Immobilier : le choc du Covid-19 peut-il casser la hausse des prix ?
Crise ou pas, les Français ont toujours besoin de se loger. Cet élément intangible est l'un des piliers de la résilience de la pierre. Mais d'autres risquent de faire défaut dans les mois qui viennent. De quoi inverser le cycle haussier qui prévaut notamment dans les grandes villes ?
Taux très bas, chômage en baisse et pouvoir d'achat en hausse… Ce cocktail, sur lequel se trouve la cerise d'une demande de logements toujours soutenue, ne pouvait être plus favorable à la hausse des prix de l'immobilier. Mais il était servi avant la crise du Covid-19. Aujourd'hui,les professionnels de l'immobilier avancent des pronostics prudents. Nombre d'entre eux lient la dynamique du marché à la reprise destransactions, elle-même très dépendante des modalités du déconfinement. Très peu d'entre eux évoquent la baisse des prix, sachant que la prophétie est autoréalisatrice.
Si la plupart des acquéreurs potentiels anticipent une baisse, ils vont retarder leur projet, d'où une chute du volume des transactions incitant les vendeurs pressés à proposer des prix plus attractifs… Un engrenage dont il est difficile de sortir. D'où la responsabilité des commentateurs, même s'il est très excessif de prétendre qu'un retournement de marché peut être initié sur les seules prophéties de quelques Cassandre. La prévision étant un art très difficile, même pour les plus grands experts, il paraît plus raisonnable d'envisager plusieurs scénarios en se penchant sur les fondamentaux déterminants pour les prix de l'immobilier.
La variable chômage
Nous partons d'une situation où les prix de la pierre sont plus ou moins en lévitation. Selon l'indice des prix immobiliers Meilleurs Agents « Les Echos »(IPI), les prix parisiens ont progressé de 35,5 % sur les cinq dernières années et de 21,4 % dans les dix plus grandes villes françaises. Or le Conseil général du développement et de l'environnement durable (CGEDD), sous l'égide de Jacques Friggit, observateur avisé des prix de l'immobilier d'habitation sur le long terme, l'affirme dans sa dernière étude : « Au quatrième trimestre 2019, l'indice des prix de la pierre rapporté au revenu par ménage est supérieur de 68 % à la tendance longue qu'il avait suivie sur la période 1965-2001. » Il constate aussi des différenciations géographiques prononcées, coïncidant, entre autres, avec la variation du taux de chômage. Le dynamisme des grandes villes, bassins d'emploi, a été, ces dernières années, un facteur déterminant de la hausse des prix.
Mais cette dynamique de l'emploi risque de faire désormais défaut, même dans les grandes agglomérations. Malgré l'ampleur du dispositif mis en place par le gouvernement pour éviter les faillites des entreprises et juguler la montée du chômage, il est évident que l'amélioration constatée depuis plusieurs mois sur ce front (avec un taux ramené à 8,1 % fin 2019) va marquer une pause et très probablement repartir en sens inverse. L‘emploi n'explique toutefois pas à lui seul la montée des prix. Elle trouve sa source dans d'autres données comme les concentrations de population (en France, dans les grandes agglomérations, notamment à Paris). Mais le facteur essentiel qui a largement contribué à l'engouement de nos compatriotes pour la pierre, c'est le très bas niveau des taux d'intérêt.
Le couperet des taux
Dans sa note d'avril, Jacques Friggit insiste à nouveau sur « l'effet inflationniste de l'environnement financier et, au premier chef, du très faible niveau des taux d'intérêt ». Et là aussi, la donne a profondément changé en quelques semaines. « Toutes les banques restant actives sur le marché du crédit immobilier ont fait état de grilles réévaluées, un mouvement qui fait suite à une augmentation des rendements, constatée depuis début mars sur les marchés obligataires », note Alban Lacondemine, président-fondateur d'Emprunt Direct. Selon lui, le coronavirus aura nécessairement un impact en termes de coût du risque, ce qui a été intégré depuis quelques semaines sur les marchés de taux. Avec un pouvoir d'achat affecté par la hausse des taux, « les prix pourraient devenir la seule variable d'ajustement dans un marché où les volumes auront été clairement affectés », affirme-t-il.
Concernant l'évolution des taux, les experts se divisent en deux écoles. Les uns estiment que les déficits budgétaires record pousseront inéluctablement les taux longs à la hausse. D'autres, comme Joachim Fels, conseiller économique inter-national de Pimco, pensent, au contraire, que « la combinaison d'une surabondance d'épargne dans le secteur privé et d'un contrôle implicite ou explicite de la courbe des taux nominaux par les banques centrales maintiendra les taux d'intérêt à un bas niveau, longtemps après le passage de la pandémie ».
La variable taux d'intérêt est probablement celle qui fera pencher le marché immobilier dans un sens ou dans l'autre : retour peu ou prou à la situation ex ante après un léger réajustement ou spirale baissière. Celle-ci devrait d'ailleurs affecter plus ou moins profondément les différents segments de marché. Certains seront probablement plus résilients que d'autres. La crise du coronavirus a balayé les marchés financiers, elle pourrait aussi bouleverser la logique de l'offre et de la demande immobilière. Celle-ci sera-t-elle toujours au rendez-vous, alors que le moral des ménages devrait être affecté durablement ? Les acquéreurs, désormais habitués au télétravail, seront -ils toujours aussi friands des centres-villes surpeuplés ? Au-delà de son impact sur les prix, la crise du coronavirus pourrait modifier durablement la perception et les usages des biens immobiliers.
Les points à retenir
Le dynamisme des grandes villes, bassins d'emploi, a été, ces dernières années, un facteur déterminantde la hausse des prix.
Le facteur essentiel qui a largement contribué à l'engouement de nos compatriotes pour la pierre, c'est le très bas niveau des taux d'intérêt.
La variable taux d'intérêt est probablement celle qui fera pencher le marché immobilier dans un sens ou dans l'autre.
@Les Echos