et une volontaire en service civique. 


Le Pays de vitré, Porte de Bretagne est un territoire principalement rural composé de 63 communes pour moins de 110 000 habitants soit une très faible densité de population. Nous avons lancé la plateforme en partant d’un constat : il reste 5% de personnes en recherche d’emplois sur notre territoire. Finalement, non pas par manque de compétences mais bien souvent du fait d’un manque de mobilité. En effet, l’offre de mobilité du territoire est limitée : deux lignes Groupe SNCF , des bus gratuits mais seulement sur Vitré et Châteaubourg, avec une amplitude horaire et une fréquence assez faibles et surtout inadaptés aux horaires des emplois industriels et agro-industriels. Le réseau pour les véhicules sur le reste du territoire est typiquement de zone rural avec des routes à 80 km/h, beaucoup de virages et denivelés, pas forcément très sécurisantes et très peu d’aménagements cyclables. 


Face à cette situation, de nombreux professionnels ont constaté qu’une partie non négligeable de la population se retrouve dans l'impossibilité de rejoindre les zones industrielles, les bassins d’emploi et reste également bloquée dans leur mobilité résidentielle. Nous avons donc développé ce service de mobilité initialement pour les résidents, en particulier pour les jeunes travailleurs, les personnes en alternance ou les mineurs non accompagnés. Aujourd’hui le public est plus large, le seul critère pour accéder aux services de la plateforme de mobilité sociale c’est qu’il faut que ce soit une personne du territoire, suivie et accompagnée par des partenaires sociaux ou associatifs ( France Travail , Mission Locale…)

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PDM : Est-ce que vous pouvez nous raconter le développement et les différentes offres de votre plateforme ? 


L.D. : À l'origine, une dizaine de vélos avait été achetée afin de les prêter aux jeunes résidents en espérant que cela solutionne tous nos problèmes. Finalement, il a fallu gérer la mise à disposition, l’entretien des vélos et surtout former les utilisateurs. En effet, nous avons prêté les vélos à des personnes qui savaient concrètement faire du vélo mais sans savoir utiliser le vélo comme moyen de déplacement. C’est comme ça que nous avons eu l’idée de mettre en place des ateliers de formation, de mécanique, d'auto réparation pour contribuer à faire du vélo un moyen de déplacement efficace et complet même en zone rurale. 


Dans un second temps on s’est rendu compte que le vélo musculaire était pertinent dans les grandes villes mais pas suffisant pour relier les périphéries aux alentours. C’est pourquoi nous avons acheté des vélos à assistance électrique puis des cyclomoteurs électriques, des vélos pliants, des vélos pliants à assistance électrique, des trottinettes électriques… afin de les emporter dans les cars, dans les trains et éventuellement en covoiturage, si le conducteur est d'accord. 


Outre la partie location, le cœur de la plateforme est l'accompagnement, orientation et la formation. Nous proposons des formations dites “pré-code” pour des publics qui sont allophones et ont de grandes difficultés en français puis nous les accompagnons dans les démarches pour s’inscrire au passage du code et au permis de conduire. Nous développons aussi une école des mobilités, soit l’idée d'apprendre aux gens à utiliser la marche, le vélo comme moyen de déplacement. 


De façon assez globale, nous essayons d’accompagner l'usager vers son autonomie. Le but de la plateforme est double : apporter une réponse la plus proche possible des besoins des différents usagers en prenant aussi en compte l'offre de mobilité et de transport en commun qui existe déjà sur le territoire. 


PDM : Comment développez-vous l’activité ? Quels sont vos financements ?

L.D. En 2019, mon poste (ndlr coordinateur de plateforme de mobilité) et celui de ma collègue (ndlr conseillère en mobilité) n'existaient pas. Il y a eu un développement au niveau national et sur notre territoire des plateformes. Le guide des plateformes des mobilités du Laboratoire de mobilité inclusive de 2021 nous a notamment été très utile et a permis de nous aiguiller sur notre offre de service, sur la façon de nous structurer, de nous financer… 


Nos financements proviennent des collectivités : de la région, du département, de la ville de Vitré… bientôt peut être Vitré communauté. On fait également appel au financement du fonds social européen (FSE). Il y a également différents appels à projets, de la CAF, du département ou de fondations comme Vinci. Nous intervenons également dans des entreprises pour faire de la formation, de l'initiation ou de la sensibilisation. Ces interventions contribuent aussi à financer le volet social de la plateforme. Il faut se rendre compte que ces financements sont un peu le nerf de la guerre. La réflexion aujourd’hui est : au départ les fonds ont permis de créer les postes, de lancer les plateformes … mais comment peut-on pérenniser tout ça aujourd'hui? C'est ce besoin d’approfondir le partage d'expériences et de prendre connaissance de ce qui se fait ailleurs qui nous a amenés à rejoindre le réseau Mob’in, très récemment, afin d'échanger davantage avec d’autres plateformes. 


PDM :  Quels sont les avantages pour vous d'adhérer à ce réseau ? 

L.D : Le réseau nous permet d'échanger sur les problématiques que nous pouvons rencontrer. Cela facilite la veille sur les éventuels financements, appels à projets et pourquoi pas de mutualiser certains équipements. Selon moi, le groupement d’achats d’équipements entre plateforme serait une option souhaitable. Cela nous permettrait de mutualiser les équipements et devenir expert sur certains types de vélos, vélos à assistance électrique, cyclomoteurs, de pouvoir se donner des conseils :  moi j'ai cette panne là, j'ai tel vélo, il affiche tel code d'erreur d’avoir un partage d’expérience, de pouvoir s'échanger, donner les pièces dans une dynamique de réemploi, de sobriété… 


Aussi, on défend une mobilité sociale et inclusive. Nous n'avons pas encore rencontré cette situation, mais si nous recevons une personne en situation de handicap qui a besoin de se déplacer, nous avons besoin d’équipements qui coûtent excessivement cher comme un handbike ou un triporteur. Sur le territoire, nous n’avons pas forcément une personne qui aurait besoin de ce moyen de déplacement régulièrement : il y aurait donc tout intérêt à mutualiser sur un réseau ce type d’équipements. J’aimerais bien qu’on réussisse à avoir un coup d'avance pour pouvoir anticiper ce type de situation. 


VV : Vous avez mentionné votre offre d’équipement le vélo pliable qui permet de pouvoir prendre son vélo, puis prendre le train, … soit la thématique la l'intermodalité. Qu'est ce que vous pensez de ce terme, qu'est ce que ça vous évoque ? Qu’est ce que vous pensez de l’idée en zone rurale de parcours du combattant pour partir d’un point A et rejoindre un point B ?

L.D : Pour les usagers, c'est réellement un parcours du combattant et nous on s'en rend compte aussi parce que c'est un parcours du combattant pour nous de les accompagner.  Selon moi, le multimodal, ce n'est pas LA solution qui va régler tous les problèmes mais cela permet de trouver des compromis. La principale difficulté est de pouvoir embarquer son moyen de déplacement. Par exemple, j'ai un jeune qui doit prendre un vélo puis un train puis de nouveau faire du vélo. Or la difficulté aujourd’hui, et ce malgré un vélo pliant, est le nombre de places disponibles (entre 6 et 12) pour le nombre de vélos embarqués (entre 12 et 24) dans un TER. L'accès à la gare n'est pas forcément évident non plus avec des escaliers etc. Il faut également s'accommoder des horaires de trains et qu’ils correspondent à nos besoins professionnels. 


Concrètement, pour le public que nous accompagnons, acheter un vélo ce n’est pas toujours possible donc en acheter 2 ce n’est pas imaginable pour en avoir un afin de se rendre à la gare de départ et un en gare d’arrivée ce n’est pas jouable. Malheureusement nous n’avons pas la ressource en termes de location pour en mettre deux à disposition pour chaque usagers. A cela s’ajoute, les soucis de vols : laisser un vélo de nuit en gare c’est trop risqué. Là où on a eu le plus de vols de nos véhicules de déplacements, ce sont dans les gares SNCF. 

J’aime bien utiliser l'expression “pour chaque bénéficiaire c'est du cousu main”. Finalement, on va réfléchir de telle manière : 

  • A l'aller, tu peux embarquer un vélo classique, au retour, tu ne pourras pas ;
  • Donc, il faut proposer un vélo pliant mais la distance est importante et le vélo pliant, c'est un peu moins roulant qu’un vélo classique ;
  • Donc, il faut proposer un vélo pliant électrique. 

Ou un autre exemple : 

  • si tu vas en zone urbaine, tu vas pouvoir te déplacer en trottinette ;
  • si tu vas en zone rurale, la trottinette ne sera pas adaptée car tu devras suivre des cheminements où il n’y a pas d'aménagement cyclable et la trottinette électrique est interdite donc nous proposons un vélo.  


Pour chaque usager, nous faisons du “cousus main”


PDM : Vous proposez de la formation et de la sensibilisation auprès de différents profils, est-ce que pour vous la notion d’éducation à la mobilité vous fait écho ?

L.D. : De manière globale, il y a effectivement un manque de sensibilisation et de formation. Nous avons des publics de tous les horizons qui ont des vélos en plus ou moins bon état et plus ou moins de gamme, mais il y a toujours un déficit d'entretien sur le vélo, de vérification des éléments de sécurité, sur la façon de savoir rouler à vélo... 


Nous travaillons sur la mobilité mais nous nous spécialisons sur les mobilités actives et notamment sur la mobilité à vélo.  Par exemple, il y a quelques années, je n'aurais jamais relié deux de nos communes, Vitré-Chateaubourg, par le vélo. Parce qu'elles sont connectées par une départementale qui est très roulante et peu sécurisante. Par contre, en me formant et en formant d'autres personnes, j'ai aussi appris à rouler, appris à être vus, à me rendre visite aux automobilistes, à cohabiter avec eux… Finalement même si l'axe est dangereux, je ne me sens pas forcément en danger. 


Il y a un réel besoin de pédagogie et de mettre les personnes sur selle dans leur quartier, puis dans leur ville, pour ensuite leur permettre de relier différentes communes en écartant le sentiment de danger qu’il peut y avoir.  C’est pour ça que je fais la nuance entre savoir-faire du vélo et savoir se déplacer à vélo. Quand on est enfant, on apprend à pédaler, on apprend à aller faire une promenade, sur une voie verte, le long du canal… Mais on n’apprend pas à passer un rond-point en heure de pointe, à se rendre à la gare à 7h du matin… Il faut une dynamique au niveau national pour apprendre aux gens à se déplacer via les mobilités actives tout comme on a pu leur apprendre à passer le permis, à circuler en voiture. C'est vraiment un des défis mais qui ne concerne pas que les zones rurales mais aussi tout le territoire. 


PDM : Qu’est ce que vous pensez de la notion de mobilité durable et inclusive ?

L.D. Selon moi, au vu des publics que nous on accompagne, le terme de “mobilité inclusive” a tout son sens. On réfléchit à comment chacun peut accéder à la mobilité. Le terme “durable” c’est comme développement durable. Il faut savoir que lorsqu’on accueille un public précaire, la question de l'environnement dans la mobilité, elle n’est pas toujours prise en compte. La question économique oui, la question environnementale pas du tout. On pose la question à chaque fois, elle n’est jamais cochée. Les publics que nous accompagnons utilisent ces moyens pour aller travailler et parce qu’ils n’ont pas d'autres choix. L'entrée, elle va être économique, créative, sociale, inclusive, mais pour moi, “durable” ce n'est pas toujours ce qui motive les usagers.


PDM : Selon vous, quels sont les principaux défis de la mobilité en zone rurale ?

L.D. J'aime bien citer cet exemple : il est plus facile quand on est à Vitré d’aller  à Paris que de rejoindre la commune qui est 10km à côté. C'est un super exemple de la mobilité en zone rurale, c'est-à-dire qu'on a des territoires qui ont été enclavés, parce qu'on en a relié d'autres qui étaient plus éloignés. Le défi est vraiment de proposer une mobilité qui soit à la fois efficace avec des chemins adaptés et sécurisante pour l’usager. L'idée aussi c’est qu’elle soit décarbonée parce qu'une mobilité décarbonée aujourd'hui on sait que c’est une mobilité qui est plus économique et qui est aussi indispensable, on ne peut pas continuer à avoir autant de personnes qui se déplacent seul en voiture. Aussi l’enjeu est l’aménagement du territoire. Par contre, quand on crée un gymnase, on ne peut pas juste le penser pour le territoire sur lequel il est implanté. Il faut réfléchir à comment est-ce qu'on va connecter ce gymnase, quels moyens vont être mis pour permettre à un enfant de 10 ans d’aller au judo sans que ce soit ses parents qui fassent l’aller retour en voiture …  Il faut réfléchir aux mobilités mais aussi aux services mis à disposition et qui doivent être pensé avec un essaimage plus important sur le territoire pour éviter cette polarisation dans les villes. 


PDM : Des idées pour la suite ? 

L.D - On a beaucoup d'idées, mais la difficulté c'est qu'on a un territoire avec une population qui est très éclatée et ce n'est pas évident de faire de la formation. Parce que quand on est dans une petite commune rurale à 10 km de la ville centre, et bien déjà pour la rejoindre il y a déjà une première difficulté. Et donc on est vraiment en train de réfléchir à comment créer l'itinérance aussi pour notre service. Il faudrait presque une salle de formation mobile, ou en tout cas, bureau d’entretien mobile, il y a certaines plateformes qui développent des mobili-bus.


PDM  : Un mot pour la fin ?

L.D. Ce qu'on dit aujourd'hui et ce qui est énoncé comme vrai aujourd'hui, ne le sera peut-être pas demain. Le sujet de la mobilité évolue très vite. Il suffit qu’il y ait des nouvelles offres, des nouvelles modes… Depuis 2019, lorsque nous avons eu l'idée de monter le projet, il y a eu énormément d'évolution. Donc, ça nécessite aussi une importante veille, de se mettre à jour, d’où aussi l'intérêt des réseaux et des échanges, de découvrir un peu ce qu'il fait ailleurs, pour avoir un étape d'avance, ou en tout le cas pas avoir un train de retard.

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Manon Rollet

Responsable d'entité mobilité durable chez Vizea / Urbaniste / Conceptrice de jeux en aménagement du territoire

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Loïc Desmoulin

Coordinateur MoBi'ZH - Plateforme mobilité du Pays de Vitré - Porte de Bretagne

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Merci Léana Moulia pour cet article !

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